Vu le Film Le Maitre et Marguerite de Michael Loschkin (2024) avec August Diehl Ioulia Snighir Levguini Tsyganov Danil Steklov Claes Bang Iouri Kolonovnikov Alexi Rozine
Un écrivain célèbre au sommet de sa carrière se retrouve au centre d'un scandale littéraire. Une pièce inspirée de sa pièce sur Ponce Pilate est retirée du répertoire d'un théâtre moscovite pour avoir critiqué les autorités et fait la propagande d'enseignements religieux. L'œuvre est interdite lors d'une réunion de l'Union des écrivains, les collègues évitent par défi de rencontrer l'écrivain, qui devient en quelques jours un paria.
Vu récemment sur Canal+, Le Maître et Marguerite de Mikhail Lokshin m’a laissé une impression étrange. Présenté comme un événement – avec son succès colossal en Russie (près de 6 millions de spectateurs) – le film débarque presque en catimini chez nous, puisqu’il n’est même pas sorti en salles en France. Et pour cause : c’est une œuvre ambitieuse, mais qui se refroidit à mesure qu’elle avance, comme un plat servi trop vite et dont la saveur s’évanouit au fil des bouchées.
Adapter le roman de Mikhaïl Boulgakov, écrit dans les années 30 et publié bien après la mort de son auteur, c’est s’attaquer à un monstre sacré de la littérature russe. Le livre est foisonnant, traversé par une multitude de personnages, d’intrigues, de symboles et de niveaux de lecture. Lokshin, lui, choisit une structure en parallèles : on saute d’une histoire à l’autre, sans toujours savoir comment ni pourquoi. À la longue, ce procédé fatigue et embrouille. Quand on n’a pas la base solide du roman – ce qui est mon cas – on finit par se perdre.
Le récit nous entraîne d’un côté dans le Moscou des années 1930, où un écrivain surnommé « le Maître » (joué par Evgeny Tsyganov) affronte la censure et la terreur soviétique. Ses écrits, jugés blasphématoires, l’isolent et le détruisent. À ses côtés, Marguerite (Yuliya Snigir), femme libre et passionnée, l’aime d’un amour absolu et se sacrifie pour lui. De l’autre côté, nous basculons dans la Judée antique, où Ponce Pilate (Yura Borisov) est confronté à Yeshoua Ha-Nozri (l’équivalent du Christ), et où s’esquisse une réflexion sur la vérité, le pouvoir et la lâcheté.
Entre ces deux univers surgit un invité encombrant : le diable lui-même, Woland (August Diehl, qu’on a connu dans Inglourious Basterds), accompagné de son cortège grotesque et inquiétant – un chat géant, des créatures démoniaques, des sbires cruels. À travers lui, Lokshin tisse une métaphore assez lisible : dans un monde où l’idéologie soviétique refuse l’existence de Dieu, c’est le démon qui se charge de rappeler la présence du surnaturel. Autrement dit, si tu nies Dieu, attends-toi à voir surgir son contraire.
Sur le papier, l’idée est forte. À l’écran, elle tourne au schéma répétitif et un peu démagogique : les bureaucrates, les communistes, les hommes de pouvoir, tous ces matérialistes bornés, finissent humiliés ou punis par Woland et sa bande. Le film avance ainsi, entre séquences spectaculaires et démonstrations appuyées, mais il perd peu à peu de sa force. Au lieu d’une fresque spirituelle, on se retrouve avec un mélange pesant de parabole chrétienne et de critique du communisme, sans véritable colonne vertébrale.
Visuellement, rien à dire : la production est léchée, les décors du Moscou stalinien sont reconstitués avec soin, les costumes élégants, la photo soignée. Les acteurs donnent de l’épaisseur, surtout Tsyganov en écrivain torturé et Snigir en Marguerite ardente. Mais tout cela s’étire : plus de 2h30 de film, sans parvenir à dégager une ligne claire. Là où un récit ramassé, moins de deux heures, aurait pu frapper juste, Lokshin s’éparpille.
Je reconnais l’audace de vouloir adapter Boulgakov. Mais à force de jongler entre satire politique, fresque biblique et romance sacrificielle, le film finit par s’étioler. J’aurais aimé être emporté par ce mélange de fantastique, de drame amoureux et de réflexion philosophique. Au lieu de cela, je me suis retrouvé à me demander : vers quoi tout cela conduit-il ?
Le démon Woland n’apparaît pas comme un personnage diabolique fascinant, mais plutôt comme un instrument commode, une sorte de juge ironique chargé de rappeler que les hommes ne peuvent pas se soustraire à une transcendance, qu’elle soit divine ou diabolique. Les communistes athées sont ridiculisés, les croyances balayées, et la grande question reste en suspens : qu’est-ce que ce film veut nous dire, au fond ?
Un mot enfin sur l’histoire d’amour entre le Maître et Marguerite : elle devait être le cœur du récit, le moteur de l’émotion. Mais elle s’efface derrière les démonstrations idéologiques et les changements d’univers. Marguerite, figure mythique de la littérature russe, aurait mérité un souffle plus fort, plus central. Ici, elle n’est qu’un rouage, alors qu’elle devrait être la lumière qui éclaire les ténèbres.
Pour moi, Le Maître et Marguerite version Lokshin est une œuvre ambitieuse, belle à regarder, mais qui tourne à vide. Je comprends son succès en Russie : il flatte à la fois une nostalgie et une ironie vis-à-vis du passé soviétique. Mais pour un spectateur français, étranger au roman et peu armé pour les codes implicites, le résultat reste opaque.
Je referme ce film comme un livre trop lourd, refermé avant la fin : impressionné par l’effort, mais frustré de n’avoir jamais trouvé le fil conducteur.
NOTE : 8.10

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