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jeudi 19 juin 2025

16.30 - MON AVIS SUR LE FILM ET POUR QUELQUES DOLLARS DE PLUS DE SERGIO LEONE (1965)

 


Vu le film Et pour Quelques Dollars de Plus de Sergio Leone (1965) avec Clint Eastwood Lee Van Cleef Gian Maria Volonté Luigi Pistelli Mario Brega Benito Stefanini Klaus Kinski Panos Papadopoulos 

Chacun de son côté, le Manchot et le Colonel exercent la même profession : chasseur de primes. Le Manchot n'a guère que cette solution pour tirer profit de son extraordinaire adresse au tir et de son cynisme à toute épreuve, alors que le Colonel, authentique ancien officier supérieur, aime la chasse à l'homme pour le plaisir qu'elle lui procure. Fréquemment rivaux, les deux hommes sont confrontés à un problème plus complexe qu'à l'accoutumée. 

Il y a des films qui fondent un genre, et d’autres qui le fissurent pour le reconstruire à leur image. Et pour quelques dollars de plus (1965) de Sergio Leone appartient aux deux catégories. Deuxième volet de la fameuse trilogie du dollar, il dépasse le simple statut de suite pour devenir une œuvre autonome, profonde, opératique, où l’action, la vengeance, la mémoire et la musique s’enlacent comme les boucles d’un revolver qu’on arme lentement. 

Dès l’ouverture, Leone installe sa grammaire : temps dilaté, regards prolongés, silences pesants, violence surgissant comme un coup de tonnerre. Deux chasseurs de primes, que tout oppose, convergent vers un même but : capturer El Indio, bandit halluciné et cruel, rongé par un passé qu’il tente d’effacer à coups de meurtres. L’un est le Manchot, joué par Clint Eastwood, silhouette déjà légendaire, qui semble ne se servir que d’un bras — l’autre reposant presque toujours sur la crosse du pistolet, comme s’il formait avec l’arme une entité unique. L’autre est le colonel Mortimer, interprété avec une majesté vénéneuse par Lee Van Cleef : regard fixe, barbe taillée au couteau, et derrière ce calme glacial, une faille, une douleur ancienne, un secret. 

Car derrière cette course à la prime, Leone tisse l’histoire d’une vengeance intime : Mortimer est à la poursuite d’Indio pour des raisons qui dépassent l’argent — le bandit a violé sa sœur, la poussant au suicide. Ce que Leone filme ici, c’est donc un deuil armé, une justice personnelle noyée dans la poussière de l’Ouest, portée par des visages impassibles et une mise en scène millimétrée. Les flashbacks, discrets mais puissants, viennent creuser le temps, faire remonter les blessures. Et c’est là que surgit la boîte à musique, objet fétiche, ritournelle obsédante que Morricone fait résonner comme un appel aux armes, mais aussi comme une berceuse pour fantômes. 

Morricone, justement. Son travail ici est fondamental. Il ne signe pas simplement une bande originale, il compose un tissu sonore, un chœur invisible qui parle à la place des personnages. Il ponctue les silences, il prolonge les regards, il met en musique l’attente. La mélodie de la boîte à musique, entêtante, mélancolique, devient même une mécanique de duel, chronomètre tragique où les notes déterminent le moment de tirer. Peu de films ont su à ce point fusionner l’image, le son et le rythme en une chorégraphie aussi tendue. 

Le poncho que porte Eastwood joue lui aussi un rôle symbolique. Contrairement à ce que l’on croit parfois, ce n’est pas ici qu’il reçoit ses impacts de balles — c’était dans Pour une poignée de dollars, le premier film de la trilogie, où le personnage utilise une plaque de métal pour se protéger. Ce poncho en sortira marquer, devenu une sorte d’armure légendaire. Dans Et pour quelques dollars de plus, il est encore intact, mais déjà auréolé de mystère, de fonction quasi liturgique. Et dans Le Bon, la Brute et le Truand, préquelle déguisée, Leone orchestrera sa naissance mythologique : Eastwood le ramasse sur un cadavre, comme s’il s’agissait du costume d’un héros tombé, à reprendre et réactiver. Ce vêtement devient ainsi le fil visuel d’une trilogie non-linéaire, un objet fétiche qui lie les figures sans les figer. 

Autre miracle du film : son trio d’acteurs. Clint Eastwood, bien sûr, qui façonne ici un personnage au charisme silencieux, dont la gestuelle suffit à exprimer la détermination. Lee Van Cleef, découvert ici dans un rôle de justicier blessé, impose un mélange de droiture et de douleur qui enrichit considérablement la palette émotionnelle du film. Et puis Gian Maria Volonté, à nouveau — après Pour une poignée de dollars — dans le rôle du grand antagoniste. Rarement un acteur italien aura incarné avec autant d’intensité la folie, la souffrance et la cruauté mêlées. Son Indio est un cauchemar à visage humain, à la fois possédé et pathétique, toujours au bord de l’effondrement. 

La mise en scène de Leone transcende tout cela. Chaque plan est pensé comme une peinture, chaque duel comme un opéra muet. Il filme les visages comme des paysages, les gestes comme des rituels, les silences comme des révélations. Il ne s’agit plus seulement de western, mais de tragédie antique déguisée en film de genre. 

À la fin, quand Mortimer s’éloigne, sa vengeance accomplie, c’est un homme vidé que l’on regarde partir. Il ne triomphe pas : il referme une plaie. Et Eastwood, lui, reste seul, silhouette figée dans le crépuscule — en route pour devenir ce personnage mythique que l’on retrouvera, plus jeune encore, dans Le Bon, la Brute et le Truand. La boucle est bouclée, ou plutôt entamée, car Leone ne raconte pas dans l’ordre, il tisse une légende à travers les fragments d’un mythe recomposé. 

NOTE : 16.30

FICHE TECHNIQUE


DISTRIBUTION


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