Vu le Film Escalier de Service de Carlos Rim (1954) avec Robert Lamoureux Jean Marc Thibault Danielle Darrieux Louis de Funès Marc Cassot Jean Richard Julie Astor Saturnin Fabre Sophie Desmarets Jacques Morel Gérald Blain
À bout de ressources et mourant de faim, Marie-Lou, une petite bonne est recueillie par Léo et ses amis squatters. La chaleur de leur accueil la met en confiance et elle leur raconte la vie de ses anciens patrons. La folie et le bruit qui régnaient chez les Dumery où monsieur était ministre. Le silence écrasant et insoutenable que l'on trouvait chez les Delecluze, monsieur étant bourreau. Chez les Béchard, monsieur et son fils Gaston la poursuivaient sous l'œil tolérant de madame. Le couple Berthier, monsieur auteur, madame, actrice, la met à la porte dès que la situation financière fut rétablie. Seul son séjour chez les Grimaldi lui permit de rencontrer Benvenuto, un jeune peintre génial, que Marie-Lou retrouve, lavé de toute accusation, après qu'on l'eut soupçonné d'être un faussaire. Les jeunes gens réunis, l'avenir leur appartient.
Escalier de service est un film à sketches dont la structure repose sur un objet architectural aussi prosaïque que symbolique : cet escalier réservé « au personnel », qui serpente dans l’ombre des grands immeubles bourgeois. Cet espace secondaire, souvent ignoré, Carlo Rim en fait le fil rouge d’un portrait de société, à la fois burlesque, mélancolique et acide.
Le prétexte narratif est simple mais ingénieux : une jeune bonne fraîchement engagée monte, étage par étage, pour se rendre chez son employeur. À chaque palier, elle rencontre d’autres domestiques ou voisins, chacun porteur d’une histoire, d’un tempérament, d’un monde. Ces rencontres successives forment les sketches du film. Le ton est volontairement composite, allant de la farce pure à l’ironie douce-amère, avec une constante : une tendre férocité dans l’observation.
C’est un cinéma d’après-guerre encore empreint de vaudeville, mais où pointe déjà une veine plus désabusée, presque pré-nouvelle vague par instants. On sent chez Rim un goût du détail pittoresque, de l’absurde quotidien, une façon de croquer des silhouettes en quelques gestes, quelques mots, comme savaient le faire Jules Renard ou Courteline. L’éventail des personnages est saisissant : concierge langue de vipère, vieil acteur sur le retour, demi-mondaine fantasque, mandataire bougon des Halles (formidable sketch), ou encore ce compositeur raté dont les notes s’égrènent comme des rêves manqués. Ce sont des archétypes, oui, mais pleins de relief. Derrière les mimiques et les exagérations comiques, il y a souvent une forme d’humanité désemparée.
Le sketch du mandataire des Halles, où la truculence du verbe cache une véritable étude de caractère. Il y a là, dans ce refus du pathos au profit de la cocasserie amère, une forme d’élégance du regard. Rim ne cherche pas la bluette, il saisit la rugosité tendre du réel.
Le casting est un festival de trognes et d’accent Tous livrent des partitions à la hauteur, souvent dans de petits rôles, parfois fugaces mais toujours vivants. On ne s’ennuie jamais parce que Rim a l’oreille fine, l’œil alerte. Il aime ses personnages sans les idéaliser. Il les montre dans leur ridicule, leur routine, leur éclat fugitif aussi.
Là où Escalier de service touche encore plus, c’est dans ce qu’il déclenche chez moi : une mémoire corporelle et affective de ces marches, gravies pendant vingt ans. Cet escalier, ce n’est pas un décor de cinéma. C’est le théâtre quotidien de vos allées et venues, des sacs de courses portés à bout de bras, des paroles échappées entre deux paliers, des odeurs de soupe ou de cirage, des visages familiers, parfois dérangeants, souvent attachants.
Ma mère, ses trajets incessants entre le 8e étage et le rez-de-chaussée, elle aussi héroïne du quotidien. Pas de marivaudage bourgeois, mais le travail, l’ombre, l’endurance. Ce que le film effleure parfois avec humour ou mélancolie, je l’ai vécu avec constance. Et cela donne à Escalier de service une puissance inattendue : il ravive, à travers la comédie, un monde englouti, celui des cuisines, des balais, des couloirs discrets, des codes implicites entre « ceux du devant » et « ceux de derrière ».
Si Rim se permet quelques concessions faciles au public — des effets appuyés, des transitions bancales — c’est peut-être parce que ce cinéma-là cherche à rassembler, à faire rire ensemble, y compris sur des vérités parfois dures. Et il y parvient sans lourdeur, avec ce je-ne-sais-quoi de populaire au sens noble : une capacité à faire vibrer le banal, à élever les petites gens sans les trahir.
Escalier de service est un film qui mérite d’être revu aujourd’hui non comme une simple comédie à sketches, mais comme un témoignage social sur une époque et une architecture invisible : celle du « derrière », du personnel, de la domesticité, avec ses codes, ses douleurs, ses joies enfouies. Pour moi , il devient encore plus précieux : un miroir sensible de votre enfance, de votre famille, de cette humanité souvent reléguée mais si vivante. Ce n’est plus seulement du cinéma, c’est de la mémoire incarnée.
