Pages

samedi 7 juin 2025

15.10 - MON AVIS SUR LE FILM SANS MOBIL APPARENT DE PHILIPPE LABRO (1971)

 


Vu le film Sans Mobile Apparent de Philippe Labro (1971) avec Jean Louis Trintignant Jean Pierre Marielle Paul Crauchet Sacha Distel Carla Gravina Dominique Sanda Stéphane Audran Laura Antonelli Gilles Segal Jean Jacques Delbo André Falcon  

Des hommes d'affaires conversent tranquillement dans les jardins d'une luxueuse résidence niçoise. Le promoteur Tony Forest s'écroule soudain, frappé d'une balle au front. L'inspecteur Carella est chargé de l'enquête. Il n'a guère le temps de rassembler des indices, car les cadavres se multiplient. 

Sans Mobile Apparent (1971) s’inscrit parmi les meilleurs polars français des années 70, à la fois emblématique de son époque et paradoxalement intemporel par son atmosphère trouble et son classicisme noir. Signé Philippe Labro — à qui l’on rend hommage ici — le film transpose habilement le roman "Dix plus un" d’Ed McBain de la moiteur new-yorkaise aux rivages lumineux mais trompeurs de la Côte d’Azur. C’est Nice, avec ses contrastes brutaux entre beauté naturelle et turpitudes humaines, qui devient le théâtre d’une série de meurtres inexpliqués, point de départ d’un récit à la mécanique presque christienne : un tueur frappe, à intervalles réguliers, sans mobile apparent, et laisse l’inspecteur Carella dans un dédale d’hypothèses. 

Jean-Louis Trintignant incarne cet inspecteur avec une élégance minérale, une froideur résignée qui évoque un Bogart français, égaré dans les années Pompidou. Il regarde le monde comme s’il en avait déjà tiré les conclusions, ce qui donne à son enquête une gravité singulière. Dans son regard impassible, c’est toute la fatigue d’un homme seul, lucide et sans illusions, que Labro filme avec une précision clinique. Pas d’effets inutiles : le cinéaste va droit au but, privilégiant le rythme, les enchaînements logiques, et surtout une ambiance poisseuse, bien que baignée de soleil. 

Le vrai charme du film vient aussi de ce mélange étrange entre une intrigue presque classique de roman de gare — des meurtres entre "amis", une vieille histoire enterrée qui refait surface — et une esthétique volontairement dénudée. Le décor de Nice, loin des cartes postales, alterne entre le faste bourgeois, les appartements climatisés, les hôtels de luxe, et les zones plus grises, où se trament les rancunes et les silences complices. Une scène sur la Promenade des Anglais, un autre dans une villa cossue ou un restaurant déserté, suffisent à ancrer chaque personnage dans une énigme morale plus que criminelle. 

On devine assez tôt le coupable — le spectateur averti n’est pas dupe — mais l’intérêt du film n’est pas dans la surprise : il réside dans la manière dont Labro tisse les rapports de pouvoir, d’amitié, d’hypocrisie et de vengeance. L’ensemble fonctionne par allusions, glissements, et surtout par un refus de l’emphase. C’est une époque où le cinéma n’expliquait pas tout, ne surlignait pas ses effets. 

Autour de Trintignant, Carla Gravina — actrice italienne magnétique — et Dominique Sanda, troublante comme toujours, apportent une sensualité distante, un mystère inquiet. Quant à Sacha Distel, sa présence étonne : chanteur populaire jeté dans un polar psychologique, mais qui trouve ici une sorte de naturel trouble, à la frontière du charmeur et du suspect. Ce casting composite renforce l’étrangeté du film, entre culture populaire et ambition d’auteur. 

Musicalement, on est dans une partition discrète, presque feutrée, sans les grandes envolées du polar américain. Ce qui prime, c’est la suggestion. Philippe Labro, journaliste devenu cinéaste, sait capter les gestes et les silences, et filme la violence comme une maladie sociale, un malaise diffus. 

Aujourd’hui, Sans Mobile Apparent se regarde avec plaisir, non pas comme une œuvre révolutionnaire, mais comme une capsule temporelle, l’un de ces "films à défauts précieux" où la mode des cols pelle à tarte, les dialogues parfois raides et les codes datés participent du charme. C’est un polar français bien fait, atmosphérique, solide, sec, avec ce qu’il faut de dérèglement et de noirceur. Il annonce à sa manière le cinéma de Chabrol, sans en avoir la cruauté, et précède celui de Tavernier ou Corneau, sans en avoir encore la maturité politique. 

Un Labro pur jus, donc, très ancré dans les années 70, mais avec assez de finesse, d’ombre et de style pour rester une pépite à redécouvrir. 

NOTE : 15.10

FICHE TECHNIQUE


DISTRIBUTION

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire