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dimanche 8 juin 2025

16.20 - MON AVIS SUR LE FILM LE VOILE BLEU DE JEAN STELLI (1942)


 Vu Le film Le Voile Bleu de Jean Stelli (1942) avec Gaby Morlay Elvire Popesco Pierre Larquey Marcelle Gémiat André Alerme Fernand Charpin Aimé Clariond Denise Grey Jeanne Fusier Gir Noel Roquevert 

Louise Jarraud est profondément et définitivement marquée par un drame qui a bouleversé sa vie pendant la Première Guerre mondiale. Elle a, en effet, perdu coup sur coup son mari et son fils. Depuis, elle consacre sa vie aux enfants des autres. Devenue gouvernante, passant d'une famille à l'autre, elle a élevé Frédéric, Gérard, Charlotte et Daniel, qu'elle considère presque comme ses enfants. Au terme d'une longue vie de sacrifices dédiée au bonheur des bambins, elle se retrouve femme de ménage chez une vieille dame acariâtre, madame Breuilly. Un soir, elle se casse le bras en tombant dans un escalier. Le médecin chargé de la soigner n'est autre que Gérard... 

Un film qui pleure avec vous, et qui ne vous quitte jamais tout à fait. 

On pleure dès le générique, et on ne s’arrête plus. Le film entier est un torrent d’émotions, une œuvre que l’on reçoit comme une caresse douloureuse sur le cœur. Et une fois terminé, que faire d’autre que d’écouter Berthe Sylva sous la couette, en se laissant doucement submerger par les souvenirs ? C’est exactement ce que je faisais, enfant, lors de ces jeudis ou samedis pluvieux où l’école fermait ses portes. Que ce soit à la télévision ou en patronage, j’ai vu Le Voile Bleu au moins une dizaine de fois, fasciné, bouleversé, marqué à jamais. 

Louise Jarraud, interprétée par la sublime Gaby Morlay, est au centre de cette fresque lacrymale. Présentée comme une sainte laïque, elle consacre sa vie aux enfants perdus, mal aimés ou abandonnés. Sans mari, sans vie sentimentale, elle se donne tout entière à ces petits êtres cabossés par la vie. Dans mon imaginaire d’enfant, je faisais spontanément le lien entre Louise et ma propre mère, puéricultrice elle aussi, dévouée, douce, attentive — un amalgame naïf peut-être, mais chargé d’amour. 

À une époque où les enfants n’avaient aucun droit, Louise devient leur refuge, leur sourire, leur bras protecteur. Même les plus insupportables finissent par lui rendre un hommage bouleversant, dans une dernière scène d’une intensité émotionnelle rare, où la salle de cinéma devient une rivière de mouchoirs. 

Sorti sous l’Occupation, Le Voile Bleu connut un succès colossal. À cette époque troublée, les spectateurs cherchaient des divertissements légers à la Fernandel, ou, au contraire, des films riches en émotion, porteurs d’une chaleur humaine quasi spirituelle. Le Voile Bleu répondait à ce besoin. 

Mais après la guerre, le film traînera l’image d’un film "pétainiste", comme s’il incarnait à lui seul la devise "Travail, Famille, Patrie". Pourtant, en tant qu’enfant de résistante, je ne l’ai jamais vu sous cet angle. Je n’avais aucune conscience historique à l’époque — je ne percevais que la bonté d’une femme et la misère de ces enfants. 

Il est toujours facile de relire un film à travers le prisme du moment politique. Mais pour moi, la sincérité du film l’emporte sur toute tentative de récupération idéologique. Je préfère garder mon regard d’enfant, tout en n’oubliant pas les zones d’ombre de l’époque. 

Outre Gaby Morlay, lumineuse et déchirante, on retrouve une brochette de comédiens formidables : Elvire Popesco, Pierre Larquey, Jeanne Fusier-Gir, Denise Grey (notre future "Poupette"), Paul Demange, Noël Roquevert, Louis Jourdan (avant Hollywood), Primerose Perret (vue chez Guitry et Raymond Bernard), et Jacques Ory. 

Oui, le film peut paraître désuet aux yeux d’aujourd’hui, dans sa forme, son jeu, sa musique insistante. Mais il est un témoin précieux d’une époque, et pour certains d’entre nous, un morceau d’enfance qui palpite encore. Il rappelle aussi que l’amour des enfants n’est pas une évidence dans toutes les familles — et là encore, le cinéma touche à quelque chose de profondément intime, de vécu. 

Jean Stelli a signé une trentaine de films, mais peu ont marqué les mémoires comme Le Voile Bleu. Personnellement, j’en retiens un autre : Les Cinq Tulipes Rouges (1949), un thriller étonnant sur une série de meurtres pendant le Tour de France — une rareté méconnue et captivante. 

En 1951, Le Voile Bleu connaîtra même un remake américain réalisé par Curtis Bernhardt, avec Jane Wyman, Charles Laughton et Joanne Dru : La Femme au voile bleu. Un beau film, mais sans doute trop "propre", trop retenu pour atteindre la déchirante sincérité de l’original. 

Le Voile Bleu est de ces films que l’on ne revoit pas sans une émotion intacte, presque intacte. Il faut une boîte entière de mouchoirs, et même là, ça ne suffira pas. Mais c’est un film qui fait du bien au cœur, dans sa tristesse même. Il nous rappelle qu’il a existé des femmes comme Louise, et qu’elles existent encore peut-être, loin des feux médiatiques, dans le silence du dévouement. 

Et parfois, le cinéma, c’est aussi cela : pleurer, pour mieux se souvenir que l’amour existe encore quelque part. 

NOTE / 16.20

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