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samedi 20 septembre 2025

17.00 - MON AVIS SUR LE FILM DOCTEUR FOLAMOUR DE STANLEY KUBRICK (1964)


 Vu le film Docteur Folamour (ou comment j'ai appris à ne plus m'en faire et à aimer la bombe ) de Stanley Kubrik (1964) avec Peter Sellers Sterling Hayden George C.Scott Keenan Wynn Slim Pickens Peter Bull Tracy Reed James Earl Jones 

Stanley Kubrick, en 1964, livre avec Docteur Folamour ou : comment j’ai appris à ne plus m’en faire et à aimer la bombe l’un des films les plus grinçants jamais tournés sur la guerre froide. Le point de départ est aussi absurde que terrifiant : un général américain, Jack D. Ripper (interprété avec une rigidité inquiétante par Sterling Hayden), se persuade que les communistes ont infiltré jusqu’aux fluides corporels des Américains et, frappé d’une paranoïa délirante, déclenche de sa propre initiative une offensive nucléaire. Quarante-deux bombardiers B-52, armés jusqu’aux dents, se dirigent vers l’URSS. Dès cet instant, le compte à rebours est lancé : comment empêcher l’inévitable, quand le système militaire a été conçu pour être infaillible, donc incontrôlable ? 

Kubrick enferme alors la plupart de son récit dans deux lieux : le fameux War Room, salle de réunion souterraine où le président américain et ses conseillers débattent, et l’habitacle étouffant des bombardiers qui continuent inexorablement leur mission. Cette alternance renforce la tension, tout en accentuant l’absurdité bureaucratique : plus les hommes discutent, plus les machines avancent. La proximité de la table ronde, filmée avec des angles marqués et des contrastes appuyés, devient un théâtre de pantins où chacun se révèle dans sa folie ou son impuissance. 

Le génie du film repose aussi sur l’extraordinaire performance de Peter Sellers, caméléon inégalé, qui incarne trois rôles principaux (et non quatre, comme on l’a parfois dit) : le capitaine Lionel Mandrake, officier britannique cherchant à raisonner le général Ripper ; le président des États-Unis, Merkin Muffley, homme dépassé mais étrangement calme, coincé entre ses conseillers hystériques et ses appels téléphoniques lunaires à son homologue soviétique ; et enfin le mythique docteur Strangelove, ancien savant nazi reconverti en conseiller scientifique, dont le corps incontrôlable trahit à chaque geste une folie irrépressible. Sellers déploie des registres totalement distincts : la retenue polie, la neutralité maladroite, et l’exubérance grotesque. C’est une démonstration d’acteur qu’on ne se lasse pas d’admirer. 

Face à lui, George C. Scott incarne le général Buck Turgidson avec une énergie volcanique : il bondit, éructe, s’indigne, comme un enfant surexcité qui voudrait jouer à la guerre grandeur nature. Sterling Hayden campe Ripper avec une gravité glaciale, tandis que Slim Pickens, en cowboy bombardier, nous offre l’image finale restée dans toutes les mémoires : l’homme chevauchant la bombe comme un rodéo funèbre. Cette séquence, mélange d’absurde et d’apocalypse, condense le film tout entier : rire jaune devant la destruction totale. 

Kubrick, que l’on disait froid, cynique, voire misanthrope, trouve ici sa veine la plus corrosive : il réalise une comédie noire qui dénonce autant la logique militaire que la folie des dirigeants. Les dialogues sont ciselés, chaque réplique fait mouche, oscillant entre le burlesque et le glaçant. La mise en scène, très géométrique, enferme les personnages dans un théâtre de l’absurde, où l’humanité s’efface derrière les automatismes. L’ironie veut que ceux qui décident de la fin du monde soient à l’abri, bien au chaud dans leur bunker, débattant avec sérieux de la survie de la civilisation, tout en multipliant les lapsus ridicules. 

Mon point de vue : Docteur Folamour n’est pas seulement un pamphlet antimilitariste, c’est aussi une méditation sur la folie du pouvoir et sur la logique autodestructrice des systèmes conçus pour protéger. L’humour noir y est l’arme la plus tranchante, permettant à Kubrick d’éviter le didactisme pour frapper directement l’esprit et la mémoire. Chaque visionnage redonne à ce film une actualité brûlante : en 1964, on craignait l’apocalypse nucléaire entre les blocs. Aujourd’hui, les tensions géopolitiques, la course aux armements, l’intelligence artificielle appliquée à la défense ou la fragilité des systèmes de communication montrent que l’erreur humaine, ou la folie d’un seul individu, pourrait toujours précipiter une catastrophe. L’actualité récente, marquée par la menace d’armes hypersoniques, la guerre en Ukraine, la montée de régimes autoritaires et l’inquiétude nucléaire autour de l’Iran ou de la Corée du Nord, prouve que la mécanique imaginée par Kubrick n’a rien perdu de sa pertinence. 

Décapant, dérangeant, incisif, Docteur Folamour mérite son rang au panthéon du cinéma. C’est une œuvre à la fois hilarante et terrifiante, où Peter Sellers atteint des sommets d’interprétation et où Kubrick, sous des dehors comiques, signe peut-être son film le plus politique. À la question « cela pourrait-il arriver aujourd’hui ? », la réponse est troublante : oui, peut-être plus que jamais. 

NOTE : 17.00

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DISTRIBUTION

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