Vu le Film La Poursuite Impitoyable de Arthur Penn (1966) avec Marlon Brando Robert Redford Robert Duvall E. Marshall Jane Fonda Angie Dickinson Janice Rule Martha Hyer Cliffton James Miriam Hopkins
Tout le monde en ville pense que le shérif Calder travaille pour Val Rogers, un magnat du pétrole. Quand on apprend que le bandit local Bubber Reeves vient de s’évader du pénitencier où il était enfermé, chacun préférerait que ce dernier soit capturé plutôt mort que vif. Après quelques péripéties, Reeves finit par revenir un soir de fin de semaine où, dans un climat de débauche et de beuverie, son évasion tourne au drame. En effet, le fils de Val Rogers entretient une liaison avec Anna, la femme de Bubber, et il craint que celui-ci le découvre et se venge. Calder devra faire l'impossible pour éviter que Bubber soit lynché.
La Poursuite impitoyable d’Arthur Penn est de ces films qui traversent les décennies sans perdre leur éclat, parce qu’ils disent quelque chose de l’Amérique, de sa violence constitutive, de ses hypocrisies sociales et de ses fractures profondes. Sous les traits d’un simple drame texan autour de la cavale d’un prisonnier, le film se transforme en miroir implacable de la société : racisme, sexisme, corruption, haine de classe et lynchage populaire, tout y est. Et même aujourd’hui, on a l’impression que cette chronique féroce pourrait s’appliquer aux réseaux sociaux, où la vindicte publique se déchaîne avec la même cruauté.
Le récit débute dans une petite ville du Texas, rongée par la méfiance, la rumeur et l’ennui. Le shérif Calder, interprété par un Marlon Brando habité, tente tant bien que mal de maintenir l’ordre. Mais tout le monde le soupçonne d’être à la solde de Val Rogers (E.G. Marshall), magnat du pétrole local dont l’autorité économique et morale domine la communauté. C’est dans ce climat de suspicion qu’arrive la nouvelle : Bubber Reeves, jeune prisonnier du coin, s’est évadé. Aussitôt, les habitants se déchaînent, et l’idée que Reeves pourrait revenir jette de l’huile sur un feu déjà incandescent.
Bubber, c’est Robert Redford dans l’un de ses premiers grands rôles, et quel rôle ! Rebelle magnifique, figure du jeune homme traqué, il incarne la vitalité, la peur et la colère de toute une génération. Redford y déploie déjà ce mélange d’élégance fragile et d’énergie brute qui fera sa légende. Son Bubber est à la fois coupable et victime : coupable aux yeux d’une société qui l’a déjà condamné, victime parce que cette même société refuse de lui laisser une chance. La scène où il erre, perdu, dans un monde qui veut sa peau, illustre à la perfection cette sensation d’étouffement qui imprègne tout le film.
Et comme si la situation n’était pas assez explosive, le fils de Val Rogers (James Fox) entretient une liaison avec Anna (Jane Fonda), la femme de Bubber. Le retour du fugitif fait planer une menace terrible sur ce trio adultère : la peur d’être découvert, le poids du désir et la brutalité d’un mari trahi. Cette intrigue intime alimente le brasier collectif. Quand Bubber finit par réapparaître un soir de fête locale, alcool et débauche aidant, la tension atteint son comble. La foule devient un personnage à part entière, masse haineuse, incontrôlable, prête à lyncher sans preuve ni procès.
Arthur Penn, cinéaste issu de l’Actors Studio, filme ce déchaînement comme une véritable “foire à pourriture”. Ici, aucun personnage n’est véritablement sympathique : les vieux riches se noient dans l’alcool et les rancunes, les jeunes s’abrutissent dans la bière et la violence, les femmes et les Noirs subissent le mépris systématique. Calder, le shérif, apparaît comme le seul à vouloir préserver un semblant de justice. Brando, formidable, donne à Calder une lassitude, une humanité écorchée qui force le respect. Mais lui aussi se heurte à la brutalité d’un système où l’argent et la haine dictent les règles.
Le casting est exceptionnel : Jane Fonda apporte une sensualité nerveuse à Anna, Edward Fox campe un fils de magnat rongé par la peur et le désir, Robert Duvall incarne déjà avec intensité un notable lâche et veule. Angie Dickinson, en femme de Calder, trouve une justesse touchante dans un rôle discret mais essentiel. Et n’oublions pas Miriam Hopkins, bouleversante dans la peau de la mère de Bubber, vieille dame rongée par la douleur, témoin impuissant de la tragédie.
