Vu le film Ascenseur pour l’Echafaud de Louis Malle (1957) avec Maurice Ronet Jeanne Moreau Georges Poujouly Lino Ventura Charles Denner Yori Bertin Jean Wall Sylviane Asenstein Jacqueline Staup Elga Andersen Gérard Darrieu Jean Claude Brialy Hubert Deschamps
Julien Tavernier et sa maîtresse, Florence Carala, la femme de son patron, ont imaginé un plan diabolique pour supprimer le mari gênant. Une fois le meurtre commis, Julien, revenu sur ses pas pour faire disparaître une pièce à conviction malencontreusement oubliée, se retrouve bloqué dans l'ascenseur par une coupure de courant. Au dehors, un blouson noir, Louis, vole la voiture de Julien et y fait monter sa petite amie Véronique. Florence reconnaît la voiture mais ne distingue pas le conducteur.
Dès ses premières minutes, Ascenseur pour l’échafaud installe une atmosphère unique, crépusculaire, presque suspendue dans le vide, comme le personnage principal, coincé entre deux étages, dans un ascenseur devenu métaphore de sa chute. À 25 ans, Louis Malle, souvent sous-estimé ou réduit à un touche-à-tout du cinéma français, signe ici un premier long-métrage fulgurant, un polar existentiel et sensuel, baigné de fatalité et d’ombres profondes, qui marquera à jamais l’histoire du film noir à la française. Un film nocturne, silencieux, rongé par l’attente et le poids du hasard.
Julien Tavernier (interprété par un impeccable Maurice Ronet), ancien militaire désormais homme de main dans une entreprise d’armement, tue le mari de sa maîtresse Florence Carala (la sublime Jeanne Moreau) dans ce qui devait constituer un crime parfait : un assassinat maquillé en suicide. Mais voilà, une étourderie, une corde oubliée, et tout bascule : Tavernier se retrouve piégé dans l’ascenseur de l’immeuble où il vient de commettre son forfait. Pendant ce temps, Florence l’attend au café d’en face, déambule dans Paris, croyant avoir été abandonnée, son visage ravagé par l’angoisse. Moreau est bouleversante dans ces longues scènes muettes, magnifiée par la caméra de Malle qui la suit en plan serré, errant dans une ville devenue étrangère. C’est un film où le silence parle autant que les mots, où l'hors-champ, le regard, l’absence font le récit.
En parallèle, un autre drame se joue. Deux jeunes gens, Louis (Georges Poujouly, glaçant et fragile) et Véronique (Yori Bertin), dérobent la voiture de Tavernier, s’enfuient, vivent leur rêve de cavale, se heurtent très vite à la réalité. Dans une chambre d’hôtel, un double meurtre, une erreur d’identité, et le piège du destin se referme sur eux aussi. Le hasard, dans ce film, est un protagoniste à part entière. Personne n’échappe à ce qu’il est. Personne ne gagne. Et la police, incarnée par un duo Ventura–Denner inattendu mais savoureux, reste impuissante face à la mécanique tragique de la faute.
Ce qui rend ce polar unique, c’est la forme, radicale, moderne, presque improvisée. Le tournage s’est déroulé en partie dans les rues de Paris, caméra légère à l’épaule, à la hâte, comme un film volé à la nuit. Malle, encore proche de l’esprit du documentaire (il vient de co-réaliser Le Monde du silence avec Cousteau), capte une ville réelle, moite, tremblante, étrangère aux clichés. C’est un Paris nocturne, solitaire, désincarné. La séquence où Florence erre sur les Champs-Élysées, la pluie battant son visage, est entrée dans la légende.
Et surtout, il y a la musique, inoubliable, quasi mystique. Miles Davis, en visite à Paris, improvise la bande-son en direct devant les images du film. En une nuit d’enregistrement mythique, il pose son souffle sur le film, le traverse de ses notes fantomatiques. Le jazz de Miles n’accompagne pas les images, il les habite, il leur donne leur mélancolie, leur tension, leur tragique beauté. C’est l’un des plus beaux mariages entre image et musique de tout le cinéma.
Le scénario, coécrit avec Roger Nimier, est à la fois simple et implacable. Un crime, un oubli, un engrenage. Le film n’a pas besoin d’expliquer. Tout est dans les regards, les silences, les gestes. La culpabilité est une brume qui s’épaissit peu à peu, jusqu’à étouffer tous les protagonistes. Tavernier, pris au piège de l’ascenseur, est comme un rat de laboratoire. Florence, figure spectrale de l’amour perdu, erre dans une ville vidée de sens. Louis et Véronique, ces jeunes désœuvrés, apportent la tragédie de l’innocence pervertie.
