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dimanche 15 juin 2025

12.00 - MON AVIS SUR LE FILM ESCALIER DE SERVICE DE CARLOS RIM (1954)


  Vu le Film Escalier de Service de Carlos Rim (1954) avec Robert Lamoureux Jean Marc Thibault Danielle Darrieux Louis de Funès Marc Cassot Jean Richard Julie Astor Saturnin Fabre Sophie Desmarets Jacques Morel Gérald Blain 

À bout de ressources et mourant de faim, Marie-Lou, une petite bonne est recueillie par Léo et ses amis squatters. La chaleur de leur accueil la met en confiance et elle leur raconte la vie de ses anciens patrons. La folie et le bruit qui régnaient chez les Dumery où monsieur était ministre. Le silence écrasant et insoutenable que l'on trouvait chez les Delecluze, monsieur étant bourreau. Chez les Béchard, monsieur et son fils Gaston la poursuivaient sous l'œil tolérant de madame. Le couple Berthier, monsieur auteur, madame, actrice, la met à la porte dès que la situation financière fut rétablie. Seul son séjour chez les Grimaldi lui permit de rencontrer Benvenuto, un jeune peintre génial, que Marie-Lou retrouve, lavé de toute accusation, après qu'on l'eut soupçonné d'être un faussaire. Les jeunes gens réunis, l'avenir leur appartient. 

Escalier de service est un film à sketches dont la structure repose sur un objet architectural aussi prosaïque que symbolique : cet escalier réservé « au personnel », qui serpente dans l’ombre des grands immeubles bourgeois. Cet espace secondaire, souvent ignoré, Carlo Rim en fait le fil rouge d’un portrait de société, à la fois burlesque, mélancolique et acide. 

Le prétexte narratif est simple mais ingénieux : une jeune bonne fraîchement engagée monte, étage par étage, pour se rendre chez son employeur. À chaque palier, elle rencontre d’autres domestiques ou voisins, chacun porteur d’une histoire, d’un tempérament, d’un monde. Ces rencontres successives forment les sketches du film. Le ton est volontairement composite, allant de la farce pure à l’ironie douce-amère, avec une constante : une tendre férocité dans l’observation. 

C’est un cinéma d’après-guerre encore empreint de vaudeville, mais où pointe déjà une veine plus désabusée, presque pré-nouvelle vague par instants. On sent chez Rim un goût du détail pittoresque, de l’absurde quotidien, une façon de croquer des silhouettes en quelques gestes, quelques mots, comme savaient le faire Jules Renard ou Courteline. L’éventail des personnages est saisissant : concierge langue de vipère, vieil acteur sur le retour, demi-mondaine fantasque, mandataire bougon des Halles (formidable sketch), ou encore ce compositeur raté dont les notes s’égrènent comme des rêves manqués. Ce sont des archétypes, oui, mais pleins de relief. Derrière les mimiques et les exagérations comiques, il y a souvent une forme d’humanité désemparée. 

Le sketch du mandataire des Halles, où la truculence du verbe cache une véritable étude de caractère. Il y a là, dans ce refus du pathos au profit de la cocasserie amère, une forme d’élégance du regard. Rim ne cherche pas la bluette, il saisit la rugosité tendre du réel. 

Le casting est un festival de trognes et d’accent Tous livrent des partitions à la hauteur, souvent dans de petits rôles, parfois fugaces mais toujours vivants. On ne s’ennuie jamais parce que Rim a l’oreille fine, l’œil alerte. Il aime ses personnages sans les idéaliser. Il les montre dans leur ridicule, leur routine, leur éclat fugitif aussi. 

Là où Escalier de service touche encore plus, c’est dans ce qu’il déclenche chez moi : une mémoire corporelle et affective de ces marches, gravies pendant vingt ans. Cet escalier, ce n’est pas un décor de cinéma. C’est le théâtre quotidien de vos allées et venues, des sacs de courses portés à bout de bras, des paroles échappées entre deux paliers, des odeurs de soupe ou de cirage, des visages familiers, parfois dérangeants, souvent attachants. 

Ma mère, ses trajets incessants entre le 8e étage et le rez-de-chaussée, elle aussi héroïne du quotidien. Pas de marivaudage bourgeois, mais le travail, l’ombre, l’endurance. Ce que le film effleure parfois avec humour ou mélancolie, je l’ai vécu avec constance. Et cela donne à Escalier de service une puissance inattendue : il ravive, à travers la comédie, un monde englouti, celui des cuisines, des balais, des couloirs discrets, des codes implicites entre « ceux du devant » et « ceux de derrière ». 

Si Rim se permet quelques concessions faciles au public — des effets appuyés, des transitions bancales — c’est peut-être parce que ce cinéma-là cherche à rassembler, à faire rire ensemble, y compris sur des vérités parfois dures. Et il y parvient sans lourdeur, avec ce je-ne-sais-quoi de populaire au sens noble : une capacité à faire vibrer le banal, à élever les petites gens sans les trahir. 

 

Escalier de service est un film qui mérite d’être revu aujourd’hui non comme une simple comédie à sketches, mais comme un témoignage social sur une époque et une architecture invisible : celle du « derrière », du personnel, de la domesticité, avec ses codes, ses douleurs, ses joies enfouies. Pour moi , il devient encore plus précieux : un miroir sensible de votre enfance, de votre famille, de cette humanité souvent reléguée mais si vivante. Ce n’est plus seulement du cinéma, c’est de la mémoire incarnée. 

NOTE : 12.00

FICHE TECHNIQUE


DISTRIBUTION


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