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mardi 10 juin 2025

14.10 - MON AVIS SUR LE FILM DU RIFIFI CHEZ LES HOMMES DE JULES DASSIN (1955)

 


Vu le film Du Rififi chez les Hommes de Jules Dassin (1955) avec Jean Servais Jules Dassin Robert Manuel Carl Mohner Marie Sabourée Robert Hossein Janine Darcet Pierre Grasset Dominique Maurin 

Tuberculeux, ex-caïd et ex-taulard, Tony le Stéphanois se lance dans un dernier gros coup avec le braquage d'une bijouterie parisienne en compagnie de ses fidèles complices Jo le Suédois, Mario et César lesquels partagent la même devise : pas d'armes, pas de sang, pas de trahison. Le plan semble parfait et tout se déroule comme prévu jusqu'à ce qu'une bande rivale ne soit avertie du plan de Tony et décide de se joindre aux réjouissances. 

Du rififi chez les hommes : noir de monde, noir de cœur, noir de style 

En 1955, Jules Dassin, cinéaste américain exilé en France à la suite du maccarthysme, signe avec Du rififi chez les hommes l’un des sommets du film noir à la française. Adapté du roman d’Auguste Le Breton — qui connaissait  « le milieu », comme on dit pudiquement —, le film s’impose d’emblée comme un chef-d’œuvre du genre, où le polar ne relève plus du fantasme mais d’une réalité brute, glacée, sans glamour, sans espoir. 

L’histoire ? Elle tient en peu de mots. Tony le Stéphanois (Jean Servais), ex-cambrioleur fatigué, sort de prison, usé, désargenté, et découvre que son ancien amour (Marie Sabouret) est désormais la maîtresse de son ex-complice Jo le Suédois (Carl Möhner). Rapidement, un nouveau « coup » se monte : le casse de la bijouterie Mappin & Webb, dans le quartier chic de la rue de la Paix. Un plan parfaitement huilé, une équipe restreinte mais efficace : Mario (Robert Manuel), l’homme de confiance ; César le Milanais (interprété par Dassin lui-même, sous le pseudonyme de Perlo Vita), discret mais cleptomane. Le braquage réussit — mais comme toujours dans le polar noir, c’est après que tout déraille. 

Ce qui fait la force de Rififi, c’est que les personnages ne sont pas des figures héroïques ou des gangsters mythologiques. Ce sont des types, des hommes cabossés, rugueux, qui vivent dans des chambres étroites, fument leur ennui dans les bistrots, traînent leur solitude dans des rues humides. Pas de romantisme ici. Seulement la grisaille d’un monde où l’on ne sort jamais indemne, même d’un coup parfait. 

Et pourtant, dans cette grisaille, Dassin fait briller l’un des moments les plus célèbres du cinéma mondial : la séquence du casse, muette pendant près de 25 minutes. Pas une note de musique, pas un mot : juste les gestes, les regards, les bruits feutrés des outils, l'horloge du suspense. C’est un moment de grâce cinématographique, tendu comme une corde de guitare, qui résume à lui seul la rigueur et l’inspiration de Dassin : une mise en scène d’une précision chirurgicale, où rien n’est démonstratif, où tout est suggéré. Il ne signe pas un film à sa gloire : il s’efface derrière l’action, derrière l’humain. 

Autre force du film : les dialogues. Écrits à la serpe, ils ont la rugosité de la rue, la gouaille des bas-fonds et l’élégance d’un argot presque perdu. Auguste Le Breton en connaissait les sons, les silences, les menaces voilées. On y parle vrai, sans effet de manche, et les répliques résonnent comme des gifles : on croit ces types, on les sent respirer, suer, trembler. 

Côté casting, Dassin a l’intelligence de ne pas surcharger son film de têtes d’affiche. Jean Servais, immense comédien au visage taillé au couteau, incarne Tony avec une noblesse éteinte, un regard fatigué qui en dit long sur les trahisons et les années perdues. Carl Möhner est parfait en second nerveux, Robert Manuel ajoute une touche d’humanité dans ce monde d’ombres, et Jules Dassin, en César, offre une partition silencieuse mais capitale. Mention spéciale aussi à Pierre Grasset, parfait en caïd retors, et à Robert Hossein dans l’un de ses premiers rôles. 

Et puis il y a Magali Noël, l’éclat au milieu de l’ombre. Dans une séquence de cabaret inoubliable, elle chante « Le Rififi », chanson jazzy, écrite par Jacques Larue sur une musique de Philippe-Gérard. Cette parenthèse sensuelle, suspendue, presque irréelle, agit comme un contrepoint au cynisme ambiant. Elle est la lueur fragile, le parfum de nuit, le dernier souffle de plaisir avant que le drame ne se referme. 

Pas étonnant que Du rififi chez les hommes ait reçu le prix de la mise en scène au Festival de Cannes. C’est un film d’une maîtrise absolue, sans esbroufe, sans gras. Un polar noir, tendu, où la violence n’est jamais gratuite, où l’amitié se paie cher, et où le destin frappe sans pitié. 

Un chef-d’œuvre d’humilité, de tension et de noirceur. Pas un film de truands, mais un film sur les hommes — et ce qu’il reste d’eux une fois que l’honneur, l’amour et la chance se sont fait la malle 

NOTE : 14.10

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