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mardi 24 juin 2025

17.90 - MON AVIS SUR LE FILM LA PRISONNIERE DU DESERT DE JOHN FORD (1956)

 


Vu le film La Prisonnière du Désert de John Ford (1956) avec John Wayne Jeffrey Hunter Natalie Wood Patrick Wayne Vera Miles Lana Wood Ward Bond Ken Curtis Henry Brandon Harry Carrey Jr Walet Coy 

Il y a trois ans que la guerre de Sécession a pris fin. Ethan Edwards, ancien soldat confédéré ne rentre que maintenant au pays, c'est-à-dire au ranch de son frère Aaron. Celui-ci y vit avec son épouse et leurs quatre enfants : deux filles, Lucy et Debbie, et deux fils dont un adoptif, Martin Pawley un gaillard de 18-20 ans (avec un huitième de sang cherokee dans les veines). Au souper, les propos d'Ethan trahissent son animosité vis-à-vis des Indiens. 

La Prisonnière du désert (The Searchers, 1956), chef-d’œuvre absolu de John Ford, ne cesse d’éblouir par sa richesse thématique, sa puissance visuelle et sa portée mythique. Ce western flamboyant, souvent cité comme le plus grand du genre et considéré par beaucoup comme le sommet de la filmographie de Ford, incarne à lui seul la légende de l’Ouest américain, sa violence, ses contradictions, et surtout son mystère. 

Dès les premières secondes, Ford impose un style inoubliable : la caméra s’ouvre sur un intérieur plongé dans l’ombre, une femme ouvre la porte, et l’objectif s’avance doucement, quittant le foyer pour embrasser les vastes étendues de Monument Valley. Ce simple mouvement, à la fois fluide et majestueux, résume le propos du film : la tension entre l’intime et le sauvage, le connu et l’inaccessible. Ce plan, miroir de celui qui conclut le film, est d’une intensité rare : on y voit John Wayne, silhouette sombre, isolée, se détourner du monde des hommes pour repartir, seul, vers l’infini désert. Le western, par cette boucle formelle, devient plus qu’un genre : il devient légende, mythe fondateur d’une Amérique intérieure. 

L’histoire est pourtant simple en apparence. En 1868, Ethan Edwards revient dans sa famille, dans une région frontalière du Texas ravagée par les raids comanches. Peu après son retour, sa nièce Debbie est enlevée lors d’une attaque sanglante. Dès lors, Ethan se lance dans une quête obsédante pour retrouver l’enfant disparue. Cette quête durera cinq années. Elle sera ponctuée de doutes, de révélations, de conflits humains et moraux. Car ce que cherche Ethan, ce n’est pas seulement sa nièce : c’est un sens, une rédemption, peut-être même une fin à son propre exil intérieur. 

John Wayne livre ici l’une de ses compositions les plus profondes et les plus dérangeantes. Loin du héros sans tâche, Ethan Edwards est raciste, brutal, parfois glaçant. Il irradie cependant une force indéniable : celle d’un homme hanté par la guerre, par l’amour perdu (suggéré avec pudeur dans sa relation avec la femme de son frère), et par une Amérique qui change sans lui. Il est l’homme de l’ancien monde, celui qui n’a pas sa place dans la maison – d’où il entre et sort, mais où il ne peut jamais rester. Ford, avec un art consommé de l’ellipse et du silence, construit autour d’Ethan une figure aussi fascinante qu’ambivalente. Le personnage ne parle jamais de ses blessures intimes, et c’est ce silence qui fait de lui une icône. 

Face à lui, Jeffrey Hunter est magnifique dans le rôle de Martin Pawley, le jeune homme métis, à la fois naïf et courageux, qui représente une autre vision de l’Ouest : celle du mélange, de la réconciliation possible, d’un futur où l’identité est moins rigide. Le duo qu’il forme avec Ethan donne lieu à des scènes aussi tendues qu’émouvantes, où la confrontation générationnelle et morale est palpable. Hunter, avec ses yeux bleus et son jeu sincère, parvient à exister face à la stature imposante de Wayne, ce qui n’était pas gagné. 

Sur le plan féminin, Vera Miles apporte une touche de légèreté et d’humour dans un film souvent sombre. Quant à Natalie Wood, bouleversante en Debbie adolescente, elle irradie d’une beauté sauvage. Son regard perdu, lorsqu’elle revoit enfin son oncle après tant d’années chez les Comanches, glace le sang. Elle incarne cette innocence volée, cet entre-deux culturel, cette frontière que Ford interroge tout au long du film. Son personnage donne au film une aura tragique et poétique. 

Le Technicolor de Winton C. Hoch est à couper le souffle. Les rouges des couchers de soleil, les bleus tranchants du ciel, les ocres des rochers : chaque image est une peinture, une fresque vivante de l’Amérique rêvée et redoutée. Monument Valley n’a jamais été aussi sublime, aussi sculptural, aussi oppressant. Ford y retrouve un espace mythologique où l’homme paraît minuscule face à l’immensité. La variété des paysages (montagnes, déserts, forêts) reflète les états d’âme des personnages, amplifie leur solitude, leur désir ou leur rage. 

Mais ce qui fait de La Prisonnière du désert un film unique, c’est sa capacité à contenir à la fois le plus grand spectacle et les plus intimes tragédies. C’est un western, oui, mais aussi une méditation sur la haine, le pardon, la filiation, le déracinement. La violence des guerres indiennes est montrée sans fard, mais Ford ne diabolise jamais totalement les Comanches : il les montre comme des figures également prises dans un cycle de vengeance. Ce regard, pour l’époque, était déjà subtil. 

Le dernier plan, encore une fois, transcende tout. La caméra reste à l’intérieur. La porte se referme sur Ethan, qui repart seul, tel un fantôme. Il n’appartient plus à ce monde. Il est devenu légende. À lui seul, ce plan est une leçon de cinéma, une conclusion d’une puissance mythologique. 

La Prisonnière du désert n’est pas qu’un western. C’est un poème cinématographique, une œuvre sur l’Amérique, sur ses démons, sur la possibilité (ou non) de la réconciliation. Il a influencé une myriade de cinéastes – de Spielberg à Scorsese, de Lucas à Malick. Mais surtout, il reste vivant. Parce qu’il parle de la quête, de l’exil, du regard perdu des êtres que l’on aime. Et de cette porte qui, à jamais, sépare l’homme du foyer. 

NOTE : 17.90

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