Vu le film Sleepers de Barry Levinson (1996) avec Robert de Niro Jasobn Patric Brad Pitt Dustin Hoffman Vittorio Gassman Minnie Driver Kevin Bacon Billy Crudup Ron Eldard Jeffrey Donovan Bard Renfro Geoffrey Widgor Jonathan Tucker Joe Perrino
En 1967, dans le quartier new-yorkais de Hell's Kitchen à Manhattan, quatre jeunes amis inséparables, Shakes, Michael, John et Tommy, vivent dans les rues sous le regard bienveillant du père Bobby. Malgré l'attention de l'homme d'Église pour maintenir les quatre copains sur la bonne voie, ceux-ci mènent une vie difficile, marquée notamment par leur rencontre avec King Benny, le parrain local de la pègre. Ce dernier leur confie des petits boulots tels que transporter des fonds. Ils ont une amie, Carol, qui les suit dans leurs aventures.
Il est des films qui ne laissent pas indemne. Sleepers, réalisé par Barry Levinson d’après le roman de Lorenzo Carcaterra, fait partie de ceux-là. Ce n’est pas seulement une fiction poignante, mais une plongée dans les zones les plus sombres de l’humanité. Dès les premières minutes, on a envie de crier « non ! pourquoi ! » face à ce qui arrive aux enfants. Pourquoi des salopards, d’où qu’ils viennent – gardiens de prison, figures d’autorité ou simples voyous – abusent-ils sexuellement d’enfants et d’adolescents, en y ajoutant coups, humiliations et destruction psychologique ? Le film ne détourne pas le regard et force le spectateur à affronter cette réalité insupportable.
L’histoire commence dans le quartier pauvre de Hell’s Kitchen à New York dans les années 60. Quatre gamins – Shakes, Michael, John et Tommy – traînent leurs 400 coups, pas des saints, mais pas non plus des criminels. Une farce qui tourne mal, un accident dramatique, et les voilà envoyés dans une maison de redressement. Là, le rêve américain se fissure brutalement : derrière les murs de la justice pour mineurs, ils tombent aux mains de monstres en uniforme. Nokes (Kevin Bacon), Addison (Jeffrey Donovan) et Ferguson (Terry Kinney) incarnent ces gardiens qui profitent de leur pouvoir pour infliger sévices, viols et tortures. Les scènes sont filmées sans voyeurisme mais avec une violence psychologique telle qu’elles marquent à vie.
Le spectateur ressent une rage impuissante. Et ce sentiment est renforcé par une question centrale : pourquoi la justice ferme-t-elle les yeux ? Par complaisance, par incrédulité, ou par lâcheté ? Cette cécité volontaire ou involontaire de l’institution est au cœur de l’indignation qui traverse le récit et rejoint tristement ce qu’on a découvert ces dernières années dans de nombreux pays, y compris le nôtre.
La force de la première partie réside aussi dans le jeu des jeunes acteurs : Brad Renfro (Shakes), Jonathan Tucker (Tommy), Joe Perrino (Michael) et Geoffrey Wigdor (John). Tous quatre livrent des performances bouleversantes, incarnant à la fois l’innocence brisée et la rage contenue. Ils portent le film avec une intensité qui nous accroche au cœur.
Puis vient la deuxième partie, plus glaciale encore, où l’enfance meurtrie se transforme en âge adulte brisé. John et Tommy (Ron Eldard et Billy Crudup), devenus tueurs au service de la mafia locale, abattent sans état d’âme leur ancien bourreau Nokes. Ce meurtre n’est pas un simple règlement de comptes : il déclenche la mécanique de la vengeance et de la justice détournée. Michael (Brad Pitt), devenu procureur, orchestre en secret le procès pour protéger ses amis et piéger les coupables. Shakes (Jason Patric), devenu journaliste, met sa plume au service de cette entreprise. À leurs côtés, deux figures alliées : le prêtre joué par Robert De Niro, qui incarne l’inquiétude morale, et l’avocat alcoolique campé par Dustin Hoffman, improbable mais efficace instrument de ce procès truqué.
