Pages

mardi 17 juin 2025

12.10 - MON AVIS SUR LE FILM LES LINCEULS DE DAVID CRONENBERG (2024)


 Vu le film Les Linceuls de David Cronenberg (2024) avec Vincent Cassel Diane Kruger Sandrine Holt Guy Pearce Al Sapienza Steve Switzman Jennifer Dale Jeff Yung 

Homme d'affaires âgé de 50 ans, Karsh peine à se remettre de la mort de sa femme, Becca, emportée par un cancer. Il invente alors GraveTech, une technologie aussi révolutionnaire que controversée. Celle-ci permet de voir les corps de leurs proches récemment disparus se décomposant dans leurs linceuls. Alors que plusieurs tombes, dont celle de Becca, sont profanées, Karsh se lance à la recherche des coupables. 

Les Linceuls marque le retour de David Cronenberg à son cinéma le plus intime, le plus dérangeant aussi, là où le corps n’est plus un simple objet de narration mais un lieu de trouble, de mutation, de réflexion métaphysique. Dans ce film, situé à mi-chemin entre le fantastique clinique et le drame introspectif, Cronenberg ne se contente pas de raconter une histoire : il creuse un trou. Littéralement. Un trou dans la chair, dans la mémoire, dans la terre. 

L’histoire suit Karsh (Vincent Cassel), un riche entrepreneur endeuillé, qui a inventé un système permettant d’observer à distance — via des linceuls technologiques — le lent pourrissement des corps dans les tombes. Une manière de veiller sur sa femme disparue, et sur d'autres, mais aussi de repousser les frontières du deuil et du voyeurisme. Une profanation maquillée en entreprise de consolation. Mais tout déraille lorsqu’un acte de vandalisme vient perturber le système et réactiver des obsessions profondes, des souvenirs troubles, des doutes identitaires. Autour de lui gravitent des figures ambiguës, dont Diane Kruger dans un triple rôle fascinant (vivante, morte, et peut-être fantasmée). 

Dès les premières scènes, le film installe son atmosphère : froide, clinique, presque désincarnée. Le décor ? Une maison high-tech surplombant un cimetière, comme une extension mentale du protagoniste. Une caméra élégante, des cadres millimétrés, une photo parfaitement maîtrisée — presque trop. Tout est contrôlé, glacé, figé. Ce qui aurait pu être une force devient par moments une entrave à l’émotion. 

Le problème, c’est que le film semble enfermé dans son propre dispositif. À force de tout intellectualiser, Cronenberg brouille son message. De quoi parle-t-on vraiment ? De deuil ? De contrôle sur la mort ? D’un monde où même les morts sont surveillés, numérisés, marchandisés ? D’un homme qui refuse de lâcher prise ? Sans doute un peu de tout cela, mais sans grande clarté. Le propos s’embrouille, les dialogues sont parfois abscons, les personnages échappent sans qu’on sache s’ils nous fascinent ou nous laissent indifférents. 

Vincent Cassel, acteur intense, semble parfois jouer non pas un personnage, mais un double de Cronenberg lui-même. Le crâne rasé, les gestes secs, la diction presque désincarnée… On peut penser qu’il tente de devenir son cinéaste, son reflet. Mais à trop vouloir mimer le maître, il frôle par moments la parodie. Il en résulte une performance inégale, trop appuyée pour être bouleversante. 

En revanche, Diane Kruger est sidérante. Son triple rôle – épouse défunte, sœur ambiguë, présence spectrale – donne au film ses rares moments de chaleur, de trouble organique. Elle glisse entre les identités comme on glisse dans un rêve mal digéré. C’est elle qui ramène un peu de chair, de mystère, là où tout risquait de devenir pure mécanique cérébrale. 

Bien sûr, on retrouve dans Les Linceuls des obsessions chères à Cronenberg : les corps transformés, abîmés, creusés ; le rapport à la technologie ; la dématérialisation du deuil ; la fusion entre science, désir et mort. Mais cette fois, le trouble ne prend pas chair. On observe, on comprend certaines intentions, mais on ne ressent pas grand-chose. Là où La Mouche bouleversait, Crash dérangeait, ici, on reste dans une distance presque clinique. 

Reste la beauté plastique du film. Les images sont sublimes, les cadres d’une précision chirurgicale, l’ambiance sonore envoûtante. Est-ce suffisant pour s’y intéresser ? Peut-être pour les cinéphiles fascinés par l’œuvre de Cronenberg, pour ceux qui aiment se perdre dans les méandres d’un cinéma mental. Pour les autres, ce sera un film frustrant, opaque, et peut-être un peu vain. 

Les Linceuls n’est ni un faux pas, ni une grande réussite. C’est une œuvre crépusculaire, hermétique, presque testamentaire. Un film qui parle de la mort, mais dont le cœur bat à peine. 

NOTE : 12.10

FICHE TECHNIQUE


DISTRIBUTION

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire