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mercredi 3 septembre 2025

12.20 - MON AVIS SUR LE FILM FANON DE JEAN CLAUDE BARNY (2024)


 Vu le Film Fanon de Jean Claude Barny (2024) avec Alexandre Bouyer Deborah François Olivier Goumet Stanislas Merhar Mehdi Senoussi Salome Pärtouche Arthur Dupont 

1953. Originaire de la Martinique, le psychiatre français Frantz Fanon est nommé chef d'une division de l'hôpital psychiatrique de Blida en Algérie, dans un contexte de colonisation. Il y introduira des méthodes très modernes comme la sociothérapie ou la psychothérapie institutionnelle, qu'il adapte à la culture des patients musulmans algériens. Ses idées vont cependant s'opposer aux thèses racistes de l'École algérienne de psychiatrie d'Antoine Porot. 

Fanon de Jean-Claude Flamand-Barny est un film qui frappe d’abord par sa retenue et par la justesse de son geste. Il raconte l’histoire d’un homme, Frantz Fanon, qui arrive en Algérie comme médecin psychiatre, et qui va peu à peu être confronté à un monde en ébullition. Ce n’est pas le portrait figé d’un héros, c’est celui d’un homme au travail, d’un soignant qui cherche, doute, propose, et qui va se heurter à un système colonial d’une brutalité froide. 

Dans l’asile de Blida, Fanon ne supporte pas la manière dont les malades sont traités. Il tente d’humaniser les soins, de replacer l’individu au centre, de prendre en compte la culture, la langue, les blessures invisibles de la guerre et de l’oppression. On sent qu’il veut soigner tout le monde, qu’il refuse de choisir entre les camps : il soigne l’homme, pas le drapeau. Même un tortionnaire, il le traite comme un patient. Ce choix, déjà, est un acte politique silencieux, une façon de dire que la psychiatrie ne peut pas se plier aux logiques de domination. 

Mais tout autour de lui, la guerre s’envenime. L’armée française le surveille, se méfie, lui reproche ses méthodes. Sa couleur de peau, déjà objet de rejet en France, le désigne ici encore comme un élément suspect. On lui fait sentir qu’il n’est ni d’un côté ni de l’autre, qu’il dérange l’ordre établi, qu’il trouble la hiérarchie par sa liberté de pensée et d’action. Il ne baisse pas les yeux pour autant. Il observe, il analyse, il nomme la violence coloniale, il la théorise. Sa parole n’est jamais gratuite, elle naît de l’expérience, de l’injustice vue et vécue. 

Le film a cette intelligence rare : il ne mystifie pas Fanon, il ne le déifie pas. Il le montre humain, tendre avec les malades, parfois épuisé, parfois en colère, souvent lucide, toujours en mouvement. Alexandre Bouyer lui donne une densité magnifique : pas d’esbroufe, mais une intensité tranquille, un regard qui pense autant qu’il ressent. Déborah François, en épouse, apporte la tendresse et la constance d’un amour qui soutient sans écraser, qui accompagne dans l’ombre d’un destin qui se radicalise. 

Les personnages qui gravitent autour de Fanon, qu’ils soient collègues, militaires ou patients, incarnent chacun une pièce du puzzle colonial. Les médecins qui s’accrochent à leurs méthodes dépassées rappellent que la médecine peut devenir un instrument d’ordre autant qu’un outil de soin. Les soldats posent la violence nue, la méfiance, la peur de perdre le contrôle. Les patients, eux, disent tout sans parler : le colonialisme n’est pas qu’une occupation, c’est une dévastation psychique. Barny filme ces visages comme des paysages ravagés, mais pas sans espoir. 

À mesure que le film avance, on sent que Fanon ne peut plus rester en retrait. Il n’est plus seulement psychiatre, il devient témoin et acteur d’un basculement historique. La guerre d’Algérie traverse chaque scène en filigrane, non pas par les fusils ou les combats, mais par ce climat de suspicion, de répression, de déshumanisation. L’asile devient le miroir du pays : un espace clos, hiérarchisé, où la violence institutionnelle étouffe tout ce qui respire. 

La mise en scène prend son temps, refuse les effets faciles. Elle s’attarde sur les silences, sur les regards, sur les moments d’intimité entre deux êtres, entre deux cultures, entre la pensée et l’action. Le film devient une sorte de respiration dans l’histoire officielle, un lieu où l’on redonne corps et voix à une figure souvent citée mais rarement racontée avec autant de précision humaine. 

Ce qui reste, au fond, c’est l’envie de lire ou relire Fanon. De revenir à ses textes, non pas comme à des monuments figés, mais comme à des outils vivants pour comprendre ce qui blesse, ce qui aliène, ce qui libère. Fanon est un film de mémoire, mais pas un film tourné vers le passé : il tend un miroir à notre présent. 

Pour moi, c’est une œuvre qui comptera, parce qu’elle réussit le plus difficile : faire d’une figure historique un homme à hauteur d’homme, un médecin, un époux, un penseur, un combattant, et rappeler qu’avant de devenir une référence, Fanon était un être humain qui choisissait d’agir. 

NOTE : 12.20

FICHE TECHNIQUE


DISTRIBUTION

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