La mise en scène de Barry Levinson n’est pas parfaite : parfois académique, parfois trop appuyée. Mais elle sait ménager des respirations, des moments d’émotion pure, comme cette séquence où les quatre amis se retrouvent adultes autour d’une table, conscients que leur fraternité est née dans la souffrance. Car au-delà de la vengeance et du procès, c’est bien l’amitié qui demeure le fil conducteur du film. Une amitié indestructible, qui les sauve de la folie, qui justifie tout, même les cadavres laissés sur le chemin.
Sleepers est donc à la fois un drame carcéral, un thriller de vengeance et une réflexion sur la justice. Mais surtout, il est une ode à l’amitié. Une ode douloureuse, écrite à l’encre du sang et des larmes. On sort de la projection les yeux mouillés, bouleversé par le destin de ces enfants devenus hommes, et avec une pensée qui résonne longtemps : « Plus jamais ça ».
Un film marquant, poignant, imparfait mais profondément nécessaire.
La vengeance aura eu raison de la justice de l’État et les quatre amis, de nouveau réunis, pourront enfin vivre un court moment de paix.
NOTE ; 18.50
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : Barry Levinson
- Scénario : Barry Levinson, d'après le roman de Lorenzo Carcaterra
- Musique : John Williams
- Direction artistique : Tim Galvin
- Décors : Kristi Zea (de)
- Costumes : Gloria Gresham
- Photographie : Michael Ballhaus
- Montage : Stu Linder
- Production : Steve Golin et Barry Levinson
- Coproduction : Lorenzo Carcaterra
- Production déléguée : Peter Giuliano
- Production associée : Gerrit van der Meer (en)
- Sociétés de production : Baltimore Pictures, PolyGram Filmed Entertainment, Propaganda Films et Warner Bros.
- Sociétés de distribution : Warner Bros. (États-Unis), PolyGram Film Distribution (France), Ascot Elite[(Suisse romande)
- Budget : 44 millions de dollars
- Jason Patric (VF : Pierre Baux ; VQ : Daniel Picard) : Lorenzo Carcaterra alias « Shakes » / le narrateur
- Brad Pitt (VF : Thibault de Montalembert ; VQ : Alain Zouvi) : Michael Sullivan
- Robert De Niro (VF : Jacques Frantz ; VQ : Jean-Marie Moncelet) : le père Robert « Bobby » Carrillo
- Minnie Driver (VQ : Élise Bertrand) : Carol Martinez
- Kevin Bacon (VF : Bruno Wolkowitch ; VQ : Gilbert Lachance) : Sean Nokes
- Dustin Hoffman (VF : Dominique Collignon-Maurin ; VQ : Guy Nadon) : Danny Snyder
- Ron Eldard (VF : Éric Métayer ; VQ : Pierre Auger) : John Reilly
- Billy Crudup (VF : Guillaume Orsat ; VQ : François Godin) : Tommy Marcano
- Bruno Kirby (VF : Patrice Dozier ; VQ : Pascal Gruselle) : le père de « Shakes »
- Jeffrey Donovan : Henry Addison
- Terry Kinney (VF : Éric Herson-Macarel ; VQ : Claude Préfontaine) : Ralph Ferguson
- Vittorio Gassman (VF : Philippe Laudenbach ; VQ : Aubert Pallascio) : King Benny
- Joe Perrino (en) (VF : Alexis Tomassian ; VQ : Inti Chauveau) : Lorenzo Carcaterra alias « Shakes » jeune
- Geoffrey Wigdor (VF : Donald Reignoux) : John Reilly jeune
- Brad Renfro : Michael Sullivan jeune
- Jonathan Tucker (VF : Pascal Grull) : Tommy Marcano jeune
- Dash Mihok (VF : Christophe Lemoine ; VQ : Olivier Visentin) : K. C.
- James Pickens Jr. (VF : Thierry Desroses ; VQ : François L'Écuyer) : Marlboro
- John Slattery (VF : Vincent Violette ; VQ : Thierry Langerak) : Ron Carlson
- Wendell Pierce (VF : Jean-Michel Martial ; VQ : Pierre Chagnon) : Little Caesar
- Frank Medrano (VF : Gérard Boucaron ; VQ : Serge Turgeon) : Fat Mancho
- Eugene Byrd (VF : Maël Davan-Soulas) : Rizzo

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