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mercredi 18 juin 2025

6.90 - MON AVIS SUR LE FILM LES TRAFIQUANTS DE RYOO SEUNG-WAN (2023)


 Vu le film Les Trafiquants de Ryoo Seung-wan (2023) avec Kim Hye-su  Yum Jung-ah Jo In-sung  Park Jung-min Go Min-si  Kim Jong-soo 

 

Dans une ville côtière de Corée, dans les années 1970, un groupe de plongeuses traditionnelles, les haenyeos, voit sa principale source de revenus compromise par l'installation d'une usine chimique. Un jour, un trafiquant leur propose de récupérer des objets de contrebande en mer. 

Il y a des films qui, malgré leur ambition, leur casting prestigieux et leur succès en festival — ici un triomphe aux Dragon Movies Awards — laissent un arrière-goût d’incompréhension. Les Trafiquants (titre international : Smugglers) de Ryoo Seung-wan appartient à cette catégorie déconcertante. Le film semble avoir coché toutes les bonnes cases : un réalisateur chevronné (Veteran, Escape from Mogadishu), des actrices de premier plan (Kim Hye-soo et Yum Jung-ah), une direction photo sublime, des couleurs saturées qui traduisent la moiteur d’une époque et les tensions intérieures des personnages… Et pourtant, quelque chose ne prend pas. Quelque chose coule, ou plutôt chavire. 

L’intrigue se déroule dans la Corée des années 1970, au sein d’un petit village côtier où des femmes, autrefois plongeuses d’algues (les "haenyeo"), se retrouvent entraînées dans des affaires de contrebande maritime. Ce cadre original aurait pu donner lieu à un polar haletant, mêlant trahisons, émancipation, et lutte des classes — d’autant que le film revendique une certaine veine féminine, voire féministe. Mais c’est justement là que le bât blesse. 

Car Ryoo Seung-wan, dans sa volonté d’allier le film de genre à une conscience sociale, semble constamment hésiter : Les Trafiquants ne sait jamais s’il veut être une fresque dramatique, une farce à l’américaine, un film noir ou un plaidoyer féministe. Et cette confusion ruine l’ensemble. Chaque scène paraît surjouée ou sous-écrite, chaque changement de ton tombe à plat, et les personnages — pourtant incarnés par des comédiens admirables — semblent sortir d’univers parallèles, sans lien entre eux. 

Le film s’ouvre pourtant sur de belles promesses : les séquences sous-marines sont envoûtantes, presque poétiques. La photographie utilise la lumière iodée pour rendre compte de la rudesse du travail de ces femmes-plongeuses. Le bleu des combinaisons tranche sur les chairs, le grain des visages parle de fatigue, de dignité. On sent une volonté de capter la beauté brute du littoral, de rendre hommage à ces héroïnes oubliées. Mais très vite, la mise en scène devient chaotique, presque paresseuse. Le récit déraille. À vouloir tout dire, Les Trafiquants finit par ne rien dire du tout. 

La direction d’acteurs est également inégale : Kim Hye-soo, pourtant toujours magnétique, semble perdue dans un rôle sans épaisseur. Son personnage de chef de bande manque de conviction, oscillant sans cesse entre détermination et caricature. Yum Jung-ah, son alter ego ambiguë, aurait pu porter à elle seule le film, tant sa présence impose une tension constante. Mais encore faut-il que le scénario lui donne matière à jouer. Ce n’est hélas pas le cas. 

Le film tente d’introduire des éléments comiques, probablement inspirés du cinéma américain (on pense à Tarantino ou aux frères Coen), mais ces moments tombent à plat, décalés dans un contexte pourtant rude. On ne sait jamais si l’on doit rire, compatir ou s’indigner. En mêlant ainsi les genres sans rigueur, Les Trafiquants perd pied. On a parfois le sentiment que Ryoo Seung-wan filme sans comprendre ce qu’il filme — ou du moins sans en mesurer la portée. 

Sur le fond, le féminisme affiché paraît plaqué, théorique. Ce qui aurait pu être un hommage à la force et à la solidarité féminine se transforme en exercice de style forcé, où chaque tentative d’élévation politique est aussitôt contredite par un retournement de scénario outrancier, un effet de manche grotesque, ou une mise en scène qui frôle la parodie. L’image du bateau qui tangue, que vous évoquiez, est une excellente métaphore : Les Trafiquants est un navire sans capitaine, livré à des vents contraires, pris entre la mer du féminisme mal compris et l’océan du divertissement commercial. 

Et pourtant… On ne peut pas nier que certaines idées visuelles frappent. Une poursuite en mer, des gestes chorégraphiés entre femmes dans une grange déserte, ou encore un plan final où l’eau devient miroir de la trahison — tout cela témoigne d’un talent réel. Mais isolé, sans direction claire. C’est un film qui aurait pu être grand, mais qui se perd dans ses ambitions contradictoires. 

Les Trafiquants est une belle coquille, pleine de couleurs, d’effets, de talents, mais creuse à l’intérieur. Un naufrage d’autant plus regrettable qu’il avait tous les vents favorables. Une œuvre symptomatique d’un cinéma qui, à force de vouloir répondre à des attentes politiques et internationales, oublie la sincérité du regard. 

NOTE : 6.90


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