Vu le film La Nuit des Généraux de Anatole Litvak (1967) avec Peter O’Toole Omar Sharif Donald Pleasance Tom Courtenay Philippe Noiret Joanna Pettet Charles Gray Christopher Plummer Juliette Greco
En 1942, sur fond de Seconde Guerre mondiale, une prostituée est sauvagement assassinée à Varsovie. C'est le major allemand Grau qui est chargé de l'enquête. Les premiers éléments le conduisent sur la piste de trois généraux allemands. Mais bientôt, Grau est envoyé à Paris et c'est un complot contre Hitler qui est en train de se tramer...
La Nuit des généraux : un polar militaire sous uniforme de monstre
Avec La Nuit des généraux, Anatole Litvak signe un film rare, hybride, à la croisée du film de guerre et du thriller psychologique. Nous sommes à Varsovie, en 1942. Une prostituée est retrouvée atrocement assassinée. Très vite, un indice met sur la piste d’un officier supérieur de la Wehrmacht. Mais comment mener une enquête sérieuse quand le suspect est un général nazi, en pleine occupation, dans une ville muselée par la terreur ? C’est le point de départ de ce polar étonnant où la recherche d’un tueur en série se confond progressivement avec les remous de l’Histoire en marche.
Le général Tanz, joué par un Peter O'Toole glaçant et fascinant, est ce personnage central qui cristallise toutes les tensions du film. Officier décoré, visage d’ange au regard vide, il incarne la folie froide de la hiérarchie militaire, un homme capable d’attentions séductrices envers ses victimes, mais qui les traite ensuite comme il traite ses ennemis : avec une brutalité méthodique. Ce n’est plus un soldat, mais un tueur compulsif, dont les crimes échappent au cadre de la guerre. Un monstre dans un monde déjà monstrueux.
La force du film réside dans la construction parallèle de deux récits : d’un côté, la série de meurtres de femmes, attribués à un officier supérieur — un fil noir, intime, pervers ; de l’autre, la grande Histoire, celle de la tentative d’assassinat contre Hitler en juillet 1944. Cette conjuration des généraux — orchestrée par Claus von Stauffenberg et ses alliés — inclut plusieurs personnages secondaires du film, dont certains soupçonnent à demi-mot la dérive de Tanz, tout en le couvrant par souci de discipline. La convergence de ces deux lignes narratives, l’une criminelle, l’autre politique, donne au film une tension morale saisissante : quel est le vrai crime ? Et surtout, lequel doit être jugé en priorité ? Celui d’un homme qui tue des femmes dans l’ombre, ou celui de généraux qui, dans l’ombre aussi, veulent tuer Hitler pour sauver ce qu’il reste d’honneur à l’armée allemande ?
Omar Sharif, dans le rôle du major Grau, est l’inspecteur militaire qui poursuit cette enquête avec une ténacité admirable. C’est un enquêteur à l’ancienne, droit, presque naïf, convaincu que la vérité doit triompher, même dans un monde gangréné par la guerre et la compromission. Il affronte la hiérarchie, fouille dans les zones d’ombre, sans jamais abandonner. Sa traque ne cessera que bien plus tard, dans un autre pays, une autre époque, lorsqu’il retrouvera la trace du général à Paris, en 1965.
Autour de ces deux piliers (O’Toole et Sharif), le casting est impressionnant : Tom Courtenay incarne un jeune officier allemand troublé, peut-être témoin ou complice ; Donald Pleasence et Charles Gray campent des généraux au bord du basculement moral, impliqués ou non dans le complot contre Hitler ; Philippe Noiret, en policier français d’Interpol, prendra la relève de Grau pour clore la boucle. On aperçoit aussi Joanna Pettet, dans un rôle féminin fort et complexe, loin des stéréotypes, ce qui est à souligner.
Le film joue habilement sur les ellipses temporelles, les fausses pistes, les silences, pour faire naître le doute. Litvak ne cherche jamais à choquer frontalement : il préfère installer un climat de suspicion permanente, où chaque regard, chaque ordre, chaque geste peut basculer du militaire au criminel. L’idée brillante est de montrer que le crime individuel et le crime politique cohabitent, s’enchevêtrent, et que parfois, la grande Histoire sert à couvrir les petites monstruosités — ou l’inverse.
Peter O'Toole, dans l’un de ses rôles les plus saisissants, compose un personnage hanté, sec, presque spectral. Son Tanz est l’image même du mal rationalisé : élégant, discipliné, irréprochable sur le papier — mais fondamentalement inhumain. C’est cette duplicité qui fascine. Face à lui, Omar Sharif joue en contrepoint, tout en intériorité, comme un dernier éclat d’humanité dans un monde en décomposition.
La Nuit des généraux n’est pas un film d’action. C’est un film d’atmosphère, de tension morale, presque un film philosophique déguisé en polar. La mise en scène de Litvak est sobre, classique, mais d’une précision redoutable. Il filme les lieux (Varsovie, Paris, le QG allemand) comme des prisons mentales, où chacun tente de dissimuler sa vérité.
En confrontant deux formes de trahison — celle du complot contre le Führer et celle du tueur de l’ombre — le film oblige le spectateur à faire des choix. Qui doit être puni ? Qui mérite l’oubli ? Peut-on être un héros politique et un monstre intime ? La Nuit des généraux ne donne pas toutes les réponses, mais il pose les bonnes questions.
NOTE : 16.90
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : Anatole Litvak, assisté de Andrzej Żuławski, Jean-Pierre Périer et Norman J. Warren (non crédité)
- Scénario : Paul Dehn et Joseph Kessel d'après les romans :
- The Wary Transgressor de James Hadley Chase (édition française La Culbute, Série noire no 158, 1952)
- Die Nacht der Generale de Hans Hellmut Kirst (1962)
- Décors : Alexandre Trauner
- Costumes : Rosine Delamare, Jean-Claude Philippe
- Photographie : Henri Decaë
- Son : Jacques Carrère, William Robert Sivel
- Montage : Alan Osbiston
- Musique : Maurice Jarre[]
- Production : Anatole Litvak et Sam Spiegel
- Sociétés de production : Horizon Pictures (en) (Royaume-Uni), Filmsonor (France)
- Sociétés de distribution : British Lion-Columbia Distributors (Royaume-Uni), Warner-Columbia Film (France), Paris Nord Distribution[] (France), Cocinor[] (France)
- Budget : 5,2 millions

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