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mardi 3 juin 2025

18.10 - MON AVIS SUR LE FILM LAWRENCE D'ARABIE DE DAVID LEAN (1962)


 Vu le film Lawrence d’Arabie de David Lean (1962) avec Peter O’Toole Anthony Quinn Alec Guiness Jack Hawkins Omar Sharif José Ferrer Anthony Quayle Claude Rains Robert Kennedy Donald Molfit 

En 1916, un jeune officier britannique est chargé d'enquêter sur les révoltes arabes contre l'occupant turc. Plus tard surnommé "Lawrence d'Arabie", il se range du côté des insurgés et, dans les dunes éternelles du désert, organise une guérilla. 

Lawrence d’Arabie (1962, David Lean) n’est pas un film : c’est un mirage qui dure près de quatre heures et qu’on ne quitte jamais vraiment. Dès la première note de la musique de Maurice Jarre, on comprend qu’on entre dans un monde à part — un monde de chaleur, de sable et d’illusions grandioses. Le vent souffle, le désert s’ouvre, et un homme surgit : Thomas Edward Lawrence, blond comme le sable, les yeux d’un bleu vert presque irréel, incarné par un Peter O’Toole incandescent. 

Ce n’est pas seulement une fresque historique, ni un récit d’aventures : c’est la chronique d’une obsession. On y suit un officier britannique, envoyé en mission diplomatique dans la péninsule arabique pendant la Première Guerre mondiale. Mais très vite, la diplomatie devient conquête, puis fantasme. Lawrence se rêve en libérateur des peuples arabes, en nouveau prophète. Avec son keffieh blanc, son regard traversé de visions, il devient une icône — et une énigme. 

Ce que David Lean filme, ce n’est pas une guerre. C’est un homme qui se perd dans ses rêves de grandeur. À dos de chameau, il traverse les déserts infinis de Jordanie et d’Arabie, guidé par une foi à la fois candide et mégalomaniaque. Il sauve des tribus, unit des peuples, renverse des bastions turcs — mais à quel prix ? Plus l’histoire avance, plus le mirage devient dangereux. Lawrence devient une légende vivante, puis une légende tragique. 

Le désert, omniprésent, n’est pas seulement un décor. Il est le miroir de l’âme de Lawrence : vaste, brûlant, silencieux, sublime… et inhumain. On y meurt de soif, de solitude, de démesure. Ce sable-là ne pardonne pas. Lawrence y sourit d’abord, ivre de liberté, puis y hurle, puis y devient étranger à lui-même. Il devient le héros que les autres voient — et le monstre qu’il redoute de devenir. 

Les seconds rôles sont tout aussi marquants : Omar Sharif, surgissant comme un mirage noir à l’horizon, Anthony Quinn, félin et politique, Alec Guinness, glacial et manipulateur sous les traits du prince Fayçal. Chacun est une facette de l’Orient rêvé — ou redouté — par l’Occident. Mais le film refuse tout manichéisme. Il ne juge pas, il observe. Il hypnotise. 

Oui, il y a une dimension géopolitique : l’impérialisme, la trahison des accords, les lignes de partage dessinées au compas. Mais Lawrence d’Arabie n’est pas un documentaire. C’est un opéra du sable. Un film dont chaque plan est une fresque, chaque silence, une tempête intérieure. On s’y perd, comme Lawrence. On en sort épuiser, ébloui, changé. 

La mise en scène de David Lean, c’est l’art de l’immensité maîtrisée. Chaque plan semble avoir été dicté par le vent du désert lui-même, sculpté dans le sable et le silence. Lean compose avec la lumière et l’espace comme un peintre avec l’infini : l’homme est minuscule, l’horizon l’engloutit, et pourtant chaque geste, chaque souffle, chaque regard devient colossal. On passe du panoramique le plus grandiose — la traversée du Nefud rouge — à un gros plan sur un œil brûlant d’orgueil ou de larmes. Le montage, presque musical, épouse la respiration d’un monde ancien, où l’attente et le souffle ont encore du poids. Les décors naturels sont à couper le souffle : ce ne sont pas des lieux, ce sont des mythes à ciel ouvert. Les costumes, de lin blanc, d’or et de poussière, transforment les corps en statues, les héros en spectres. 

La musique de Maurice Jarre, dès l’ouverture, est une caresse et un vertige. Le thème principal, ample et obsédant, semble porté par le vent. Il ne souligne pas : il sculpte. Il donne au désert une voix, à la solitude une mélodie. Entre les percussions tribales, les cordes nostalgiques et les éclats de cuivre, Jarre compose une symphonie de l’errance, du rêve brisé et de la gloire funèbre. On n’écoute pas cette musique : on la traverse comme un mirage. 

Et au cœur de ce vertige, il y a Peter O’Toole. Le regard halluciné, la peau diaphane, l’élégance féline, il incarne Lawrence non pas comme un homme, mais comme une flamme. Il est mystique, mégalomane, tendre, cruel, candide, impénétrable. On croit à sa grandeur, on devine sa chute. O’Toole n’a jamais été aussi immense. Ce rôle l’a brûlé — et l’a immortalisé. Il ne s’en est jamais remis, pas plus que nous. C’est une performance qui dépasse le jeu : c’est une possession. 

Et derrière la légende de cinéma, il y a l’ombre du vrai T.E. Lawrence, héros de guerre, stratège ambigu, écrivain halluciné, esprit indompté pris au piège des puissances et de ses propres contradictions. Ni ange, ni traître, ni prophète — un homme à part. L’Histoire avec un grand H l’a utilisé, puis abandonné. Le film n’essaie pas de le juger : il l’écoute respirer dans les dunes. 

 

Et quand, adolescent, on le découvre pour la première fois, c’est un choc. Une révélation. Le cinéma peut être vaste comme le désert, grave comme un destin, beau comme un rêve qu’on n’ose plus faire aujourd’hui. On regarde O’Toole, démesuré, fragile, solaire, et on comprend que le mot "cinéma" peut s’écrire en lettres de feu sur une dune. 

C’est beau, c’est grand, c’est le Cinéma avec un grand A. 
Et ce mirage-là, on ne veut jamais vraiment qu’il se dissipe. 

NOTE ; 18.10

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