Vu le film Les Vikings de Richard Fleisher (1958) avec Kirk Douglas Tony Curtis Ernest Borgnine Janet Leigh Orson Welles Frank Thring Eilleen Way James Donald
Vers 900, des Vikings menés par leur chef Ragnar ravagent régulièrement les côtes anglaises. Lors d'une attaque, Ragnar tue le roi de Northumbrie et viole son épouse Enid, qui donnera naissance à un fils, Éric, alors qu'elle n'en a eu aucun de son époux. La couronne revient à Aella. Afin de mettre son fils à l'abri, Enid l'envoie en Italie, mais il est fait prisonnier par des Vikings et réduit en esclavage.
Les Vikings (1958) de Richard Fleischer est un de ces grands films d'aventure à l’ancienne, dont le charme démodé agit comme une madeleine de Proust pour toute une génération. S’il a effectivement « effroyablement vieilli » selon les canons esthétiques contemporains, il n’en conserve pas moins une puissance d’évocation et une énergie brute qui continuent à faire vibrer, surtout quand on accepte de le revoir avec les yeux de l’enfance. Et ces regards émerveillés – ceux des enfants dans les cinémas de quartier ou au patronage pour ma part étaient sans doute la vraie cible de Fleischer et des producteurs hollywoodiens.
Car oui, Les Vikings, c’est avant tout une fête du samedi après-midi, une sorte de banquet cinématographique où tout est plus grand, plus bruyant, plus coloré que la réalité. Dès les premières minutes, on comprend qu’il ne s’agit pas d’un cours d’histoire, mais d’un opéra barbare, d’une légende de cinéma. Les visages, les décors, les costumes, les drakkars et les rixes sont là pour faire rêver et rugir la salle – et tant pis pour l’authenticité.
L’histoire s’articule autour d’une rivalité fraternelle typique des grandes fresques épiques. Le roi Ragnar (Ernest Borgnine), brutal et païen jusqu’à l’os, viole la reine d’Angleterre et engendre un enfant secret, Eric (Tony Curtis), qui sera élevé sans connaître ses origines. Pendant ce temps, Einar (Kirk Douglas), le fils légitime de Ragnar, incarne toute la violence, la fierté et la cruauté d’un peuple forgé dans la guerre. Bien sûr, les deux frères finissent par s’affronter sans savoir qu’ils partagent le même sang – un ressort dramatique simple mais efficace. Le tout est pimenté par une rivalité amoureuse autour de la belle Morgana (Janet Leigh), princesse saxonne promise au roi d’Angleterre, mais captive des Vikings.
Kirk Douglas, balafré, un œil voilé, une jambe toujours prête à bondir, incarne un Viking tout droit sorti d’une bande dessinée. Il cabotine, grimace, bondit sur les remparts, hurle à la mort, et cela fonctionne à merveille. Il est l’âme barbare du film, incontrôlable, sublime et grotesque à la fois. À ses côtés, Tony Curtis joue la carte inverse : calme, élégant, presque princier dans sa retenue, il offre une belle opposition dramatique. On sent d’ailleurs que Fleischer a parfaitement orchestré ce duel de jeu autant que de style. Janet Leigh, magnifiquement filmée, n’est jamais un simple trophée amoureux : elle tient tête aux hommes, avec une intelligence et une noblesse de ton qui tranchent agréablement avec la caricature qu’on aurait pu redouter.
Et puis il y a les décors, les images, ces paysages norvégiens saisissants, les fjords filmés avec ampleur, les scènes en mer où l’on sent presque le sel et le bois des drakkars. Fleischer, qui a déjà prouvé son savoir-faire avec 20 000 lieues sous les mers ou Bandido, sait filmer le souffle de l’aventure. Même les toiles peintes un peu kitsch ou les transparences maladroites participent du charme désuet du film. C’est l’illusion qui compte, pas le réalisme. Le montage, parfois haché, et la musique martiale de Mario Nascimbene ajoutent à cette atmosphère d’épopée populaire.
Le film est aussi marqué par son goût du spectaculaire : escalade de châteaux à coups de haches, bataille finale digne d’une saga illustrée, scènes de pillage, hurlements, flammes, lames… tout est fait pour impressionner. C’est du cinéma de foire dans le meilleur sens du terme, où chaque scène vise à arracher des cris de surprise ou d’excitation. Et le public de l’époque – jeunes garçons en sueur sur les fauteuils en moleskine – ne s’y est pas trompé.
Car Les Vikings, c’est une célébration sans ironie de la virilité, de l’honneur et de l’aventure brute. Aujourd’hui, on en rirait presque, tant le film est traversé de stéréotypes et de simplifications, mais à l’époque, c’était un enchantement sensoriel et narratif. Et si on accepte de jouer le jeu, de se laisser emporter par ces blonds aux yeux noirs qui crient comme des bêtes dans des décors en carton-pâte, alors le plaisir est toujours là.
Ce n’est pas un chef-d’œuvre, non. Mais c’est un grand film populaire, généreux, naïf, flamboyant, et c’est déjà beaucoup. Fleischer ne cherche pas la subtilité, mais il livre un film au souffle indéniable, digne de la grande tradition hollywoodienne. Alors oui, on oublie les défauts, on monte dans les drakkars, et on repart pour le royaume d’Hydaburg, sabre au clair et cri au cœur.
NOTE : 13.10
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : Richard Fleischer
- Scénario : Calder Willingham et Dale Wasserman (adaptation)
- D'après le roman d'Edison Marshall
- Production : Jerry Bresler et Lee Katz comme producteur associé (non crédité)
- Distribution : United Artists
- Musique : Mario Nascimbene
- Photographie : Jack Cardiff et Walter Wottitz (seconde équipe)
- Montage : Elmo Williams
- Création des décors : Harper Goff
- Coordinateur des combats et des cascades : Claude Carliez et son équipe
- Ernest Borgnine (VF : Pierre Morin) : Ragnar Lodbrok, le roi viking
- Kirk Douglas (VF : Roger Rudel) : Einar, son fils
- Tony Curtis (VF : Jean-Claude Michel) : Eric, esclave (fils illégitime de Ragnar)
- Frank Thring (VF : Jean-Henri Chambois) : Aella, le roi anglais
- Janet Leigh (VF : Claire Guibert) : Morgane, princesse galloise promise à Aella, amoureuse d'Eric
- James Donald (VF : Jean Claudio) : lord Egbert, anglais allié aux vikings
- Alexander Knox (VF : René Arrieu) : frère Godwin
- Maxine Audley (VF : Jacqueline Ferriere) : la reine Enid, mère d'Eric
- Eileen Way : Kitala, la sorcière
- Edric Connor : l'esclave noir
- Orson Welles (VF : Yves Montand) : le narrateur (non crédité)
- Marco Perrin : figurant (non crédité ?)

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