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dimanche 15 juin 2025

11.90 - MON AVIS SUR LE FILM CONTE NUPTIAL DE CLAIRE BONNEFOY (2024)


 Vu le film Conte Nuptial de Claire Bonnefoy (2024) avec Raphael Quenard Hugo Dillon Flore Babled Inas Chanti Léo Castagné Aurélia Arto Chloé Mons Zoé Fauconnet 

Micka propose à son ami et collègue de mettre en pratique une idée qu'il a trouvé dans un livre. Ils profiteront de l'obscurité pour se glisser chacun dans le lit de l'autre et ainsi échanger leurs épouses sans qu'elles ne soient au courant. 

Un film étrange, malaisant, souvent insupportable, parfois fascinant, rarement drôle. 
Conte Nuptial est l’exemple parfait du film qui semble s’être égaré entre la satire sociale, l’expérimentation formelle et la provocation gratuite. Tout à la fois tenta



tive de fable contemporaine et dérive narcissique d’auteur, le long-métrage déroute autant qu’il agace. 

L’histoire, à première vue, tient en une ligne : 
Deux amis, campés par Raphaël Quenard (Micka) et Hugo Dillon (Sami), fomentent un plan sordide : échanger leurs partenaires sexuelles, sans le leur dire, le temps d’une nuit. À leurs côtés, Flore Babled (Agathe) et Inas Chanti (Mélissa), leurs compagnes, ne se doutent de rien. Le récit s’inspire donc de cette fameuse nouvelle de Roald Dahl, dans laquelle deux hommes bien comme il faut, bourgeois moyens, décident — presque comme un jeu d’enfants — de violer, littéralement, le consentement de leurs femmes. Dahl le faisait avec une ironie noire et une distance mordante dans les années 70. En 2024, Bonnefoy choisit d’en faire une mise en scène trouble et distanciée, où ni le rire ni la gêne ne sont jamais clairement assumés. 

Le film adopte une forme volontairement absconse, avec de longues scènes de dialogues absurdes, des séquences éclatées dans le temps, une mise en scène en huis clos feutrée, parfois quasi-théâtrale, parfois naturaliste, souvent volontairement pénible. 
On assiste à des dîners, des discussions sur l’amour, des jeux de rôles faussement intellectuels, jusqu’au moment du « passage à l’acte », qui n’en est même pas un mais qui laisse un profond sentiment de malaise, tant l’idée est posée sans aucun recul éthique. 

Et c’est là tout le problème du film : 
À quoi joue Claire Bonnefoy ? Est-ce une critique acerbe de la domination masculine sous couvert de satire ? Une relecture féministe qui aurait oublié d’être frontale ? Ou bien — plus gênant — une tentative cynique de choquer, sans jamais assumer ce qu’elle provoque ? On sent parfois une ironie diffuse, mais elle ne porte jamais : l'effet est davantage celui d’un film indifférent à ce qu’il met en jeu, comme si ce scénario à dix mains (oui, dix !) avait été écrit sous un effet collectif de stupéfaction auto-satisfaite. 

Raphaël Quenard domine le film comme un cyclone linguistique. Fidèle à sa méthode, il mitraille des phrases interminables, baroques, burlesques, faites de digressions, d’images tarabiscotées, d’élans pseudo-philosophiques. C’est à la fois hypnotique et insupportable. Le problème n’est pas tant son jeu — Quenard reste fascinant dans son genre — mais l’impression qu’aucun cadre ne le canalise. Il semble improviser, ou jouer un texte écrit pour qu’il le dise comme s’il improvisait, ce qui revient au même : l’effet de style tourne à vide. 

À côté, Hugo Dillon, plus sobre, tente de contenir les débordements verbaux de son comparse, tandis que les deux actrices, Flore Babled et Inas Chanti, semblent volontairement tenues à distance. Leur silence, leur regard, leur passivité, posent question : sont-elles absentes ou est-ce le film qui les exclut délibérément ? On aurait aimé un contrechamp, une colère, une puissance féminine – elle n’arrive jamais. Même lorsque la machination est éventée, la mise en scène se garde bien de toute catharsis. 

Sur le fond, le sujet est profondément problématique : comment, en 2024, peut-on encore imaginer une fiction où deux hommes organisent le viol de leurs partenaires, sous prétexte de satire ? Même en assumant un second degré, même en s’inspirant d’un texte ancien, l’époque a changé, et la réception avec. Le film semble volontairement jouer avec l’ambiguïté morale, mais le fait sans suffisamment de précision ou d’intelligence pour que cela fonctionne. 

Formellement, on reconnaît par moments une vraie recherche : 
Des éclairages étudiés, des plans fixes longs et oppressants, une bande-son quasi absente qui accentue le malaise, et une volonté de rupture avec les codes du comique traditionnel. Le problème, c’est que tout cela sert une narration déjà boiteuse, à la fois trop bavarde et trop creuse, et surtout vidée de toute tension dramatique claire. 

Conte Nuptial, malgré (ou à cause de) sa singularité, laisse un goût amer : celui d’une œuvre trop complaisante avec ses propres provocations, et qui confond radicalité et désinvolture. 
Le film se rêve comme un uppercut post-#MeToo, une farce noire, une fable cruelle. Mais il oublie les outils élémentaires pour y parvenir : clarté du propos, regard critique, complexité morale assumée. Ce qui reste, c’est un exercice de style verbeux, plombé par un scénario anachronique et une posture qui frôle parfois le cynisme glacial. 
Un film dont l’étrangeté formelle ne sauve jamais le fond, et qui interroge surtout sur les regards encore dominants dans le cinéma français contemporain. 

NOTE : 11.90

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