Ascenseur pour l’échafaud est un film noir comme l’âme humaine, mais aussi d’une étonnante modernité formelle. Il annonce à sa manière la Nouvelle Vague, sans en partager les codes théoriques, en conservant une rigueur de mise en scène, une sécheresse du montage, et une élégance rare. Ce n’est pas un film bavard. C’est un film qui respire par les marges, qui dit l’essentiel en creux.
Il est fascinant de voir à quel point Louis Malle, souvent oublié dans les panthéons cinéphiles, a frappé si fort d’emblée. Il ne cédera jamais à une école, toujours entre plusieurs genres, explorant l’intime, l’interdit, le social, le documentaire, la mémoire… Mais avec Ascenseur pour l’échafaud, il pose les bases d’un cinéma noir et lumineux, classique et avant-gardiste, un cinéma de la sensation.
Un film culte. Une musique inoubliable. Un chef-d’œuvre de nuit.
NOTE : 15.40
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : Louis Malle
- Conseiller technique : Jean-Paul Sassy
- Scénario : Louis Malle et Roger Nimier, d'après le roman Ascenseur pour l'échafaud de Noël Calef, paru à la Librairie Arthème Fayard, 1956 (réédité par Le Livre de poche (no 1415), 1978)
- Dialogues : Roger Nimier
- Préadaptation : Noël Calef
- Assistants réalisateur : Alain Cavalier, François Leterrier
- Décors : Rino Mondellini, Jean Mandaroux, assistés de Pierre Guffroy
- Accessoiriste : Jacques Martin
- Photographie : Henri Decae, assisté de Jean Rabier
- Opérateur : André Villard
- Son : Raymond Gauguier
- Montage : Léonide Azar
- Musique : Miles Davis, interprétée par Miles Davis (trompette), Barney Wilen (saxophone ténor), René Urtreger (piano), Pierre Michelot (contrebasse), Kenny Clarke (batterie)
- Maquillage : Boris de Fast
- Photographes de plateau : Jean-Louis Castelli, Vincent Rossell
- Scripte : Francine Corteggiani
- Régisseur : Hubert Mérial
- Affichiste : Clément Hurel
- Production : Jean Thuillier
- Société de production : Nouvelles Éditions de Films
- Directeur de production : Irénée Leriche
- Distribution : Lux Compagnie Cinématographique de France
- Distribution VHS France: Fil à Film (Collection Les Films de ma Vie)
- Tournage du 23 septembre au 15 novembre 1957
- Copyright : Nouvelles Éditions de Films
- Pellicule 35 mm, noir et blanc, son mono, 1,37:1 procédé sphérique, projeté en 1,66:1 lors de son exploitation
- Jeanne Moreau : Florence Carala
- Maurice Ronet : Julien Tavernier, employé de Simon Carala et amant de sa femme Florence
- Georges Poujouly : Louis
- Yori Bertin : Véronique, la jeune fleuriste
- Lino Ventura : le commissaire Cherrier
- Iván Petrovich : Horst Bencker, le touriste allemand
- Jean Wall : Simon Carala
- Elga Andersen : Frieda Bencker
- Félix Marten : Christian Subervie, ami « imbibé » de Julien
- Gérard Darrieu: Maurice, le gardien d'immeuble
- Micheline Bona : Geneviève
- Hubert Deschamps : le substitut du procureur
- Marcel Cuvelier : le réceptionniste du motel
- Charles Denner : l'inspecteur qui interroge Tavernier
- François Joux : le commissaire
- Marcel Journet : le président du conseil d'administration
- Jean-Claude Brialy : un client du motel joueur d'échecs (non crédité)
- Sylviane Aisenstein : Yvonne, la fille du bar, amie de Christian
- Gisèle Grandpré : Jacqueline Mauclair
- Jacques Hilling : le vendeur de voitures
- Jacqueline Staup : la barmaid du « Royal Camée »
- Nicolas Bataille : un consommateur à la brasserie
- Alice Reichen : la fleuriste
- Lucien Desagneaux : un journaliste
- Marcel Bernier : un policier du commissariat
- Roger Jacquet : Gaston, un serveur du « Royal Camée »
- Pierre Frag : un consommateur à la brasserie
- Jimmy Perrys : un consommateur
- Christian Brocard : un consommateur
- Robert Balpo : un consommateur
- Olivier Darrieux : le chauffeur
- Guy-Henry: un inspecteur
- et quelques comédiens du théâtre de la Huchette venus faire de la figuration bénévolement.

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