Vu le film Docteur Laennec de Maurice Cloche (1949) avec Pierre Blanchar Charles Bouillaud René Clermont Paul Demange Pierre Dux Jacques Dynam Guy Favières Saturnin Fabre Jany Holt Mireille Perrey Palmyre Levasseur
L'histoire de l'invention du stéthoscope par le docteur Laennec, qui combattit victorieusement la phtisie jusqu'au moment où, malade lui-même, il regagne sa Bretagne natale.
Il est des films qui, sous leur apparente simplicité biographique, recèlent une force d’évocation rare et une sincérité troublante. Docteur Laennec, réalisé par Maurice Cloche en 1949, appartient à cette catégorie. Il retrace avec une gravité digne et une émotion contenue la vie d’un homme méconnu du grand public, et pourtant fondamental dans l’histoire de la médecine : René-Théophile-Hyacinthe Laennec, l’inventeur du stéthoscope.
Ce film s’inscrit dans la veine pédagogique et humaniste du cinéma d’après-guerre, à l’instar d’autres réalisations de Maurice Cloche, comme Monsieur Vincent. Fidèle à son ambition de mettre en lumière les grandes figures du progrès humain, Cloche réalise ici un portrait sensible, documenté et profondément touchant. Il ne s’agit pas d’un simple hommage à un savant, mais bien d’une plongée dans une époque – le début du XIXe siècle – où la médecine tâtonne encore, et où la tuberculose (ou « phtisie ») fait des ravages dans l’indifférence presque générale.
Le film excelle à recréer cette atmosphère d’ignorance mêlée de superstition. À travers les couloirs humides des hôpitaux, les regards effrayés des malades, et le scepticisme des pairs, on saisit à quel point Laennec, dans sa quête de diagnostic plus précis, devait lutter non seulement contre la maladie, mais contre le mépris ou la moquerie. La scène de la découverte du stéthoscope — inspirée d’un geste simple, lorsqu’il enroule un cahier pour écouter le cœur d’une patiente sans la heurter — est restituée avec justesse, sans emphase, et en dit long sur le génie tranquille de cet homme modeste.
Mais la réussite du film repose en grande partie sur l’interprétation magistrale de Pierre Blanchar. Comédien d’une intensité rare, il campe un Laennec habité par sa mission, entre obstination et épuisement, passion et abnégation. Son jeu, parfois très théâtral dans son expressivité, convient parfaitement à ce rôle d’homme déchiré entre sa vocation, sa santé fragile et une époque hostile à la nouveauté. Il donne au personnage une noblesse mélancolique, une grandeur intérieure faite de silences autant que de paroles. Le regard, souvent éteint, trahit une lassitude que seule la foi en la médecine parvient à raviver. Dans ce rôle, Blanchar rejoint les grandes figures sacrificielles du cinéma français, proches de celles interprétées par Pierre Fresnay ou Harry Baur.
La mise en scène de Maurice Cloche, sobre, sans effets superflus, épouse cette gravité. Il ne s’agit pas de divertir mais d’instruire avec émotion. La photographie en noir et blanc, soignée, évoque à merveille une époque où la science avançait à tâtons, dans l’ombre des prières et des préjugés. Les décors, les costumes, et les dialogues rendent crédible et même palpable l’univers médical du XIXe siècle. Les scènes d’hôpital sont parfois dures, mais jamais voyeuristes. On ressent la misère, la peur, le manque d’hygiène, mais aussi la compassion des rares médecins qui, comme Laennec, croyaient à l’écoute du malade plus qu’au dogme ou à la saignée.
Le film, outre son intérêt historique indéniable (c’est sans doute l’une des meilleures représentations de la naissance de la médecine moderne au cinéma français), interroge aussi la condition humaine. Que faire quand on voit la souffrance partout, et que les moyens de la soulager sont inexistants ou mal considérés ? Laennec, en découvrant une manière d’écouter les corps, introduit une nouvelle relation au malade : plus intime, plus respectueuse, plus attentive. Le stéthoscope n’est pas qu’un outil, il devient un symbole : celui d’un progrès qui passe par l’humilité et l’observation, non par l’orgueil ou la théorie pure.
Il faut aussi saluer la direction artistique et les seconds rôles, notamment Saturnin Fabre en médecin conservateur et Maria Mauban dans le rôle de l'épouse. Tous contribuent à donner corps à ce récit historique, jamais figé. Docteur Laennec n’est donc pas un simple biopic, mais un film essentiel sur la naissance de l’écoute médicale, sur la persévérance d’un homme solitaire et malade lui-même, qui veut comprendre les autres avant de se sauver lui-même.
Dans la filmographie de Maurice Cloche, il occupe une place importante : non seulement parce qu’il poursuit son entreprise de réhabilitation des grands bienfaiteurs oubliés, mais parce qu’il s’inscrit dans un humanisme profondément cinématographique. Cloche filme l’histoire pour parler de l’homme, de sa détresse, de sa grandeur, et de son combat face à la maladie, à l’ignorance et à la mort. Et cela, dans la France de 1949 encore convalescente, prenait une résonance particulière.
Aujourd’hui encore, ce film reste un témoignage poignant, presque émouvant par sa sincérité. Il rappelle que la médecine est née du doute, de l’écoute et de l’attention portée à l’autre. Et que derrière chaque instrument se cache souvent une histoire d’humanité.
Un chef-d’œuvre discret, mais nécessaire.
NOTE : 13.70
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : Maurice Cloche, assisté de Maurice Delbez
- Scénario : Jean Bernard-Luc
- Conseiller médical : Georges Canetti
- Décors : Robert-Jules Garnier
- Costumes : Rosine Delamare
- Photographie : Claude Renoir
- Montage : Renée Gary
- Son : Pierre-André Bertrand
- Musique : Jean-Jacques Grünenwald
- Sociétés de production : Interfilm , Interfrance Film, Les Films Maurice Cloche
- Nicolas Amato
- Florent Antony : Beaugendre
- Pierre Blanchar : le docteur Laennec
- Charles Bouillaud : Un domestique
- René Clermont : Le mime
- Paul Demange : Le client enrhumé
- France Descaut : Clarisse d'Anthiages
- Christian Duvaleix : Le charlatan
- Pierre Dux : Prof. Récamier
- Jacques Dynam : Meriadec
- Saturnin Fabre : Laennec père
- Guy Favières : Le vieillard
- Georges Galley
- Jany Holt : Madeleine Bayle
- Jean Lanier : Docteur Louis
- Léon Larive : Un médecin
- Palmyre Levasseur : Angélique
- Henri Maïk
- Raphaël Patorni : Un malade
- Georges Paulais : Un médecin
- Mireille Perrey : Jacquemine d'Argout-Laennec
- Marcelle Praince : La duchesse
- Nicole Riche : La moribonde
- Max Rogerys
- Lina Roxa
- Eliane Salmon
- Evelyne Salmon
- Jean Toulout : Docteur Broussais
- Francette Vernillat : La Fille Du Docteur Bayle
- Charles Vissières : L'éditeur
- Geymond Vital : Dr. Pierre Bayle
- Janine Viénot : Marie-Anne Laennec

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