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samedi 27 septembre 2025

16.50 - MON AVIS SUR LE FILM LE DESARROI DE L'ELEVE TOERLESS DE VOLKER SCHLONDORFF (1966°

 


Vu le film Le Désarroi de l’Elève Törless de Volker Schlondorff (1966) avec Matthieu Carrière Marian Seidowsky Bernd Tischer Alfred Diertz Barbara Steele Lotte Ledl 

Au début du XXème siècle, en Autriche, le jeune Toerless intègre un internat. Durant une nuit, un vol a lieu. Deux élèves, Reiting et Beineberg, démasquent le coupable et menacent de le dénoncer s'il ne satisfait pas leurs désirs. Le pauvre Basini va ainsi subir toutes sortes de sévices, sous l'œil de Toerless, observateur passif mais troublé.  

Prix de la critique internationale à Cannes, 1966 

Dans la lignée d’If… de Lindsay Anderson ou encore d’Orange Mécanique de Stanley Kubrick, Volker Schlöndorff signe avec Les Désarrois de l’élève Törless son premier long métrage, et déjà une œuvre capitale. Tourné en 1966, adapté du roman de Robert Musil, le film n’a rien perdu de son tranchant. Derrière le récit d’un pensionnat autrichien à la fin du XIXe siècle, Schlöndorff met à nu une vérité bien plus universelle : la brutalité de la jeunesse, la naissance du mal dans le quotidien, l’apprentissage d’une cruauté qui annonce, en creux, ce qui adviendra quelques décennies plus tard en Allemagne. Les mêmes gestes donnent les mêmes effets, et l’on y perçoit déjà les prémices d’un terreau où le nazisme allait pouvoir germer. 

L’histoire est simple : dans un internat prestigieux, un élève, Basini (joué par Marian Seidowsky), est surpris en train de voler. Ses camarades Reiting (Fred Dietz) et Beineberg (Bernd Tischer) décident de ne pas le dénoncer aux adultes, mais de le garder sous leur coupe. S’installe alors une spirale de brimades, d’humiliations et de tortures psychologiques – puis physiques – que Basini endure sans pouvoir se défendre. Ce huis clos cruel se déploie dans l’ombre des dortoirs et des salles d’étude, une violence sourde, froide, où la jeunesse se révèle impitoyable. 

Reiting et Beineberg incarnent les bourreaux, les tortionnaires en herbe. Ils profitent de la faiblesse de Basini pour l’écraser, le réduire, le déshumaniser. Mais si ces deux salopards sont aisément identifiables comme les figures du mal, Schlöndorff nous force à poser la question autrement : que dire de Törless, l’élève éponyme, incarné par Mathieu Carrière ? Car lui ne frappe pas, ne torture pas, ne participe pas directement. Il observe. Il analyse. Il se tait. Et ce silence, cette passivité glaciale, font de lui le vrai point de bascule du récit. 

Törless est le spectateur complice. On s’interroge : prend-il du plaisir à voir Basini humilié ? Est-il secrètement amoureux de lui, fasciné par cette victime idéale ? Schlöndorff ne tranche pas, il nous laisse libres d’interpréter. Mais ce flou est peut-être plus terrible encore : Törless devient un miroir, où chacun de nous doit se demander ce qu’il aurait fait. Aurait-on agi ? Ou se serait-on réfugié dans l’observation distante, confortable, intellectuelle ? 

Ce que filme Schlöndorff n’est pas une violence béate, mais l’installation progressive, latente, du mal absolu. On ne tombe pas dans le spectaculaire, on reste dans le quotidien : une chambre, une salle de classe, des rituels d’adolescents qui tournent à l’horreur. Et c’est précisément là que le film choque. Ce n’est pas un coup de poing direct, mais un poison lent, qui s’infiltre dans chaque plan. 

Törless, enfant chéri, intelligent, sensible à l’esthétique et à la philosophie, se mue peu à peu en autre chose : un être pédant, suffisant, qui se croit au-dessus des autres. Il n’est pas violent avec ses poings, mais avec son regard. En refusant d’intervenir, en rationalisant ce qu’il voit, il devient l’incarnation même du mal réfléchi. Là où Reiting et Beineberg représentent la brutalité aveugle, Törless incarne la froideur calculatrice, celle qui, plus tard, permettra à des idéologies monstrueuses de prospérer. Il n’est pas innocent. Il est l’intellectuel collaborateur, celui qui laisse faire, celui qui observe comme on dissèque un insecte. 

Basini, lui, est la victime pure, presque christique. Sa faiblesse en fait une proie idéale, et l’on ne peut que souffrir devant son calvaire. Mais Schlöndorff refuse le mélodrame : il ne donne pas de grandes tirades à Basini, il l’enferme dans le mutisme, dans la soumission. Ce qui rend sa descente aux enfers encore plus insupportable. 

La mise en scène est d’une rigueur glaçante. La photographie en noir et blanc de Franz Rath accentue les contrastes, enferme les corps dans des cadres rigides, évoque les barreaux d’une prison invisible. Le rythme lent, presque cérémoniel, installe une tension constante, comme si le moindre geste, le moindre regard, pouvait annoncer une nouvelle cruauté. 

On comprend pourquoi le film a tant marqué. Il ne dénonce pas seulement la violence adolescente. Il nous montre, en germe, les mécanismes qui conduisent une société à basculer dans la barbarie. Ces collégiens sont une métaphore : leur microcosme annonce les foules de demain. Et Törless, avec son indifférence glaciale, en devient la figure la plus inquiétante. 

Les Désarrois de l’élève Törless n’est pas seulement un film sur le passage à l’âge adulte. C’est une alerte, une parabole sur la complaisance, sur la manière dont l’intelligence peut se mettre au service du mal, ou pire, se réfugier dans le silence. Schlöndorff signe une œuvre qui secoue non par la débauche de sang ou de cris, mais par la lente révélation d’un mal tranquille, insidieux. On sort du film sonné, conscient que le rire cruel d’une cour d’école peut être l’écho d’une horreur bien plus vaste. 

NOTE ; 16.50

FICHE TECHNIQUE


DISTRIBUTION

 

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