Vu le film Le Mohican de Frédéric Farrucci (2024) avec Alexis Manenti Michel Ferracci Paul Garatte Mara Taquin Theo Frimigacci Luiza Benaissa Jean Michelangeli Marie Pierre Nouveau
En plein cœur de l’été, Joseph, l’un des derniers bergers du littoral corse, voit son terrain convoité par le milieu pour un projet immobilier. Il refuse de céder. Cela signerait la fin d’un monde. Quand il tue accidentellement l’homme venu l’intimider, il est forcé de prendre la fuite et devient la proie d’une traque sans répit du sud au nord de l’île. Portée par sa nièce Vannina, la légende de Joseph, incarnant une résistance réputée impossible, grandit au fil des jours et se propage dans toute la Corse…
Frédéric Farrucci, déjà remarqué pour La Nuit venue, revient avec Le Mohican, une œuvre sombre et épurée qui s'inscrit à la croisée du drame politique et du western moderne. Dans un décor aride et montagneux, presque hors du temps, le film suit le parcours d’un homme en fuite, retranché dans les hauteurs corses, tel un résistant d’un autre siècle. Ce fugitif solitaire, campé par un Alexis Manenti tendu comme un arc, semble lutter contre un monde entier, dans une cause qui paraît perdue d’avance — une guerre larvée dont on ne comprend pas tous les enjeux, mais dont on perçoit l’urgence.
Le personnage principal, surnommé "le Mohican", dernier survivant d’une lutte ou d’un idéal, évoque autant les figures crépusculaires du western que les clandestins politiques des années de plomb. Pourtant, si la métaphore est belle, elle manque parfois de chair : le scénario, bien que tendu, ne donne pas assez de profondeur psychologique au personnage pour que le spectateur s’y attache vraiment. Il traverse le film plus comme une ombre ou une idée que comme un être de chair. Le spectateur reste souvent en retrait, comme exclu d’une histoire dont les enjeux précis ne sont jamais vraiment explicités. Cela contribue à un sentiment de distance, voire de frustration.
Le film prend pour cadre les paysages somptueux de la Corse, arpentés à pied ou en voiture, en silence ou dans le fracas sourd de la menace. L’île y est filmée avec un regard à la fois amoureux et politique, à rebours des clichés touristiques : ses routes sinueuses, ses villages en pierre, ses crêtes désertiques deviennent autant de refuges et de pièges. Cette nature imposante participe d’un certain lyrisme, mais elle ne suffit pas à compenser la lenteur du récit.
Car si la sobriété est assumée — peu de dialogues, plans fixes, musique rare — elle confine parfois à l’anémie dramatique. Le rythme lent, presque contemplatif, installe une tension sourde, mais qui ne décolle jamais vraiment. On attend une montée, une bascule, un événement décisif : il ne vient pas. La menace reste théorique, et l’émotion, trop retenue, ne déborde jamais. On sent que Farrucci aurait pu oser davantage, sortir des sentiers battus du film de cavale pour bousculer son spectateur, quitte à déranger. Il préfère rester dans une certaine retenue, élégante mais frustrante.
Alexis Manenti, en revanche, est impeccable. Silencieux, taiseux, tendu, il donne au "Mohican" une épaisseur taciturne, une douleur rentrée. Il porte sur ses épaules un personnage abîmé, hanté, qui semble prêt à tout mais dont on ne sait presque rien. Face à lui, le reste du casting (plutôt bien dirigé) compose un monde hostile, crédible, entre policiers, politiques et anonymes, dessinant en creux un climat de traque et d’isolement.
Le film, relativement court (environ 1h30), aurait pu être plus percutant avec un récit plus clair, des dialogues plus ciselés, et une dramaturgie plus affirmée. Farrucci joue la carte du cinéma minimaliste et engagé, mais il peine à en tirer toute la puissance narrative et émotionnelle. Le Mohican est un film beau, visuellement maîtrisé, parfois intrigant, mais qui laisse un goût d’inachevé. On admire l’ambition, la pudeur, l’esthétique — mais on aurait aimé être plus ému, plus surpris, plus remué.
Une œuvre sobre, tendue, mais trop sage, dont on admire la forme sans en saisir pleinement la force. On sort de la salle un peu déroutée, presque frustré, comme si on avait effleuré un grand film… sans jamais le toucher.
NOTE : 12.20
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : Frédéric Farrucci
- Scénario : Frédéric Farrucci
- Musique : Rone
- Décors : Tom Mattei
- Costumes : Céline Brelaud
- Photographie : Jeanne Lapoirie
- Son : Mathieu Descamps et Fabien Santoni
- Montage : Mathilde Van de Moortel
- Production : Diane Jassem et Céline Chapdaniel
- Société de production : Koro Films, Les Films Velvet et Novoprod
- Société de distribution : Ad Vitam
- Alexis Manenti : Joseph Cardelli
- Mara Taquin : Vannina
- Théo Frimigacci : Xavier Pietri
- Paul Garatte : Pierre
- Marie-Pierre Nouveau : Stéphanie
- Michel Ferracci : Michel
- Jean Michelangeli : Jean-Marc
- Luiza Benaïssa : Lou
- Andrea Cossu : Greg

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