Vu le film L’Alpagueur de Philippe Labro (1976) avec Jean Paul Belmondo Bruno Cremer Patrick Fierry Victor Garrivier Jean Negroni Marcel Imhof Jean Pierre Jorris
Roger Pilard dit l'Alpagueur est un chasseur de primes qui œuvre pour le compte de la police. Il doit coincer l'Épervier, ennemi public numéro un, qui utilise des petits délinquants pour perpétrer ses forfaits et les exécute systématiquement ensuite. Emprisonné sous une fausse identité dans la même cellule que Costa Valdès, le seul de ses complices qui ait échappé à l'Épervier, l'Alpagueur gagne sa confiance et décide de s'enfuir avec lui...
L'Alpagueur (1976), réalisé par Philippe Labro, s’inscrit dans cette veine de polars français des années 70 qui cherchent, avec plus ou moins de bonheur, à transposer des archétypes du cinéma américain dans un contexte hexagonal, à coups de flingues, de punchlines et de poursuites bien rythmées. Le film tient encore debout aujourd’hui comme une série B haut de gamme, entre artisanat efficace et volonté affichée de styliser le réel à la manière des thrillers américains.
Labro, admirateur notoire du cinéma des États-Unis — celui de Don Siegel, Richard Fleischer ou Peckinpah —, revendique ici une sorte de cousinage franco-américain à travers le personnage de l’Alpagueur, un chasseur de primes post-gaullien, sorte de Josh Randall sans cheval, envoyé là où la police échoue ou préfère détourner les yeux. L’idée même de ce héros libre, détaché de toute hiérarchie, préfigure les figures de justiciers solitaires à la Bronson, bien qu’avec une décontraction toute française — incarnée à merveille par Jean-Paul Belmondo, à l’aise dans ses santiags et ses phrases sèches.
Le film s’ouvre comme un western urbain. Le décor est planté : des payeurs dans l’ombre engagent l’Alpagueur pour régler leurs problèmes, en dehors du système. Pas tout à fait hors-la-loi, pas tout à fait flic, il évolue dans une zone grise, une marge instable où l’éthique est une notion flottante. Il a traqué des lions en Afrique, il traque désormais des hommes en France. À l’image, Labro soigne les transitions, alterne entre scènes d’action brutales et moments plus relâchés où le héros se confie à demi-mot, sans jamais se départir de son flegme viril.
Face à lui, Bruno Cremer dans le rôle du tueur surnommé "l’Épervier" compose un adversaire froid, intelligent, inquiétant. C’est un assassin cérébral, sans pathos, qui n’a pas besoin de surjouer la cruauté : son regard suffit. Là encore, on sent l’influence américaine : ce duel psychologique, cette montée en tension progressive rappellent des affrontements façon Melville ou Mann, mais avec une patte plus directe, presque journalistique, comme si Labro écrivait en images l’enquête qu’il aurait pu publier dans un grand hebdomadaire.
Il y a dans L'Alpagueur une économie d’effets, une volonté d’aller à l’essentiel : l’action prime, les dialogues claquent, les décors changent à vive allure, des docks de Rotterdam aux ruelles de province, avec cette France des années 70 filmée sans fard, faite de routes nationales, de motels tristes et de gares désaffectées. Une France qui ressemble à celle de José Giovanni ou de Jacques Deray, où les destins se jouent entre deux coups de feu.
Ce qui distingue le film, c’est son rythme : Labro sait raconter, il évite les digressions inutiles, il va droit au but, sans jamais sacrifier la lisibilité. L’intrigue, somme toute simple — un tueur à attraper, des informateurs à utiliser, une taupe à identifier —, prend des détours plaisants grâce à des seconds rôles bien campés, une musique nerveuse signée Michel Colombier, et des séquences d’action où Belmondo s’illustre, cascade oblige.
Belmondo, d’ailleurs, est au sommet de son charisme : entre blague à froid, coups de poing secs et regards noirs, il impose une figure de justicier cool, presque désabusé, qui agit moins pour la justice que pour le jeu, le défi, ou peut-être pour éviter de s’ennuyer. Le film joue avec cette ambiguïté, et c’est là toute sa richesse.
