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vendredi 20 juin 2025

12.20 -MON AVIS SUR LE FILM LES DAMES DU BOIS DE BOULOGNE DE ROBERT BRESSON (1945)


 Vu le film  Les Dames du Bois de Boulogne de #RobertBresson (1945) avec Elina Labourdette Maria Casarès Lucienne Bogaert Paul Bernard Jean Marchat Yvette Etiévant Lucy Lancy Marguerite de Morlaye Nicole Régnault et le chien Katsou  

Pour l’escalier : L’escalier intérieur de la maison de Madame Hélène devient le lieu de la révélation, du piège se refermant. L’architecture y symbolise le labyrinthe moral du film. 
 

Hélène souffre d'être délaissée par son amant Jean. Elle feint de ne plus l'aimer pour voir sa réaction, et comprend avec horreur qu'il est soulagé par cette révélation mensongère.  

Ils se séparent, mais Hélène, blessée, décide de se venger. Agnès, la fille de Madame D.,est danseuse de cabaret depuis la faillite de sa mère. Hélène paie leurs dettes, installe mère et fille dans un appartement de Port-Royal et organise la rencontre de Jean et d’Agnès au bois de Boulogne, près de la Grande Cascade. Jean s'éprend d'Agnès. Celle-ci repousse d'abord ses avances, puis tente de lui avouer son passé mais sans succès, car Hélène continue de tirer les ficelles. 

Les Dames du Bois de Boulogne est sans doute l’un des films les plus singuliers de la période classique du cinéma français, à la croisée du théâtre, du roman moral du XVIIIe siècle et du cinéma d’auteur encore balbutiant. Inspiré d’un épisode de Jacques le Fataliste de Diderot — celui de Madame de La Pommeraye —, il s’inscrit dans un jeu cruel et raffiné où la vengeance devient un art, froid, parfaitement exécuté. 

Hélène, femme abandonnée par l’homme qu’elle aime, décide de se venger. Mais sa vengeance n’a rien de criard : elle se déploie avec une patience machiavélique. Elle élève, à son insu, l’amante d’un soir de Jean au rang de jeune fille de bonne famille, pour ensuite mieux l’offrir à cet homme, sans qu’il ne sache qu’elle fut danseuse de cabaret. Toute la mécanique repose sur la chute morale que subira Jean lorsqu’il découvrira la vérité. Ou sur celle d’Hélène, lorsque les sentiments auront déjoué ses plans. 

Robert Bresson, pourtant si attaché à l’épure dans son œuvre ultérieure (Journal d’un curé de campagne, Pickpocket, etc.), reniera ce film qu’il jugeait trop dépendant du théâtre, des "acteurs professionnels", et d’une esthétique encore trop classique. Et pourtant, cette œuvre reniée vibre d’une tension rare, d’une cruauté polie que les dialogues de Jean Cocteau habillent d’un vernis brillant. C’est aussi un film de femmes — ou plus précisément, un film sur le pouvoir d’une femme dans un monde qui croit encore le lui refuser. 

Maria Casarès incarne Hélène avec une intensité glaçante, presque abstraite. Elle est à la fois l’architecte de sa vengeance et sa première victime, tant le désir de contrôle lui échappe dès qu’apparaît l’imprévu du sentiment. Dominique, l'innocente manipulée, jouée par Élina Labourdette, oscille entre une vulnérabilité touchante et une forme d'énigme : qui manipule vraiment qui ? Jean, joué finalement par Paul Bernard (après que Jean Marais ou Alain Cuny furent envisagés), est lui aussi un masque : froid, distant, souvent dur à croire en amant épris, mais parfaitement à sa place dans cet univers de faux-semblants. 

Ce qui frappe peut-être le plus, c’est ce noir et blanc velouté, cette lumière qui vient caresser les rideaux, les murs, les visages comme des toiles en clair-obscur. Les ombres sont partout : elles évoquent les secrets, les intentions voilées, les passés qu’on maquille. Le Bois de Boulogne n’est jamais montré comme un lieu galant ou canaille, mais comme une lointaine allusion : ces dames du quartier, en fait, ce sont les grandes bourgeoises qui manipulent et s’échangent les drames comme des objets de salon. 

La prostituée annoncée par le titre est une ombre, un symbole, jamais incarné. Le scandale n’est pas dans les corps, mais dans les esprits. Et c’est bien là que réside la modernité du film : sous ses airs d’opéra figé, il montre une société où les femmes, pour survivre, doivent se faire stratèges. À ce titre, Hélène devient l’incarnation de toutes les femmes bafouées, humiliées, reléguées. Mais sa victoire est-elle réelle ? Le film, dans sa fin elliptique, presque gracieuse, semble dire que la vengeance n’est jamais totalement douce — même quand elle semble réussie. 

On peut ne pas être sensible à l’histoire, à Diderot ou à cette mécanique trop écrite. Mais on ne peut ignorer la beauté plastique de l’ensemble, ni cette manière si singulière qu’a Bresson — déjà — de faire surgir l’absolu derrière le théâtre mondain. Il n’a pas encore renoncé à ses comédiens de métier, mais il filme déjà comme s’il voulait tout en effacer. Ce paradoxe donne au film un goût étrange, presque spectral. Une œuvre bâtarde, en transition, et pourtant inoubliable. 

NOTE ; 12.20

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