Vu le film L’Etrangleur de Boston de Richard Fleisher (1968) avec Tony Curtis Henry Fonda Mike Kellin George Kennedy Richard X Slattery Murray Hamilton Sally Kellerman George Voskovec
Dans les années 1960, Albert DeSalvo, ouvrier-plombier, est victime d'un dédoublement de la personnalité. Il va assassiner de nombreuses femmes à Boston et ses environs. Le procureur général du Massachusetts Edward Brooke nomme John S. Bottomly à la tête d'un bureau spécial pour tenter de coordonner l'enquête qui s'étendait sur plusieurs juridictions.
"Il avait le visage de tout le monde. C’est ce qui le rendait invisible."
Avec L’Étrangleur de Boston, Richard Fleischer ne signe pas un banal film de tueur en série, mais une œuvre expérimentale, profondément ancrée dans une époque où l’Amérique doutait de ses institutions, de sa police, de ses hommes. Inspiré du véritable cas d’Albert DeSalvo, soupçonné d’avoir assassiné treize femmes entre 1962 et 1964, le film débute comme une enquête classique avant de glisser, imperceptiblement, vers un vertige psychologique et formel inédit dans le cinéma américain grand public de l’époque.
La première moitié du film est presque clinique. Fleischer y adopte une distance journalistique, froide, fragmentée, avec un usage audacieux du split-screen (écran divisé), technique rare à l’époque, qui permet de suivre plusieurs pistes, suspects ou scènes simultanément. Ce dispositif crée une impression de chaos organisé, un foisonnement d’indices, de témoignages, de frustrations policières. On assiste à l’embourbement d’une enquête incapable de saisir un monstre qui n’a pas de visage. Ou plutôt : un monstre qui a trop de visages possibles, et donc aucun. Le film devient alors un miroir des névroses urbaines et du désarroi judiciaire.
Puis, subrepticement, un visage émerge. Un homme discret, marié, père de famille, plombier de profession. Pas de cicatrices, pas de regard fou, pas de perversion apparente. Tony Curtis, l’ex-apollon hollywoodien, l’amuseur aux yeux brillants, explose ici toutes les attentes. Il campe Albert DeSalvo avec une retenue glaçante, une vulnérabilité troublante, et une forme de banalité effrayante. C’est cette normalité du mal qui sidère. Son regard est vide, mais pas démoniaque. Son corps est celui d’un homme qui rentre tard du travail, pas d’un monstre tapi dans la nuit.
Fleischer n’entre pas frontalement dans la psyché du tueur, mais il l’effleure avec une rigueur presque documentaire. Pas de musique angoissante, pas de suspens à effet, mais une sorte de désagrégation progressive du réel. À mesure que l’enquête se concentre, le film change de forme : il passe de l’extérieur (la ville, les faits) à l’intérieur (l’homme, les fissures). Dans une séquence magistrale d’interrogatoire, où Curtis est confronté à ses propres actes, le visage de l’acteur devient une scène à lui seul
Le film ne tranche pas. Il se déploie dans le doute, dans l’inconfort, dans les failles du système judiciaire et policier, et même dans les contradictions humaines. Fleischer préfère l'ambiguïté à la thèse, l’immersion à la démonstration, et c’est ce qui rend son film encore si moderne aujourd’hui.
On pourrait aussi noter la musique discrète, les décors mornes, la photographie blafarde, tout cela participe à créer un climat cliniquement anxiogène,
Albert DeSalvo a avoué être l’étrangleur, mais son témoignage a toujours été controversé. Plusieurs experts et enquêteurs ont douté de sa responsabilité unique. Son ADN a seulement été relié à une victime, laissant planer le mystère sur les autres meurtres. De plus, sa personnalité complexe, troublée, nourrit encore aujourd’hui des débats sur sa culpabilité.
NOTE : 16.20
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : Richard Fleischer, assisté de David S. Hall
- Scénario : Edward Anhalt, d'après le roman de Gerold Frank (en)
- Musique : Lionel Newman
- Direction artistique : Richard Day et Jack Martin Smith
- Costumes : Travilla
- Photographie : Richard H. Kline
- Montage : Marion Rothman
- Production : James Cresson et Robert Fryer (en)
- Société de production : Twentieth Century Fox
- Tony Curtis (VF : Marc de Georgi) : Albert DeSalvo
- Henry Fonda (VF : Roland Ménard) : John S. Bottomly
- George Kennedy (VF : Georges Aminel) : l'inspecteur Phil DiNatale
- Mike Kellin (VF : René Arrieu) : Julian Soshnick
- Richard X. Slattery (VF : Raymond Loyer) : le capitaine Ed Willis
- Murray Hamilton (VF : Jean-Claude Michel) : le sergent Frank McAfee
- Sally Kellerman : Dianne Cluny
- George Voskovec (VF : Philippe Dumat) : Peter Hurkos
- Carolyn Conwell (VF : Arlette Thomas) : Irmgard De Salvo
- Austin Willis (en) (VF : Jean Martinelli) : Dr Nagy
- William Marshall (VF : Georges Aminel) : Edward W. Brooke
- Lara Lindsay : Bobbie Eden
- Eve Collyer (VF : Paule Emanuele) : Martha Ridgeway
- Shelley Burton (VF : Jean-Louis Jemma) : David Parker
- William Hickey (VF : Pierre Trabaud) : Eugene T. O'Rourke
- William Traylor (VF : Marc Cassot) : Arnie Carr
- Hurd Hatfield (VF : Gabriel Cattand) : Terence Huntley
- Gwyda Donhowe (VF : Perrette Pradier) : Alice Oakville
- George Furth (VF : Serge Lhorca) : Lyonel Brumley
- Tim Herbert (VF : Roger Crouzet) : Cedric
- Matt Bennett (VF : Jacques Richard) : Harold Robin
- Dana Elcar (VF : Albert de Médina) : Luis Schubert
- Jeff Corey (VF : Henri Virlogeux) : John Asgeirsson
- Leora Dana : Mary Bottomly
- Jeanne Cooper : Cloe
- James Brolin : le sergent Lisi
- Alex Rocco (VF : Jacques Deschamps) : le lieutenant Lurie
- Enid Markey : Edna
- Almira Sessions : Emma Hodak

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