Vu le film La Vie devant Moi de Nils Tavernier (2025) avec Guillaume Galliène Violette Guillon Rod Paradât Sandrine Bonnaire Eric Savin Bernard LeCoq Laurent Bateau Xavier Mathieu
En 1942, Tauba, une adolescente pleine d'énergie, échappe de justesse avec ses parents à la rafle du Vel d'Hiv. Un couple, les Dinanceau, leur propose de les cacher provisoirement dans un minuscule débarras de leur immeuble, sous les toits de Paris, le temps que les choses se calment. Malheureusement, ce qui devait être temporaire s'éternise, et la famille s'enfonce dans le silence et l'immobilité. Mais Tauba est une battante, et rien ne l'empêchera de bousculer son destin.
La Vie devant moi de Nils Tavernier est un drame historique inspiré de l’histoire vraie de Tauba Zylbersztejn, une adolescente juive polonaise réfugiée à Paris, qui a survécu à la Seconde Guerre mondiale en se cachant plus de 700 jours dans un minuscule appartement. Ce film, oppressant et intimiste, plonge le spectateur dans une reconstitution presque physique de la peur, du silence et de l’attente, devenus seuls refuges contre une traque méthodique.
Tavernier, que l’on connaît pour De toutes nos forces ou L'Odyssée de l'amour, change ici totalement de registre. Il abandonne les élans lyriques pour livrer un huis clos épuré, presque ascétique, qui se joue dans une pièce étroite, un rideau baissé, un silence qu’on n’a pas le droit de briser sous peine de mort. Le décor devient un personnage en soi, et l’on sent combien le réalisateur a voulu faire du temps qui passe une matière presque palpable. Ce temps étiré, suspendu, est la première angoisse du film.
Violette Guillon, qui incarne Tauba, est une révélation. À peine adolescente, elle insuffle au personnage une tension à fleur de peau, un regard fiévreux, une intériorité qui bouleverse. Fille de Stéphane Guillon, elle montre ici un jeu sobre et d’une intensité rare, fait d’écoute, de retenue, de révoltes rentrées. Elle ne cherche pas à émouvoir : elle vit ce qu’elle joue. Et cette vérité crue donne au film une puissance émotionnelle certaine, même quand la mise en scène choisit la froideur.
À ses côtés, Adeline d’Hermy, sociétaire de la Comédie-Française, joue la femme française qui accepte de cacher Tauba. Elle est bouleversante de dignité, de complexité morale aussi, dans un rôle qui aurait pu tomber dans la figure héroïque attendue, mais que le film nuance avec finesse. Son jeu tout en demi-teinte est l’un des points forts du récit. Elle incarne les dilemmes silencieux d’une époque où aider, c’était aussi risquer d’entraîner sa famille dans l’abîme.
On pense forcément à d’autres films en regardant La Vie devant moi. À La Rafle, bien sûr, pour le contexte parisien de la persécution des Juifs ; à Le Pianiste, pour cette même idée d’un être enfermé vivant par la seule volonté de survivre ; mais surtout à The Brutalist, récemment sorti, pour la précision formelle et la froideur parfois assumée de la mise en scène. Pourtant, La Vie devant moi s’en distingue par son minimalisme, son économie de plans, et une volonté de filmer le silence, littéralement. Ce n’est pas un film spectaculaire, et ce n’est pas son ambition.
Certains pourront lui reprocher une lenteur dans le rythme, une certaine sécheresse émotionnelle à force de retenue. Mais cette tension sous-glacée est aussi ce qui fait la force du film. Le scénario n'ajoute aucun artifice. Il n’y a pas de scènes "d'émotion facile", ni de grandes effusions. Tout passe par le non-dit, la peur sourde, les regards. Et parfois, cela peut créer un effet d’éloignement – un côté “film de musée” –, mais il n’en reste pas moins que l’expérience sensorielle proposée est saisissante. Le spectateur se retrouve littéralement enfermée avec elles, partageant leur angoisse, leurs silences, leurs rares éclats de rire.
Le film interroge aussi avec justesse la question de la transmission. Tauba, rescapée, est devenue porteuse d’une mémoire intransmissible. Comment raconter ce qu’on ne peut pas mettre en mots ? La mise en scène l’illustre avec beaucoup d’humilité : par un dessin sur un mur, un mot griffonné, une lettre que l’on n’ose pas poster. C’est cette forme de mémoire fragmentaire que le film épouse.
Enfin, il faut saluer la direction artistique, sobre mais efficace, avec une lumière tamisée presque constante, qui donne l’impression d’une nuit sans fin. La musique est discrète, parfois absente, laissant place aux bruits de l’extérieur – des pas dans l’escalier, une sirène, un coup de sifflet – qui deviennent autant de menaces invisibles.
La Vie devant moi n’est pas un film flamboyant, ni un drame historique académique. C’est un film de l’intime, de l’intériorité, un chant ténu de survie et de transmission. Il ne cherche pas à faire pleurer, mais à faire comprendre. Il ne cherche pas à “faire film”, mais à “faire mémoire”. Et à ce titre, il marque durablement.
NOTE : 12.40
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : Nils Tavernier
- Scénario : Nils Tavernier, Guy Birenbaum et Laurent Bertoni
- Musique : Baptiste Colleu et Pierre Colleu
- Photographie : Vincent Gallot
- Décors : Mathieu Menut
- Montage : Thomas Beard
- Costumes : Alice Cambournac
- Sociétés de production : Apollo Films Production, Echo Studio Production, Federation Studios Production et Bonne Pioche Cinéma Production
- Distribution : Apollo Films (France)
- Budget : 3,5 millions d'euros
- Guillaume Gallienne : Moshe Zylbersztejn, le père
- Violette Guillon : Tauba Zylbersztejn
- Adeline d'Hermy : Rywka, la mère
- Sandrine Bonnaire : Rose, l'épouse Dinanceau
- Laurent Bateau : Désiré
- Rod Paradot : Alfred
- Claude Mathieu : Marta
- Bernard Le Coq : le médecin hôpital
- Xavier Mathieu : le médecin débarras
- Éric Savin : Propriétaire appartement

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