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vendredi 27 juin 2025

14.30 - MON AVIS SUR LE FILM ARSENIC ET VIEILLES DENTELLES DE FRANK CAPRA (1941)


 Vu le film Arsenic et Vieilles Dentelles de Frank Capra (1941) avec Gary Grant Peter Lorre Priscilla Lane Jean Adair Josephine Hull Raymond Massey John Alexander 

 

Mortimer Brewster vient annoncer à ses tantes, Dorothy et Martha, deux charmantes vieilles filles qui l'ont élevé, son prochain mariage avec la fille du révérend Harper. Cependant, il découvre, caché dans un coffre sous la fenêtre, le cadavre d'un vieil homme. Ses tantes lui avouent alors qu'elles se sont fait une spécialité de supprimer les vieux messieurs seuls au monde en vue de leur rendre service. 

S’il est admis que La Vie est belle représente l’archétype du conte de Noël selon Frank Capra, on pourrait légitimement affirmer qu'Arsenic et vieilles dentelles en est le pendant automnal : une fable macabre et hilarante, à mi-chemin entre la comédie de mœurs et le film d’Halloween. L’action se déroule précisément le 31 octobre, dans une vieille maison de Brooklyn dont les habitants sont aussi charmants que profondément dérangés. Inspiré d’une pièce à succès de Joseph Kesselring, le film emprunte beaucoup à son origine théâtrale (unité de lieu, de temps, de ton), mais Capra réussit brillamment à en faire un objet cinématographique déjanté, aussi rythmé que délirant. 

L’intrigue est d’une richesse rare pour une comédie : Mortimer Brewster (Cary Grant), critique théâtral cynique et notoire opposant au mariage, vient pourtant de convoler avec sa fiancée Elaine. En passant chez ses deux tantes adorées pour leur annoncer la nouvelle, il découvre avec horreur qu’elles empoisonnent régulièrement des pensionnaires solitaires, par pure bonté d’âme. Pire : son frère Jonathan, criminel en fuite au visage refait (et ressemblant à Boris Karloff), débarque à son tour avec son acolyte, le sinistre docteur Einstein (joué par un Peter Lorre impeccable de nervosité), et transporte un cadavre qu’il espère enterrer discrètement dans la cave familiale. À tout cela s’ajoute le troisième frère, Teddy, qui se prend pour le président Theodore Roosevelt et s’exclame "Charge !" à chaque montée d’escalier. 

Dans ce chaos organisé, Mortimer tente de gérer sa crise existentielle, son mariage compromis, la police qui rôde, et cette maison devenue le centre névralgique de la folie ordinaire. Capra, cinéaste de l’idéal américain, du rêve démocratique et de la bonté populaire (Mr. Smith au Sénat, Vous ne l’emporterez pas avec vous), semble ici se délecter à pervertir ses thèmes fétiches. Il laisse libre cours à une fantaisie macabre où les valeurs traditionnelles sont retournées comme des gants. 

La mise en scène de Capra est d’une précision chirurgicale. Il joue des entrées et des sorties avec une fluidité héritée du théâtre, mais utilise le langage cinématographique avec malice : les hors-champs deviennent des zones de tension ou d’ironie, les bruitages accentuent les ruptures de ton, et les répétitions de situations (la cave, les allées et venues du même policier, les cris de Cary Grant) renforcent une impression de cercle infernal. C’est un film en perpétuel mouvement, qui semble toujours au bord de l’implosion — mais qui retombe chaque fois sur ses pattes, dans un numéro d’équilibriste réjouissant. 

Cary Grant livre ici l’un de ses rôles les plus exubérants. Lui, d’ordinaire si élégant, si sûr de lui, devient une boule de nerfs, un cabotin magnifiquement orchestré, qui passe de l’angoisse à l’hystérie en une grimace. Il joue à fond le comique de situation, du corps et du visage, et semble prendre un plaisir fou à se perdre dans cette spirale absurde. Les deux tantes, interprétées par Jean Adair et Josephine Hull (reprises de la version théâtrale), incarnent à merveille cette monstruosité douce, cette politesse meurtrière qui rend leur personnage à la fois hilarant et profondément dérangeant. 

Raymond Massey, dans le rôle du frère psychopathe, évoque Boris Karloff — ce qui est d’autant plus savoureux que Karloff jouait réellement le rôle à Broadway. Ce clin d’œil méta ajoute une couche de second degré, renforcée par la présence toujours inquiétante de Peter Lorre. 

Au-delà du rire, Capra explore ici la part sombre des liens familiaux et de la normalité. La maison devient métaphore d’un monde où les apparences trompent, où la bonté peut tuer, où la folie est institutionnalisée. Mais il n’en tire pas de morale amère. Au contraire, le film respire la jubilation d’un metteur en scène qui s’amuse des codes — et des spectateurs. 

Arsenic et vieilles dentelles est une perle noire de la comédie classique. Il conjugue avec brio le théâtre de boulevard, le thriller gothique, la satire sociale et le burlesque le plus pur. C’est un film d’Halloween, oui, mais sans citrouille ni sorcière : juste une maison remplie de doux dingues, de cadavres planqués et de répliques cinglantes. Une folie joyeuse, réglée comme du papier à musique. Un chef-d’œuvre de comédie noire, qui n’a pas pris une ride. 

NOTE : 14.30

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