Vu le film L’Homme qui Tua Liberty Valance de John Ford (1962) avec James Stewart John Wayne Lee Marvin Lee Van Cleef Vera Miles Woody Strode Andy Devine John Carradine Edmond O’Brien Strother Martin
Le sénateur Randsom Stoddard a fait le déplacement pour assister à l'enterrement de Tom Doniphon. Interrogé par les journalistes sur les raisons de sa présence à la cérémonie, il raconte son arrivée dans l'Ouest. Sauvagement battu par le bandit Liberty Valance, le jeune juriste Stoddard fut alors pris en amitié par Tom Doniphon. Ce dernier lui enseigna la seule loi qui prévaut dans la région : celle des colts.
Il existe des westerns, des chefs-d’œuvre, des pages d’Histoire du cinéma, et puis il existe L’Homme qui tua Liberty Valance. C’est un sommet, pas seulement du genre, mais de l’art cinématographique tout entier. John Ford, en 1962, regarde en arrière. Il sait que le western qu’il a façonné – avec ses Indiens, sa cavalerie, ses grands espaces et ses héros droits comme la justice – touche à sa fin. Il le sait, et plutôt que de l’ignorer, il le raconte. Ce film n’est pas un western parmi d’autres : c’est le western qui parle du western, de ce qu’il fut et de ce qu’il ne pourra plus être.
L’histoire commence comme un récit classique : un jeune avocat idéaliste, Ransom Stoddard (James Stewart), débarque dans une ville terrorisée par un bandit, Liberty Valance (Lee Marvin). La loi est absente, la peur règne, et le Far West, ici, n’a pas encore cédé la place à la civilisation. Ransom croit au droit, aux textes, aux juges. Mais face à la brutalité, la loi ne suffit pas. Dans l’ombre, un homme veille : Tom Doniphon (John Wayne). C’est lui qui connaît la vérité du territoire, qui sait que la justice, dans ce monde encore sauvage, ne peut s’imposer que par la force et le courage solitaire.
Le film est un triangle. Stewart représente l’avenir : l’État de droit, la démocratie en marche, l’homme qui fera voter les lois. Wayne, lui, incarne le passé : la violence nécessaire, l’homme qui tue pour protéger mais qui sait qu’il n’a pas de place dans l’ordre nouveau. Et entre les deux, une femme, Hallie (Vera Miles), figure de l’Amérique qui hésite encore entre ses racines pionnières et le confort des villes civilisées.
Ford filme cette histoire en noir et blanc, comme s’il voulait rappeler qu’il ne s’agit plus d’un conte coloré mais d’une légende qui se dissout dans la vérité. La scène clé, celle qui renverse tout, est bouleversante : Ransom Stoddard, que tout le monde croit héros, n’a pas abattu Liberty Valance. C’est Tom Doniphon, tapi dans l’ombre, qui a tiré, acceptant le silence et l’effacement pour que la légende survive et que l’avenir puisse s’écrire.
Car c’est là tout le génie du film : la légende fait l’Histoire. Sans le mythe de l’avocat devenu justicier, l’ordre nouveau n’aurait peut-être pas trouvé de figure morale. La violence réelle devait rester cachée pour que la politique triomphe. Wayne, immense, sacrifie tout – sa place, son amour, son nom – pour que le monde bascule du côté de la loi. C’est un film sur le mensonge, oui, mais un mensonge fondateur. Sans lui, pas d’Amérique civilisée, pas d’État, pas de démocratie.
Lee Marvin, en bandit brutal, donne au mal un visage presque caricatural, mais c’est volontaire : Ford stylise le conflit pour aller à l’essentiel. Stewart, admirable, fragile et idéaliste, devient malgré lui le porteur de la légende. Wayne, lui, reste le colosse tragique, l’homme qui savait que son temps était révolu avant même que le coup de feu ne parte.
Il y a, dans ce film, quelque chose des épopées irlandaises, de ces chants mélancoliques où les héros anonymes disparaissent dans l’ombre pendant que d’autres, plus faibles mais plus « utiles », montent sur le devant de la scène. Ford, irlandais d’âme et américain de cœur, transforme l’histoire d’un bandit abattu en réflexion sur la construction d’un pays, sur le prix moral d’une démocratie, sur la fin des pionniers.
Et puis vient la phrase finale, terrible et magnifique : « Quand la légende est plus belle que la réalité, imprimez la légende. » Elle claque comme un testament. Tout est dit. L’Amérique, le western, la mémoire collective : tout se nourrit de récits embellis. Et Ford, en maître absolu, nous offre la plus belle des légendes en nous révélant la vérité.
NOTE : 18.50
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : John Ford
- Scénario : James Warner Bellah (en) et Willis Goldbeck d'après l'histoire de Dorothy M. Johnson
- Musique : Cyril J. Mockridge
- Photographie : William H. Clothier
- Direction artistique : Hal Pereira, Eddie Imazu
- Décors : Darrell Silvera, Samuel M. Comer
- Costumes : Edith Head
- Production : Willis Goldbeck
- Sociétés de production : Paramount Pictures, John Ford Productions
- John Wayne (VF : Raymond Loyer / Marc Alfos) : Tom Doniphon
- James Stewart (VF : Roger Tréville / Serge Faliu) : Ransom Stoddard
- Vera Miles (VF : Nadine Alari / Julie Turin) : Hallie (Alice en VF) Stoddard
- Lee Marvin (VF : Claude Bertrand / Thierry Kazazian) : Liberty Valance
- Edmond O'Brien (VF : Jean-Henri Chambois) : Dutton Peabody
- Andy Devine (VF : Robert Dalban) : Marshall Link Appleyard
- Ken Murray (VF : Richard Francœur) : Doc Willoughby
- John Carradine (VF : Louis Arbessier) : Cassius Starbuckle
- Jeanette Nolan (VF : Françoise Fechter) : Nora Ericson
- John Qualen (VF : Henry Charrett) : Peter Ericson
- Willis Bouchey (VF : Jean Violette) : Jason Tully
- Carleton Young (VF : Pierre Leproux) : Maxwell Scott
- Woody Strode (VF : Georges Aminel) : Pompey
- Denver Pyle (VF : Albert Montigny) : Amos Carruthers
- Strother Martin : Floyd
- Lee Van Cleef (VF : Michel Gatineau) : Reese, complice de Valance
- Robert F. Simon (VF : Lucien Bryonne) : Jack/Handy Strong
- O.Z. Whitehead : Herbert Carruthers
- Paul Birch : le maire Winder
- Shug Fisher (en) (VF : Jean Daurand) : Kaintuck, le bègue
- Earle Hodgins (VF : Paul Ville) : Clute Dumphries
- Anna Lee : Mme Prescott, la veuve
- Ted Mapes (en) (VF : Pierre Collet) : Highpockets, ami du bègue
- Charles Seel (en) (VF : Jean Berton) : Président du conseil électoral
Acteurs non-crédités :
- Robert Donner : rôle non spécifié
- William Henry : un joueur
- Joseph Hoover (en) (VF : Jacques Torrens) : Charlie Hasbrouck, Reporter pour The Star
- Eva Novak : une villageoise
- Jack Pennick (VF : Jean Michaud) : le tenancier du saloon
- Blackie Whiteford : un citadin

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