Vu le film Bruno Reidal de Vincent Le Port (2021) avec Dimitri Doré Roman Villedieu Alex Fanguin Jean Luc Vincent Tino Vigier René Loyon Tristan Chiodetti Antoine Brunel
En cette fin d'été 1905, le cadavre de François, 12 ans, est retrouvé décapité. Face à la cruauté des faits qui choquent au plus haut point l'opinion publique, les forces de l'ordre mettent tout en œuvre pour retrouver l'auteur de ce geste et appréhendent rapidement Bruno, un paysan de 17 ans.
Présenté à la Semaine de la Critique de Cannes 2021, Bruno Reidal, confession d’un meurtrier fut l’un des chocs artistiques et émotionnels les plus puissants du festival, un film à la rugosité clinique, qui fouille l’âme malade d’un adolescent sans jamais le juger, mais sans jamais l’excuser. Vincent Le Port y explore un fait divers glaçant survenu en 1905 dans le Cantal : le meurtre d’un enfant de douze ans par un séminariste de dix-sept ans, Bruno Reidal. En se fondant sur les écrits autobiographiques du tueur rédigés à la demande de médecins et de magistrats, le film s’attache à comprendre, avec une distance toute pasolinienne, non pas l’acte, mais l’homme, ou plutôt l’adolescent, avant que l’horreur n’éclate.
À travers le cadre froid, implacable, presque documentaire de la mise en scène, Vincent Le Port dessine un tableau austère de la vie rurale, empreinte de silence, de frustrations et de religiosité morbide. L’Église, omniprésente, façonne les désirs, condamne les corps, enferme les âmes. La campagne, loin d’être bucolique, est une prison de pierre et de boue. Dans ce contexte, l’enfant Bruno, puis l’adolescent, grandit en secret avec une violence intérieure qui le ronge : il ressent très tôt une fascination pour le sang, pour la mort, pour l’idée de tuer. Ce n’est ni la misère ni même les abus sexuels qu’il subira plus tard qui expliquent cette pulsion meurtrière. Ce viol subi par un paysan rustre, loin d’être un point d’origine ou un tournant, apparaît dans le film comme un élément de plus dans un chaos intime préexistant. Ce que dit le film, dans un effroi tranquille, c’est que le Mal, parfois, est là dès le départ.
L’ambiguïté du propos, sa finesse, sa retenue, sont portées par une direction d’acteur d’une précision chirurgicale. Et dans ce paysage déserté de toute humanité jaillit une incarnation sidérante : celle de Dimitri Doré, acteur quasi inconnu au moment du tournage d’origine Lettone , alors âgé de 23 ans mais interprétant un adolescent de 15-16 ans avec une vérité charnelle, une intensité presque primitive. Son visage fermé, trop beau pour être inoffensif, ses yeux immobiles, son phrasé lent, doux, articulé, contrastent avec l’horreur de ce qu’il raconte. Ce décalage crée un trouble constant. Car Doré ne joue pas la monstruosité, il l’habite de l’intérieur, sans artifice, sans jamais appuyer. Il ne compose pas un personnage, il le vit. Le contraste entre son apparence fluette, presque fragile, et l’acte atroce qu’il commet rend la violence encore plus glaçante.
Formé au théâtre, Doré possède cette capacité rare à tout dire sans parler, à incarner la complexité par le silence, le corps, les tressaillements infimes du visage. Il n’est jamais démonstratif, toujours secret. On lit en lui une douleur animale, une confusion sexuelle, une incapacité à comprendre le monde et ses propres désirs. Il incarne l’innocence pervertie, le désespoir pur, et surtout cette terrible phrase qui hante tout le film : "Je n’ai jamais demandé à vivre." Car Bruno Reidal, au fond, est peut-être moins un film sur un crime que sur la tragédie d’un être qui n’a pas sa place au monde, qui n’a pas choisi d’être ce qu’il est, et qui finit par tuer comme pour se débarrasser de sa propre souffrance.
La mise en scène de Le Port, rigoureuse, quasi ascétique, laisse toute la place à cette performance. Les plans fixes, les décors austères, la lumière naturelle, tout concourt à créer une atmosphère étouffante, sans issue. Mais c’est Dimitri Doré qui emporte tout. Par son regard, sa manière de dire "je suis coupable" comme une évidence absurde, il fascine autant qu’il terrifie. En un rôle, il devient un acteur total. On pense à Pierre Clémenti dans Benjamin ou les Mémoires d’un puceau, à Mathieu Amalric dans Comment je me suis disputé..., à des débuts de comédiens dont on sait qu’ils marqueront longtemps le cinéma.
Bruno Reidal est un film rare, dur, presque impossible à recommander mais tout aussi impossible à oublier. Il interroge la monstruosité humaine avec une intelligence rare et nous confronte à l’insoutenable avec une rigueur glaçante. Et il révèle, dans l’effroi, un comédien bouleversant : Dimitri Doré, animal blessé devenu incarnation du Mal sans pathos, sans cri, sans haine – juste avec l’épaisseur tragique d’un être qui n’a pas su exister autrement.
Un acteur est né
NOTE : 16.10
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation et scénario : Vincent Le Port
- Musique : Olivier Messiaen[1]
- Décors : Arnaud Lucas
- Costumes : Véronique Gély
- Photographie : Michaël Capron
- Son : Marc-Olivier Brullé (ingénieur) et Charlotte Butrak (montage)
- Montage : Jean-Baptiste Alazard
- Production : Roy Arida et Pierre-Emmanuel Urcun (Stank)
- Coproduction : Thierry Lounas (Capricci)
- Sociétés de production : Stank ; Capricci et Arte France Cinéma (coproductions) ; SOFICA Cinéventure 5
- Sociétés de distribution : Capricci (France) ; Maison 4:3 (Québec)
- Budget : 1,5 million d’euros
- Dimitri Doré : Bruno Reidal
- Roman Villedieu : Bruno Reidal, 10 ans
- Alex Fanguin : Bruno Reidal, 6 ans
- Jean-Luc Vincent : Lacassagne
- Tino Vigier : Blondel
- Nelly Bruel : la mère
- Rémy Leboucq : le berger
- Ivan Chiodetti : le père
- Tristan Chiodetti : François
- René Loyon : le supérieur

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