NOTE : 12.00
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : Carlo Rim, assisté de Maurice Delbez
- Scénario : Carlo Rim
- Adaptation : Carlo Rim, Jean Levitte]
- Dialogue : Carlo Rim
- Photographie : Robert Juillard
- Cadreur : Jean Lallier[]
- Musique : Georges Van Parys (Éditions Musicales Transatlantiques)
- Décors : Serge Pimenoff, assisté de Jean Taillandier
- Robes : Jacques Heim
- Montage : Robert Isnardon et Monique Isnardon
- Son : Raymond Gauguier
- Scripte : Sylvette Baudrot
- Régisseur général : Irénée Leriche[]
- Photographe de plateau : Jean Klissak[]
- Tirage : Laboratoire G.T.C de Joinville
- Production : Paul Wagner, Alain Poiré
- Directeur de production : Robert Sussfeld[]
- Sociétés de production : S.N.E.G Gaumont - Gaumont Actualité - Films Paul Wagner
- Distribution et ventes internationales : Gaumont (35 et 16 mm)
- Tournage : du 18 mars au 15 mai 1954 aux Studios de Billancourt
- Sketch de liaison
- Etchika Choureau : Marie-Lou, bonne dans différentes maisons
- Jean-Marc Thibault : Léo, le photographe ambulant
- Gérard Blain : Un photographe copain de Léo
- Estella Blain : Une copine de Léo
- Claude Sylvain : Une copine de Léo
- Evelyne Gabrielli : Une copine de Léo
- Jacqueline Monsigny : Une copine de Léo
- Christian Lude : Le passant photographié
- Robert Lombard : Le photographe de mode, ami de Léo
- Denise Kerny : La bonne du café
- Max Desrau : Le client qui attend au café
- Henri Coutet : Un voisin à sa fenêtre
- Henri Belly : Un ami de Léo
- Jacques Ferry : Un ami de Léo
- Franck Maurice : Un spectateur au feu d'artifice
- Robert Mercier : Un spectateur au feu d'artifice
- François Joux : L'inspecteur expulseur
- Guy Piérauld : Un pompier
- Sketch : les Dumeny
- Sophie Desmarets : Mme Dumeny, la femme du ministre
- Jacques Morel : Georges Dumeny, ministre d'état
- Marthe Mercadier : Hortense Van de Putte, la cousine belge
- Hélène Roussel : La secrétaire de Georges
- Bernard Musson : Un homme qui attend Mr Dumeny dans l'antichambre
- Jacques Legras : Un homme qui attend Mr Dumeny dans l'antichambre
- Jean Sylvain : Un homme qui attend Mr Dumeny dans l'antichambre
- Alain Bouvette : Le toiletteur pour chien
- René Dupuy : Clément Van de Putte, le cousin belge
- Edmond Ardisson : Le laveur
- Luc Andrieux : Le serrurier
- Marcel Méral : Le laitier
- Serge Bento : Le livreur de la maison Heim
- Le chien Azor
- Sketch : les Delécluze
- Saturnin Fabre : Mr Delécluze, père et bourreau officiel
- Héléna Manson : Mme Delécluze, mère
- Yves Robert : Mr Courbessac, le gendre des "Delécluze"
- Marcelle Arnold : Mme Courbessac
- Sketch : les Béchard
- Jean Richard : Jules Béchard, mandataire aux halles
- Junie Astor : Aline Béchard, la femme de Jules
- Denise Grey : Mme Thévenot, la mère d'Aline
- Alfred Adam : Albert, le cousin, garde républicain
- Jean-Pierre Jaubert : Gaston Béchard, le fils
- Robert Dalban : Le copain de Jules
- Eugène Stuber : Un fort des halles
- Sketch : les Berthier
- Danielle Darrieux : Béatrice Berthier, actrice, femme de François
- Robert Lamoureux : François Berthier, scénariste et auteur dramatique
- Mischa Auer (crédité Misha Auer) : Nicolas Pouchkoff, le producteur russe
- Jacques Charon : Le maître d'hôtel
- René Berthier : Le notaire
- Jean-Louis Le Goff : Le cuisinier
- Pierre Duncan : Un déménageur
- Jimmy Perrys : Un déménageur
- Sketch : les Grimaldi
- Louis de Funès : Cesare Grimaldi, le père, artiste italien
- Marc Cassot : Benvenuto Grimaldi, le fils, peintre génial
- Anne Caprile[7] : Carlotta Grimaldi, la fille prostituée
- Andréa Parisy : La seconde fille Grimaldi
- Anne Roudier : Madame Grimaldi
- Albert Michel : Le sacristain, ami des « Grimaldi »
- Fernand Sardou : Scarfatti, le conservateur du Louvre
- Claire Gérard : Victorine, la balayeuse du Louvre
- René Hell : client de la maquette de Grimaldi
- Sylvain Lévignac : Un invité aux fiançailles
- Palmyre Levasseur : Une invitée aux fiançailles
- Rudy Lenoir : Un inspecteur
- René Lefebvre-Bel : Un restaurateur de tableaux

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