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mercredi 24 septembre 2025

15.90 - MON AVIS SUR LE FILM LOLITA DE STANLEY KUBRICK (1962)


 Vu le Film Lolita de Stanley Kubrick (1962) avec James Mason Sue Lyon Peter Sellers Shelley Winters Shirley Douglas Lois Maxwell Gary Cockrell Marianne Stone 

Récemment arrivé en Nouvelle-Angleterre, le professeur Humbert Humbert cherche une chambre à louer. Visitant un logement, il aperçoit la jeune fille de la maison, Lolita. Cette vision l'enflamme et il décide de s'installer là. 

Adapter Lolita relevait de la provocation. Comment transposer à l’écran ce roman mondialement célèbre de Vladimir Nabokov, dont la réputation sulfureuse a souvent éclipsé le sens profond ? Le livre n’est pas, comme trop d’éditeurs l’ont vendu avec des couvertures racoleuses, une romance interdite, mais une dénonciation de la perversion d’Humbert Humbert, narrateur manipulateur et menteur, qui tente de justifier l’injustifiable. Kubrick, conscient de la censure des années 60 et de l’impossibilité de filmer frontalement le scandale, choisit la voie de la suggestion. Il élève l’âge de Dolores « Lolita » Haze de douze à quatorze ans, mais conserve intacte l’obsession pathologique de son héros. Là réside le génie du film : ne rien montrer d’explicite, mais faire ressentir à chaque plan la tension, la manipulation, l’ambiguïté. 

Le film s’ouvre sur une séquence magistrale : Humbert (James Mason) se rend dans une demeure décadente pour tuer Clare Quilty (Peter Sellers). Cette scène, mélange de jeu de dupes et de duel psychologique, est d’une beauté glaciale. La caméra glisse, observe, tandis que Quilty feint la désinvolture et tente de désarmer Humbert par la parole. Dès ce prologue, Kubrick installe un climat trouble : nous connaissons la fin, il nous reste à comprendre comment on en est arrivé là. 

L’histoire reprend ensuite depuis l’arrivée d’Humbert dans une petite ville américaine. Professeur européen cultivé, il loue une chambre chez Charlotte Haze (Shelley Winters), veuve exubérante, qui tombe vite sous son charme. Mais ce qui attire Humbert, c’est la fille de Charlotte : Dolores, surnommée Lolita, interprétée par Sue Lyon. Le choix de Kubrick est décisif : Lyon, avec son mélange de candeur adolescente et d’assurance provocante, incarne un personnage qui fascine autant qu’il dérange. Elle n’est pas une « séductrice », mais une jeune fille projetée dans une situation qui la dépasse, et que le regard des adultes déforme. 

Lorsque Charlotte découvre l’intérêt d’Humbert pour sa fille, le drame s’enclenche. Un accident brutal l’élimine du récit, laissant Humbert seul avec Lolita. C’est ici que le film bascule dans le malaise : Kubrick ne filme pas l’acte, mais tout est suggéré. On voit Humbert s’enfoncer dans son obsession, tandis que la jeune fille, mi-enfant, mi-adolescente, se débat entre la soumission et une forme de résistance adolescente. La subtilité du film tient à ce non-dit : nous comprenons ce qui se joue sans jamais le voir. 

Quilty, en contrepoint, réapparaît comme un double ironique d’Humbert. Peter Sellers, caméléon génial, incarne ce personnage imprévisible, tour à tour clownesque, inquiétant, sarcastique. Ses apparitions accentuent la dimension presque surréaliste du récit : on ne sait jamais s’il manipule ou s’il se moque. Il représente à la fois le rival amoureux et le miroir déformant d’Humbert, jusqu’à la confrontation finale. 

Le style de Kubrick est reconnaissable : précision des cadres, maîtrise des mouvements de caméra, alternance de tons qui passent de la farce grinçante à la tragédie intime. Une simple conversation peut se transformer en duel, une situation comique révéler une noirceur profonde. Le film ose parfois l’humour noir, notamment dans la relation Humbert/Charlotte, où l’on rit presque malgré soi de la maladresse de cette mère envahissante. Mais derrière ces respirations se cache toujours une gravité implacable. 

Sue Lyon, malgré son jeune âge, impressionne par son naturel et sa présence magnétique. Elle incarne une Lolita crédible, loin des clichés : espiègle, fragile, mais jamais réduite à l’image faussement glamour que la culture populaire a imposée au personnage. James Mason, lui, est bouleversant en Humbert Humbert. Avec son flegme britannique, il parvient à rendre son personnage à la fois pathétique, ridicule, et terriblement inquiétant. C’est un rôle d’équilibriste : on ne peut pas adhérer à ses actes, mais on comprend sa logique malade, son obsession dévorante. Shelley Winters apporte une énergie nerveuse et criarde, parfaite pour Charlotte, mère encombrante, aveugle à ce qui se joue sous ses yeux. Quant à Sellers, il vole presque chaque scène, par son excentricité imprévisible. 

Ce qui frappe dans Lolita, c’est l’ambiance : on est happé par un climat d’étrangeté, où la comédie s’invite au cœur du drame. La mise en scène crée un suspense constant, même pour qui connaît le roman : que va-t-il se passer ? Jusqu’où Humbert ira-t-il ? Et comment la jeune Lolita s’émancipera-t-elle de cette emprise ? Kubrick construit son récit comme une spirale obsessionnelle qui ne pouvait mener qu’à la violence finale. 

Certains reprochent au film d’avoir trahi Nabokov, de l’avoir adouci. Mais Kubrick, en fait, a choisi une autre voie : plutôt que de choquer frontalement, il a construit une œuvre d’une intelligence rare, qui laisse au spectateur le soin de recomposer les non-dits. Le roman est une confession subjective, le film est une fresque ironique et glaçante. Deux médiums, deux approches, mais une même conclusion : la chute inexorable d’Humbert. 

Pour moi, Lolita compte parmi les grandes réussites de Kubrick. Pas seulement par la virtuosité de sa mise en scène, mais par sa capacité à maintenir l’équilibre entre gravité et humour, entre fascination et rejet. Ce film est à la fois un drame obsessionnel et une farce tragique, un objet de cinéma unique qui parvient à être captivant sans jamais céder au sensationnalisme. Un grand film, subtil, troublant, et toujours aussi fascinant plus de soixante ans après sa sortie. 

NOTE : 15.90

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