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mercredi 25 juin 2025

15.80 - MON AVIS SUR LE FILM POUR UNE POIGNEE DE DOLLARS DE SERGIO LEONE (1966)


 Vu le film Pour une Poignée de Dollars de Sergio Leone (1966) avec Clint Eastwood Gian Maria Volonté Marianne Koch Antonio Prieto Sieghardt Rupp Wolfgang Lukschy José Calvo Joseph Egger Margarita Lozano  et Mario Braga  

Deux familles rivales, les Baxter et les Rojo , riches et puissantes grâce au trafic d’armes et d’alcool se disputent la suprématie et la mainmise sur la ville. Entre en scène un inconnu, « l’étranger » (l'homme sans nom, néanmoins appelé Joe peu après la 80e minute, campé par Clint Eastwood), qui va attiser cette guerre et provoquer la zizanie entre les deux clans afin de leur soutirer le plus d’argent possible en leur servant tour à tour d’informateur. Au-delà de l’appât du gain mis en avant, l’histoire confère au héros la dimension d’un défenseur du faible et de l’opprimé, qui préfère à toute chose le bien et la justice — notamment lorsqu’il permet à Marisol, séquestrée par le clan Rojo, de rejoindre son époux et son fils déchirés par cette séparation. 

"Pour une poignée de dollars" (Per un pugno di dollari, 1964) n’est pas seulement le point de départ d’une trilogie culte, ni le film qui lança Clint Eastwood comme figure mythique du western, c’est aussi – pour beaucoup, et pour moi en particulier – un premier frisson, une initiation inoubliable à l’univers de Sergio Leone. Il n’est pas rare que le cinéma marque la mémoire à travers ses sons : et ici, ce fut la musique de Morricone, lancinante, sifflée, frappée comme un tocsin au réveil, qui grava en moi, à neuf ansen colo,  une empreinte sonore indélébile. Longtemps avant même de voir le film, j’avais déjà perçu l’aura, la tension, le mystère. Cette expérience d’enfance – unique et vibrante – est exactement ce que le cinéma peut offrir de plus fort : une trace qui traverse les décennies. 

C’est plus tard, adolescent, dans l’écrin de ce lieu magique qu’était (et reste) le Trianon à Paris, que je le découvre enfin Pour une poignée de dollars. Et là, la magie opère pleinement : Leone, Morricone, Eastwood… une trinité naissante qui vous embarque dans un genre nouveau, rugueux, audacieux, inventif. Le western spaghetti. Une version rêche et poussiéreuse du western classique, débarrassée de ses codes moraux, nourrie d’ironie, d’excès et de silences qui en disent long. Ce film, vous ne m'a jamais quitté depuis. 

Leone adapte ici librement Yojimbo de Kurosawa, lui-même inspiré du roman La Moisson rouge de Dashiell Hammett. Ce jeu de miroirs entre cultures – japonaise, américaine, italienne – est d’autant plus savoureux que Pour une poignée de dollars fut d’abord considéré comme un "petit film", un détournement, voire un sacrilège. Pourtant, à partir de cette œuvre au budget dérisoire (200 000 dollars, soit l'exacte somme du trésor que Blondin cherche dans Le Bon, la Brute et le Truand), Leone invente un style. Une grammaire visuelle. Une manière d’étirer le temps, de faire parler les visages autant que les mots. Le western n’en ressortira jamais indemne. 

L’histoire est simple : un étranger sans nom (Joe), solitaire, débarque dans le village de San Miguel, ravagé par une guerre de clans entre les Rojo et les Baxter. Plutôt que de choisir un camp, il joue les deux familles l’une contre l’autre, avec ruse, ironie et balles à foison. Ce récit d’un manipulateur sans attaches, plus ambigu qu’un héros classique, renoue avec le mythe du justicier, tout en le pervertissant subtilement. Joe n’est pas un sauveur désintéressé. Il agit avec un sourire en coin, une ironie constante, une insolence sèche – et c’est ce qui le rend si inoubliable. 

Clint Eastwood, jusque-là acteur de série télé (Rawhide), incarne Joe avec un mélange de flegme, d’économie de gestes, de regard perçant, qui deviendra sa signature. Choisi – dit-on – parce qu’il savait monter à cheval, Eastwood deviendra grâce à Leone l’une des plus grandes figures du cinéma mondial. Il n’a qu’à s’allumer un cigare ou ajuster son poncho pour électriser l’écran. Ce n’est pas un acteur qui joue, c’est un mythe en construction. 

Face à lui, Gian Maria Volonté, acteur italien intense, incarne Ramón Rojo avec une fureur à peine contenue. Son jeu théâtral, bouillonnant, tranche avec la sécheresse d’Eastwood. Ce contraste donne lieu à une confrontation de styles et de philosophies. Et pour moi, adolescent, découvrir Volonté dans ce rôle fut aussi une porte d’entrée vers un autre cinéma : celui de Rosi, de Petri, du cinéma politique italien, qu’il allait marquer de son génie rageur. 

Pour une poignée de dollars a été victime en France d’un problème de doublage, qui l’a tenu longtemps à l’écart de la diffusion. Pendant des décennies, il fut moins visible que ses deux successeurs. Il fallut attendre 2010 pour une sortie DVD digne, et Cannes 2014 pour qu’il clôture le Festival dans une version restaurée, resplendissante. Mais ce retard n’a fait que renforcer son statut de film culte, découvert sur le tard par beaucoup, et adoré à la mesure de sa modestie initiale devenue grandeur absolue. 

La musique de Morricone, bien sûr, est l’autre pilier du film. Le thème principal, avec ses cris, ses percussions, ses dissonances orchestrées, annonce un nouveau langage sonore. Plus qu’un habillage, la musique devient ici actrice, complice, prédatrice parfois. Chaque duel est rythmé, non par le seul montage, mais par la montée dramatique d’un motif musical. Cette symbiose image/son, je l’avais d’abord perçue sans comprendre à l’âge de neuf ans. Puis, elle s’est révélée pleinement sur l’écran du Trianon : un flash esthétique, un coup de foudre. 

Leone filme comme un enfant de Ford élevé à la tragédie antique et à la BD. Il use déjà ici de ses marques de fabrique : très gros plans, visages burinés, humour macabre, ralentis internes, violence baroque. C’est du cinéma populaire élevé au rang d’art total. Le western spaghetti n’est pas un sous-genre, mais une réponse européenne, moqueuse et lyrique, à l’Amérique triomphante. Leone, tout en aimant les westerns, s’en moque. Et il les transcende. 

Aujourd’hui encore, 60 ans après votre première écoute de cette mélodie au réveil, ce film vit en moi. Par ses répliques cultes, son atmosphère unique, ce pancho toujours en mouvement, ce sourire de coin de Joe… Il est à la fois souvenir et permanence, jeunesse et mémoire. Pour une poignée de dollars n’est pas seulement le premier film de la trilogie du Dollar. Il est le premier regard, le premier souffle, l’étincelle originelle. Une poignée de poussière devenue or cinématographique. 

NOTE : 15.80

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