Certes, L'Alpagueur n’a pas la gravité d’un film noir pur ni la noirceur morale d’un Chabrol, mais il possède cette efficacité populaire qu’on aime retrouver. C’est du cinéma de genre bien fait, ni prétentieux ni naïf, un polar "sympatoche" — comme on disait alors —, mais solide, taillé pour le plaisir du public. Il ne cherche pas à révolutionner le genre, mais à en faire honneur, avec les moyens et les codes de son époque.
Aujourd’hui, le film a le charme des années 70 : répliques bien senties, cabines téléphoniques,flics blasés, patrons cyniques, délinquants stylés. Il appartient à ces œuvres qui ont vieilli, mais bien, comme un bon cuir. En redécouvrant L'Alpagueur dans le cadre d’un hommage à Philippe Labro, on se rappelle combien cet homme de lettres et d’images avait le sens du récit et du rythme, et surtout ce goût assumé pour le cinéma populaire, intelligent, tendu, et sans chichis.
NOTE : 12.00
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : Philippe Labro
- Assistant Réalisateur : Philippe Lopes-Curval
- Scénario original : Philippe Labro
- Adaptation : Philippe Labro et Jacques Lanzmann
- Dialogues : Jacques Lanzmann
- Musique : Michel Colombier (Éditions Musicales Hortensia)
- Photographie : Jean Penzer
- Son : Bernard Bats
- Décors : Bernard Evein
- Montage : Jean Ravel
- Photographe de plateau : Vincent Rossell
- Cascades : Rémy Julienne (voitures), Claude Carliez (combats)
- Direction de production : Alain Belmondo
- Société de production : Cerito Films (Paris)
- Studios : Paris-Studios-Cinéma (Studios de Billancourt)
- Générique : Les films Michel François
- Publicité : René Chateau
- Dates de tournage : au
- Lieux de tournage : Allemagne, France
- Format : couleur (Eastmancolor) — 1,66:1 — Son monophonique
- Pellicules : Eastman Kodak 5247
- Jean-Paul Belmondo : L'Alpagueur alias Roger Pilard, puis Johnny Lafont
- Bruno Cremer : Gilbert dit l'Épervier
- Jean Négroni : Spitzer
- Patrick Fierry : Costa Valdes
- Jean-Pierre Jorris : Salicetti
- Victor Garrivier : l'inspecteur Doumecq
- Claude Brosset : Granier, le gardien de prison
- Marcel Imhoff : le directeur de cabinet
- Francis Huger : le commissaire Gavarni
- Jean-Luc Boutté : l'homme de main qui siffle
- Jack Jourdan : l'homme de main en costume propre
- Jacques Dhery : le directeur de la prison
- Patrice Chapelain-Midy : le premier employé de banque
- Suzan Kent : l'entraîneuse
- Muriel Belmondo : la première hôtesse de l'air
- Michèle Delacroix : la seconde hôtesse de l'air
- Mitia Lanzmann : le jeune motard
- Maurice Auzel : le routier Gros Bras
- Claude Guerry : le routier Marcel
- Max Doria : le bijoutier
- Roger Benamou : le premier mafioso aux lunettes noires
- Henri Viscogliosi : le troisième mafioso
- Jacques Destoop : le deuxième mafioso
- Marc Lamole : l'homme de main trouillard
- Dave Larsen : l'homme de main attaché
- Jean-Claude Magret : le deuxième employé de banque
- François Germain : le gardien porte prison
- Charly Koubesserian : le prisonnier empoisonné (caméo)
- René Chateau : un associé de Spitzer (caméo non crédité)
- Claude Carliez : le touriste anglais (caméo non crédité)
- Michel Berreur : un homme de main (non crédité)
- Daniel Vérité : un homme de main (non crédité)
- Antoine Baud : un infirmier de la prison (non crédité)
- Daniel Breton : 2e infirmier de la prison (non crédité)
- Jacques Paoli : lui-même, le journaliste à la radio (non crédité)
- Laura Antonelli : la fausse femme enceinte (non créditée)

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