Vu le film Pink Floyd à Pompéi de Adrian Maben (1972) Pink Floyd : Live at Pompéi (1972) est pour tant d’âmes sensibles : un voyage mystique, une expérience sensorielle suspendue entre ciel antique et distorsion électrique, où l’œil devient oreille et l’oreille, rétine. Le film d’Adrian Maben n’est pas un simple « documentaire musical » : c’est un rituel païen filmé, une offrande à la beauté du son dans un décor de pierre et de cendres. Ce concert sans public devient un autel du rock progressif, un théâtre d’apparitions où les dieux sont en jean et jouent de la Stratocaster sous les ruines.
Filmé dans l'amphithéâtre vide de Pompéi, ville figée par l’éruption du Vésuve, ce concert devient une sorte de nécropole vivante. La musique s’enroule autour des colonnes brisées, se répand dans les travées abandonnées, résonne sur les gradins vides, comme si les morts eux-mêmes écoutaient. L’absence de public n’est pas un manque : elle est la clé de voûte. Elle permet un dialogue entre l’architecture antique et le son psychédélique, entre la pierre et la vapeur.
Adrian Maben, d’ailleurs, a eu cette idée par accident. Il raconte qu’il visitait Pompéi avec sa petite amie quand il a perdu son passeport. En revenant de nuit le chercher, il a été frappé par le silence étrange du lieu. Il s’est dit : « Il faut y faire jouer Pink Floyd. » Une intuition folle, devenue une œuvre.
Le groupe est alors à l’apogée de sa créativité : entre Meddle (1971) et The Dark Side of the Moon (1973), ils cherchent déjà à explorer des formes qui dépassent la scène. Ce n’est pas un concert, mais un état d’âme filmé. « Echoes », pièce centrale du film, en est le cœur battant : lente montée hypnotique, rupture rythmique, envolées planantes, grognements organiques. On a l’impression d’assister à la naissance de quelque chose de plus grand que la musique.
Moi qui étais nourri de Berthe Sylva et de l'accordéon maternel, j’ai ressenti ce choc frontal entre deux mondes. L’éducateur hippie, sorte de passeur, ma ouvert une brèche sensorielle en 1970 en colo avec des danses psychédéliques. Et voilà qu’un demi-siècle plus tard, Je mets des images sur ces sons. C’est bouleversant : la mémoire affective rejoint enfin l’expérience visuelle. « Il y a des sons qui s’écoutent avec les yeux et se regardent avec les oreilles. » C’est exactement ça, Pompéi.
Le film ne se contente pas de capter des performances : il filme aussi les moments d’intimité, les discussions entre les membres du groupe dans un studio parisien, les prises de son, les doutes, les rires. On y voit Roger Waters froncer les sourcils, David Gilmour concentré, Rick Wright sourire timidement. Nick Mason, imperturbable, semble déjà dans une autre dimension. Tous en quête d’un son pur, d’un moment parfait.
Ce contraste entre la monumentalité du lieu et la fragilité des corps humains est d’une beauté tragique. Les plans fixes sur les volcans fumants, les fragments de statues, les mosaïques, puis ces jeunes musiciens pieds nus, perdus dans leurs improvisations cosmiques… Cela crée un sentiment de sacré païen. C’est autant Le Décalogue de Kieslowski que Woodstock, autant Les Morts de Joyce que le Trip de Ken Russell.
le réalisateur voulait un plan où le son des enceintes faisait trembler les pierres de Pompéi. Ce fut impossible techniquement, mais l’intention dit tout. Le rêve était de réveiller les dieux antiques avec une basse de Roger Waters.
Et cette image inoubliable : le soleil rasant sur la batterie de Mason, les cymbales se mettent à briller comme des disques solaires, le vent passe dans les câbles, Gilmour entame les premiers accords de A Saucerful of Secrets... Le temps s'arrête.
Le film a longtemps été difficile à voir en bonne qualité. Moi, comme beaucoup, l’ai connu par fragments, par bandes audio, par les récits. Aujourd’hui, j’ai enfin l’ensemble : le son, l’image, le souffle. Et c’est comme retrouver une part de moi que je n’avais jamais vue.
Pink Floyd à Pompéi n’est pas seulement un film. C’est une capsule temporelle. Une épiphanie. Un cri d’éternité au cœur d’une ville figée par la lave. Une invitation à danser, encore une fois, comme cet été 70, les yeux clos, le corps libre.
NOTE : 16.80
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : Adrian Maben
- Photographie : Willy Kurant, Jacques Boumendil et Gábor Pogány
- Cadrage / Caméra : Jacques Boumendil
- Montage : Nino DiFonzo, Marie-Claire Perret et José Pinheiro
- Musique : Pink Floyd
- Producteur : Steve O'Rourke, Michèle Arnaud, Reiner Moritz
- Production : Bayerischer Rundfunk (Allemagne), ORTF (France), RTBF (Belgique)
- Langue : anglais
- Format : Couleurs - 1,37:1 - 35 mm
- Durée : 60 minutes (durée du director's cut : 91 minutes)
- Date de tournage à Pompéi :
- Date de sortie : printemps 1973 (France)
Morceaux joués
Version de 1972 (60 minutes)
- Echoes, première partie
- Careful with That Axe, Eugene
- A Saucerful of Secrets
- One of These Days (I'm Going to Cut You into Little Pieces)
- Set the Controls for the Heart of the Sun
- Mademoiselle Nobs
- Echoes, seconde partie

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