Vu le film L’Héritier de Philippe Labro (1973) avec Jean Paul Belmondo Charles Denner Carla Gravina François Chaumette Jean Rochefort Jean Desailly Maurice Garrel Jean Martin Pierre Grasset Marcel Cuvelier
Hugo Cordell, grand patron de la presse et de l'industrie, trouve la mort dans l'explosion de son avion privé, entre Genève et Paris. Son seul héritier, son fils Barthélémy (Jean-Paul Belmondo), revient immédiatement de New York à Paris. Il doit à la fois assister aux obsèques de ses parents et assumer son rôle d'héritier en reprenant la tête des affaires familiales. La réputation de Bart est ambiguë : jet-setteur incompétent ou homme d'affaires capable de prendre la succession de son père ?
Je n’avais pas revu L’Héritier depuis sa sortie en salle, et à l’époque – j’avais seize ans – je l’avais vu avec un œil un peu distrait, partagé entre l’attente d’un film d’action à la Bebel et l’étrange gravité du ton adopté par Philippe Labro. Aujourd’hui, avec le recul du temps, le film m’apparaît sous un jour tout à fait nouveau. Je réalise que L’Héritier n’était pas une œuvre de commande ou un film d’exploitation surfant sur la vague du succès de Belmondo, mais bien un polar ambitieux, moderne, où l’on sent déjà l’épaisseur du propos et la conscience aiguë d’un monde qui vacille.
Jean-Paul Belmondo, dans un rôle à contre-emploi, interprète Bart Cordell, un homme à qui l’on lègue un empire – industriel, médiatique, politique – sans qu’il n’y soit vraiment préparé. Il ne revient pas tant pour régner que pour comprendre. Il y a chez lui quelque chose du justicier calme, plus cérébral qu’acrobate, qui annonce déjà le François Leclercq du Corps de mon Ennemi : un homme déplacé dans un monde codifié, qui cherche à percer une vérité enfouie. Et dans les deux films, cette vérité est celle d’un système gangrené par la compromission, l’argent et le pouvoir.
Ce qui fait la force de L’Héritier, c’est qu’il ne se contente pas d’un vernis politique. Labro, fin connaisseur des milieux journalistiques et financiers, tisse un scénario dense, précis, crédible. Le film devient une sorte de radiographie du pouvoir des années 70, où tout s’imbrique : la presse manipulée, les jeux d’influence, les services secrets, les magnats de l'industrie. Labro n’invente rien : il anticipe. Il devance même, à bien des égards, des affaires qui éclateront plus tard. Son écriture est tendue, rigoureuse, sans fioriture.
À la revoyure, la distribution prend toute sa saveur. Charles Denner, impeccable d’ambiguïté, oppose à Belmondo un contrepoids d’intelligence sombre. Jean Rochefort, discret mais efficace, donne au film une touche de cynisme feutré. Et Maurice Garrel, que j’avais sans doute négligé à l’époque, m’a cette fois conquis : son détective en retrait, presque désinvolte, incarne une forme de lucidité fatiguée. Même les seconds rôles, comme Jean Desailly ou Michel Beaune, ajoutent à la qualité d’un ensemble très bien tenu.
Il y a aussi dans ce film une esthétique. Labro filme l’époque comme un terrain d’affrontement : le béton des sièges sociaux, les lambris dorés des conseils d’administration, les couloirs tapissés de journaux. La musique d’Ennio Morricone, tendue comme une corde de violon, enveloppe tout cela d’une ambiance trouble, parfois glaçante. Pas d’effets spectaculaires, mais une tension constante.
Avec Sans mobile apparent, Labro avait déjà prouvé qu’il savait construire un suspense. Mais L’Héritier, c’est un cran au-dessus. C’est un film politique déguisé en polar, ou l’inverse, mais surtout une œuvre qui vieillit bien. Car le propos est toujours là : comment hériter d’un monde dont on ne veut pas, ou qu’on découvre trop tard gangrener ? Que faire de ce legs ? Faut-il le fuir, le réformer, ou l’abattre ?
Aujourd’hui, en rendant hommage à Philippe Labro, c’est aussi à ce cinéma-là que je rends hommage. Un cinéma qui, derrière la façade du divertissement, disait quelque chose de son temps, et parfois même, de celui à venir.
NOTE : 15.20
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : Philippe Labro, assisté de Bernard Queysanne et Alain Payet
- Scénario : Philippe Labro et Jacques Lanzmann
- Musique : Michel Colombier
- Photographie : Jean Penzer
- Montage : Claude Barrois et Nicole Saunier
- Son : René-Christian Forget
- Décors : Théobald Meurisse
- Production : Jacques-Éric Strauss
- Sociétés de production : Président Films (France), Euro International Films (Rome), Cinetel
- Jean-Paul Belmondo : Barthélemy « Bart » Cordell
- Carla Gravina (doublée par Nadine Alari) : Liza Rocquencourt
- Jean Rochefort : André Berthier dit « le Nonce »
- Charles Denner : David Loeweinstein, ami et principal collaborateur de Bart Cordell
- Jean Desailly : Jean-Pierre Carnavan, journaliste
- François Chaumette : Me Georges Theron-Maillard, avocat
- Michel Beaune : Frédéric Lambert
- Pierre Grasset : Pierre Delmas, reporter à Globe
- Maurice Garrel : Brayen, détective privé
- Maureen Kerwin : Lauren Corey, call-girl
- Jean Martin : Monseigneur Schneider
- Marcel Cuvelier : le ministre
- Fosco Giachetti : Luigi Galazzi
- Anna Orso : Giovanella Cordell, épouse de Bart et fille de Galazzi
- Paul Amiot : Hugo Cordell, le père de Bart
- Matti Lassila : Hugo Cordell Jr, le fils de Bart
- Michel Cassagne : André Dubois
- Serge Wagner : Campanella, mécanicien aéropornautique
- Philippe Labro : un journaliste en caban noir à l'hôpital (caméo non crédité)
- Fernand Guiot : l'inspecteur
- Pierre Dominique : le premier tueur
- Jacques Marbeuf : le deuxième tueur
- Étienne Draber : un homme au cimetière

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