Vu le film Rio Grande de John Ford (1950) avec John Wayne Maureen O’Hara Ben Johnson Harry Carey Jr Claude Jarman Jr Fred Kennedy Victor McLaglen Chill Wills
Le colonel Yorke dirige une garnison non loin de la frontière mexicaine. Parmi les nouvelles recrues, il voit arriver son propre fils, Jeff. La mère du jeune soldat, Kathleen, arrive à son tour. Séparée du colonel depuis la guerre de Sécession, elle vient lui demander de renvoyer leur fils. Quand Sheridan donne l'ordre à Yorke de franchir la frontière et d'exterminer les Indiens réfugiés au Mexique, il fait évacuer les femmes et les enfants.
Avec Rio Grande (1950), John Ford clôt sa fameuse « trilogie de la cavalerie » commencée avec Le Massacre de Fort Apache (1948) et poursuivie avec La Charge héroïque (1949). Trois films reliés par le même thème : la vie des soldats de l’U.S. Cavalry, leurs devoirs, leurs sacrifices, et le prix payé par les familles. Si les deux premiers étaient déjà marqués par une dimension quasi légendaire, Rio Grande se distingue par un ton plus intime : derrière la grandeur des chevauchées, c’est l’histoire d’un homme, d’un père et d’un mari, qui se dessine.
John Wayne, l’acteur fétiche de Ford, incarne ici le colonel Kirby Yorke. Militaire rigide et inflexible, il commande une garnison de fortune installée sur les rives du Rio Grande, à la frontière mexicaine. Sa mission officielle : protéger les colons des raids apaches. Mais les ordres venus de Washington l’obligent à franchir la frontière pour pourchasser les Indiens jusque sur le sol mexicain, au mépris de la légalité internationale. Ce détail historique, inspiré d’un épisode mineur des guerres indiennes, fournit à Ford le prétexte pour explorer les dilemmes moraux et personnels de son héros.
Car Yorke n’est pas seulement un soldat. C’est aussi un père. Son fils, Jefferson (interprété par Claude Jarman Jr.), s’est engagé dans la cavalerie et se retrouve affecté sous ses ordres. Dès lors, la dualité du personnage se déploie : peut-il rester le colonel inflexible qui traite tous les jeunes recrues de la même manière, ou doit-il céder à la tendresse paternelle ? Ford filme avec pudeur cette relation tendue, faite de regards retenus et de gestes esquissés. Le colonel refuse de montrer la moindre faiblesse, mais son cœur de père bat derrière l’uniforme.
Comme si ce conflit intérieur ne suffisait pas, Yorke doit affronter une autre épreuve : le retour de son ex-femme Kathleen, incarnée par Maureen O’Hara, impériale comme toujours. Elle arrive au fort pour « récupérer » leur fils et s’oppose à Yorke, reprochant à cet homme de guerre d’avoir sacrifié sa famille au nom du devoir militaire. Leur affrontement donne au film une intensité particulière. Dans les scènes entre Wayne et O’Hara, Ford orchestre une véritable tempête sentimentale : la rudesse du colonel se heurte à la fierté de Kathleen, mais derrière les reproches perce une tendresse jamais éteinte. Leur relation devient l’autre grand enjeu du récit : réconciliation ou rupture définitive ?
L’action, elle, n’est pas en reste. Le film, tourné en un somptueux noir et blanc, alterne moments intimes et grandes séquences de bataille. Les attaques indiennes, les chevauchées à travers Monument Valley, les franchissements du Rio Grande lui-même : tout respire la mise en scène ample et lyrique de Ford. Il sait filmer les hommes au travail, les cavaliers au galop, mais aussi les pauses musicales, les chants de la troupe qui soudent les soldats et leur donnent une humanité simple. Ces respirations font le charme de son cinéma : elles donnent du rythme et évitent que l’action devienne mécanique.
