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dimanche 15 juin 2025

8.40 - MON AVIS SUR LE FILM LE JUGEMENT DE DIEU DE RAYMOND BERNARD (1952)


 Vu le film Le Jugement de Dieu de Raymond Bernard (1952) avec Jean Claude Pascal Andrée Debar Pierre Renoir Catherine Fonteney Gabrielle Dorziat Louis de Funès Louis Seigner Jean Barrère 

 

Au XVe siècle, le Prince Albert de Bavière et une roturière, Agnès Bernauer, tombent amoureux. Faisant fi des conventions et des mises en garde, ils se marient. Peu de temps après, Agnès est accusée de sorcellerie. Condamnée à mort, elle est précipitée dans les eaux du Danube. Fou de douleur, Albert se jette son tour dans le fleuve. 

Le Jugement de Dieu de Raymond Bernard (1952) est un film méconnu mais intéressant à revisiter, surtout lorsqu’on le replace dans le contexte du cinéma français d’après-guerre. Inspiré d’une légende rhénane du XVe siècle, il relate la passion contrariée entre le prince Albert de Bavière et Agnès Bernauer, une roturière dont le destin tragique va entrer en collision avec les intérêts politiques et religieux de l’époque. 

Dès les premières scènes, on comprend que Raymond Bernard cherche à construire une fresque ambitieuse, avec les moyens (limités) du cinéma français des années 50. Le film est porté par un souffle lyrique, avec une narration dramatique et un souci de reconstitution historique visible dans les décors, les costumes et la figuration, qui rivalisent d'efforts malgré un budget probablement modeste comparé aux superproductions américaines contemporaines. 

Les intérieurs, châteaux gothiques, rues pavées et costumes d'époque donnent une certaine tenue à l’ensemble. Il y a là une volonté d’élévation artistique dans un style qui rappelle parfois les tableaux d’histoire peints sous le Second Empire. On imagine ce film sublimé par la couleur — qu’il n’a pas — tant certaines scènes appellent la flamboyance des tapisseries médiévales. 

Sous son classicisme formel, Le Jugement de Dieu est un film engagé. Il évoque de manière transparente les mariages arrangés, la toute-puissance de la noblesse et de l’Église, et surtout la cruauté du destin réservé aux femmes et aux roturiers dans un système féodal verrouillé. Agnès Bernauer, figure tragique, devient l’incarnation de ces passions condamnées à mort au nom de l’ordre social. 

Le titre même — Le Jugement de Dieu — renvoie aux ordalies, ces pratiques moyenâgeuses où Dieu est censé départager les vivants par des épreuves souvent injustes. Le film semble interroger ironiquement cette foi aveugle dans un ordre divin qui n’est, au fond, que l’habillage idéologique de la violence du pouvoir. 

Jean-Claude Pascal et Andrée Debar, les deux interprètes principaux, peinent à transmettre l’intensité d’une passion tragique. Lui, un peu figé dans son rôle princier, semble presque en retrait ; elle, plus investie, parvient par instants à susciter l’émotion. Mais leur alchimie est faible — on est bien loin de la sensualité dramatique que Brigitte Bardot et Alain Delon insuffleront aux mêmes rôles dans Les Amours célèbres (1961), dans un segment plus bref mais plus intense, réalisé par Michel Boisrond. 

Quelques scènes prêtent aujourd’hui à sourire, notamment celle de la danse — chorégraphiée de manière un peu datée, presque burlesque —, et l’on peut s’amuser de la brève apparition de Louis de Funès, encore inconnu, qui se fait arracher une dent dans une scène étonnamment grotesque. Ce genre de détail donne au film une saveur curieuse, entre drame historique et touches involontaires de comédie. 

Bien que Le Jugement de Dieu n’ait pas la renommée d’autres films historiques français, il témoigne d’une volonté de raconter autrement l’histoire, à hauteur d’individus opprimés. Raymond Bernard, qui avait déjà signé Les Misérables en 1934, reste fidèle à une tradition du cinéma engagé par le biais de la reconstitution. 

En cela, le film mérite d’être redécouvert : non pour son interprétation (moyenne), ni pour ses audaces formelles (rares), mais pour sa capacité à dire, avec les moyens du cinéma de studio français, des choses fortes sur la condition humaine, la passion, et les violences structurelles du pouvoir. Il est aussi l’un des rares films français à adapter la figure d’Agnès Bernauer, personnage historique très présent dans la culture allemande mais quasiment ignoré chez nous. 

Une œuvre datée mais attachante, qui a bien vieilli dans certains aspects (les décors notamment), moins dans d'autres (le jeu un peu empesé des acteurs). Un film à voir en connaissant son contexte, comme une pièce d’archive vivante, témoin d’un cinéma français qui tentait d’embrasser la grande Histoire avec sincérité et moyens limités. 

NOTE : 8.40

FICHE TECHNIQUE


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