Mais c’est bien Redford qui électrise le film. À travers lui, Penn capte une jeunesse révoltée, sans avenir, écrasée par les structures sociales. Redford incarne l’innocence sacrifiée, le bouc émissaire idéal, celui sur qui une communauté projette ses peurs et ses frustrations. On sent déjà dans son jeu la graine des grands rôles à venir, cette capacité à incarner le héros lumineux et vulnérable. Sa présence, presque christique dans la dernière partie, confère au film une résonance universelle : il est celui qu’on cloue au pilori pour mieux éviter de se regarder en face.
On sait que le tournage a été marqué par des tensions entre le producteur Sam Spiegel et Arthur Penn, notamment sur le montage final. Mais à l’écran, cette bataille est invisible. Ce qu’on retient, c’est une œuvre d’une puissance rare, deux heures de cinéma qui secouent et dérangent. La mise en scène alterne moments d’intimité et explosions de violence collective, avec une maîtrise qui annonce déjà le Nouvel Hollywood.
La Poursuite impitoyable reste aujourd’hui un chef-d’œuvre, non seulement pour son intensité dramatique, mais aussi pour son regard prophétique. Ce petit Texas est un concentré d’Amérique malade, mais c’est aussi le miroir du monde moderne. Racisme, corruption, pulsion de lynchage : hier c’était la rue, aujourd’hui ce sont les réseaux sociaux, mais la mécanique reste la même.
Ce film est une véritable leçon : sur la lâcheté des foules, sur la solitude de ceux qui veulent faire leur travail avec droiture, et sur le sacrifice des innocents. Un classique qui n’a pas vieilli, où Brando impose sa stature fatiguée, et où Redford explose comme l’incarnation d’une jeunesse perdue. Oui, La Poursuite impitoyable est bien une “foire à pourriture”, mais c’est aussi deux heures de grand cinéma, rouge de sang et noir de vérité.
NOTE : 16.20
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : Arthur Penn
- Scénario : Lillian Hellman d’après la pièce de théâtre éponyme ("The Chase", 1952) et du roman éponyme (1956) de Horton Foote
- Musique : John Barry
- Photographie : Joseph LaShelle
- Montage : Gene Milford
- Directeur artistique : Robert Luthardt
- Décors : Richard Day et Frank Tuttle
- Costumes : Donfeld
- Producteur : Sam Spiegel
- Société de production : Columbia Pictures Corporation
- Marlon Brando (VF : William Sabatier) : le sheriff Barrett Calder
- Jane Fonda (VF : Michèle Bardollet) : Anna Reeves
- Robert Redford (VF : Daniel Crouet) : Bubber "Bobby" Reeves
- E. G. Marshall (VF : Yves Brainville) : Val Rogers
- Angie Dickinson (VF : Nelly Vignon) : Ruby Calder
- Janice Rule (VF : Nadine Alari) : Emily Stewart
- Malcolm Atterbury : M. Reeves
- Miriam Hopkins (VF : Renée Barell) : Mme Reeves
- Martha Hyer (VF : Arlette Thomas) : Mary Fuller
- Richard Bradford (VF : Jacques Deschamps) : Damon Fuller
- Robert Duvall (VF : Dominique Paturel) : Edwin Stewart
- James Fox (VF : Philippe Mareuil) : Jason Rogers (Jake)
- Steve Ihnat : Archie
- Henry Hull : M. Briggs
- Jocelyn Brando : Mme Briggs
- Katherine Walsh : Verna Dee
- Clifton James (VF : Jacques Ferrière) : Lem
- Diana Hyland : Elizabeth Rogers
- Joel Fluellen : Lester Johnson
- Bruce Cabot (VF : Jean Violette) : Sol
- Paul Williams : Seymour
- Nydia Westman : Mrs. Henderson
- Ken Renard : Sam
- Lori Martin : Cutie
- Steve Whittaker : Slim
Et, parmi les acteurs non crédités :
- James Anderson : le compagnon d'évasion de Bubber
- Eduardo Ciannelli (VF : Georges Atlas) : M. Siftifieus
- Ralph Moody : un citoyen
- Grady Sutton : un invité de la fête

Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire