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jeudi 19 juin 2025

14.00 - MON AVIS SUR LE FILM LE SEPTIEME JURE DE GEORGES LAUTNER (1962)


 Vu le film Le Septième Juré de Georges Lautner (1962) avec Bernard Blier Francis Blanche Danièle Delorme Paloma Mata Jacques Riberolles Françoise Giret Yves Barsacq Jacques Monod Albert Remy Maurice Biraud Henri Crémieux Robert Dalban Anne Doat 

Par un chaud dimanche de septembre, Grégoire Duval, un pharmacien sans histoire de la petite ville de Pontarlier, se promène sur les berges d'un lac de la région. Il aperçoit une jolie jeune femme prenant un bain de soleil, les seins nus. Cédant alors à une soudaine pulsion, il s'approche et se précipite sur elle pour l'embrasser. Comme elle hurle tout en le repoussant, il la saisit et, pour qu'elle cesse de crier, l'étrangle rapidement. 

La justice des notables ou le crime en col blanc 

Si André Cayatte a posé les fondations du film judiciaire français à la croisée du cinéma de prétoire et de la dénonciation sociale (Justice est faite, Nous sommes tous des assassins), Georges Lautner, dans Le 7e Juré, s’infiltre sur ce même terrain avec un scalpel bien à lui : plus vénéneux, plus ambigu, moins moraliste. Le scénario, adapté d’un roman de Francis Didelot, pourrait faire sourire un juriste ou faire hurler un magistrat. Car juridiquement, rien ne tient debout. Et c’est justement cette instabilité, cette incongruité permanente qui fait du film non pas un drame judiciaire réaliste, mais une étude de mœurs redoutablement corrosive sur les classes dominantes et leurs collusions. 

Bernard Blier incarne Grégoire Duval, pharmacien dans une ville de province — notable discret, marié, apparemment sans histoires. Un soir, pris d’une pulsion inexpliquée, il assassine une jeune femme sur les bords de l'étang. Rapidement, un autre est accusé à sa place : un marginal, amant de la victime. La société a trouvé son coupable. Le hasard veut que Duval soit tiré au sort pour être juré au procès de l’homme injustement accusé. Et là commence le vertige : le meurtrier assiste à son propre procès, et petit à petit, on apprend qu’il est proche du juge, du procureur, du policier en charge de l’enquête — ce qui, même à l’époque, était strictement impossible en droit. Il en vient même à poser des questions aux témoins, à suggérer une reconstitution sur les lieux du crime, à manipuler le procès comme une partie d’échecs. N'importe quel étudiant de première année en droit bondirait de sa chaise. 

Mais au fond, Lautner s’en fiche du réalisme procédural. Il ne fait pas un film judiciaire, il fait le procès d’un monde, celui des petites villes françaises où les notables, les hommes en place, les « honorables », s’autogèrent, se couvrent, se comprennent à demi-mots. Le film devient alors une satire noire : le crime n’est pas une déviance mais une émanation naturelle de ce système fermé, où la justice sert surtout à punir les gêneurs, les pauvres, les agités — pas les Duval. 

Blier est formidable de duplicité, tout en rondeur faussement bonhomme, en politesse glaçante. Il joue un homme rongé non pas tant par la culpabilité que par la peur de ne plus appartenir à son monde. Sa femme, son statut, son commerce, tout doit rester intact. Alors il regarde ce procès comme une expérience clinique, frémissant parfois d’un rictus quand les faits l’effleurent trop, mais reprenant aussitôt le contrôle. Ce rôle est l’un de ses grands premiers rôles, une rare occasion de le voir porter un film entier sur ses épaules, et il y excelle. C’est aussi une manière de saluer l’un des plus grands seconds rôles du cinéma français, qui démontre ici qu’il avait les épaules pour incarner l’ambiguïté, le malaise, la noirceur. 

Autour de lui, le casting renforce le malaise : les visages, les dialogues, les silences trahissent une province engoncée dans ses hiérarchies. Georges Lautner, loin de ses comédies à venir, adopte une mise en scène sobre, presque austère, avec un noir et blanc ciselé, et une tension grandissante, jusqu’à un final inattendu qui redistribue les cartes — ou pas. 

Car le vrai sujet du 7e Juré, ce n’est pas le crime, ni même le procès. C’est cette justice de caste, où les véritables coupables sont ceux qui décident qui doit être coupable. Lautner s’attaque à l’hypocrisie tranquille de la bourgeoisie provinciale, cette « honnêteté » de façade qui couvre les pires saletés sous le tapis. Si le film prend des libertés énormes avec le droit, c’est pour mieux appuyer sur l’essentiel : la justice réelle, celle qui s'exerce tous les jours entre gens de pouvoir, dans les dîners, les clubs, les conseils municipaux. 

Et si ce n’était pas une erreur de scénario mais une dénonciation volontaire ? Et si ces absurdités judiciaires n’étaient là que pour mettre en lumière l’absurdité morale de ce monde où le criminel peut juger sans être jugé ? Dans ce miroir déformant que tend Lautner, on ne voit pas la vérité, mais on voit mieux la réalité. 

NOTE : 14.00

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DISTRIBUTION

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