Autour du couple Wayne/O’Hara, Ford réunit un casting solide. Claude Jarman Jr., tout juste sorti de l’enfance, incarne un fils touchant, partagé entre l’admiration et la crainte vis-à-vis de son père. Victor McLaglen, vieux complice du cinéaste, apporte une note comique avec son personnage de sergent fanfaron, brute au cœur tendre, qui détend l’atmosphère. Ben Johnson, autre fidèle, incarne le lieutenant Travis Tyree, cavalier élégant et courageux, qui incarne une jeunesse plus libre face au poids de la hiérarchie. Et bien sûr, John Wayne impose sa stature tranquille, mélange de force et de mélancolie : son colonel Yorke n’est pas qu’un chef de guerre, il est un homme marqué par ses choix, hanté par ce qu’il a perdu.
Ce qui fait la grandeur de Rio Grande, c’est son équilibre entre la fresque collective et le drame intime. Ford ne se contente pas de glorifier l’armée américaine. Il montre aussi les fissures : les familles brisées, les tensions entre devoir et sentiments, la violence que la guerre impose à tous. Le film, bien que nourri de l’imagerie héroïque de la cavalerie, garde une tonalité grave, presque élégiaque. Le Rio Grande, frontière naturelle et symbolique, devient le miroir des frontières intérieures : entre le colonel et le père, entre l’ex-mari et l’amant, entre l’homme et la légende.
Le rythme est vif, porté par des cavalcades et des batailles filmées avec une énergie rare, mais Ford n’oublie jamais de revenir aux visages. Monument Valley, filmée en arrière-plan, confère à l’ensemble une beauté tragique. La nature écrase les hommes, mais elle sublime aussi leur courage. Les chants collectifs, omniprésents, ajoutent une dimension presque mythologique à cette chronique militaire.
À mes yeux, Rio Grande est l’un des plus beaux westerns de Ford. Moins flamboyant que La Prisonnière du désert, moins ironique que Fort Apache, il touche par son intimité et sa sincérité. C’est un film où l’action spectaculaire coexiste avec des scènes de couple d’une intensité bouleversante, où John Wayne révèle une fragilité insoupçonnée et où Maureen O’Hara impose une puissance dramatique égale. Plus qu’un simple western de cavalerie, c’est une méditation sur la loyauté, l’amour, le temps qui passe et les choix irréversibles.
Un grand classique, à la fois panache et émotion, tempête et tendresse, qui résume à merveille l’art de John Ford : filmer l’Amérique en la magnifiant, tout en dévoilant ses contradictions.
NOTE : 14.70
FICHE TECHNIQUE
Réalisation : John Ford
Scénario : James Kevin McGuinness d'après une nouvelle de James Warner Bellah
Direction artistique : Frank Hotaling
Costumes : Adele Palmer
Décors : John McCarthy Jr. et Charles S. Thompson
Photographie : Bert Glennon et Archie Stout (seconde équipe)
Son : Earl Crain Sr et Howard Wilson
Production : Merian C. Cooper et John Ford
Musique : Victor Young
Montage : Jack Murray
Société de production : Argosy Pictures
Sociétés de distribution : Republic Pictures ; Les Films Fernand Rivers
DISTRIBUTION
- John Wayne (VF : Raymond Loyer) : lieutenant-colonel Kirby Yorke
- Maureen O'Hara (VF : Claire Guibert) : Kathleen Yorke
- Ben Johnson (VF : Yves Furet) : cavalier Travis Tyree
- Claude Jarman Jr. (VF : Jacques Delvigne) : cavalier Jeff Yorke
- Harry Carey Jr. (VF : Roger Rudel) : cavalier Daniel Boone
- Victor McLaglen (VF : Marcel Rainé) : sergent-major Quincannon
- Chill Wills (VF : Jean Gournac) : Dr Wilkins
- J. Carrol Naish (VF : Claude Péran) : général Philip Sheridan
- Grant Withers (VF : Marcel Painvin) : marshall fédéral
- Peter Julien Ortiz (VF : Jacques Beauchey) : capitaine St. Jacques
- Steve Pendleton (VF : Michel Gudin) : capitaine Prescott
- Karolyn Grimes (en) : Margaret Mary
- Alberto Morin (VF : Jean-Henri Chambois) : lieutenant
- Stan Jones : sergent
- Fred Kennedy : Heinze
- Chuck Roberson : officier
- Cascades

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