Vu le film El Gringo de Silvio Narizanno et Yakima Kanutt (1968) avec Karl Malden Terence Stamp Joanna Pettet Ricardo Montalban Stathis Giallelis Peggy Lipton Sally Karkland Robert Lipton
Elevé par un chef de gang mexicain, Blue tombe amoureux de la fille d'un docteur texan. Blue est alors tiraillé entre le désir de se rapprocher de ses racines américaines et la fidélité qu'il doit à sa famille d'adoption.
Avec El Gringo, Silvio Narizzano – épaulé ici par le vétéran cascadeur et metteur en scène Yakima Canutt – s’invite dans le western spaghetti au cœur des années 60, période où le succès fulgurant des films de Sergio Leone donnait des idées à toute l’industrie italienne. C’est un film hybride, oscillant entre les codes du western américain classique et la rugosité de cette nouvelle école italienne, mais qui ne possède ni l’élan visionnaire d’un Leone ni le goût très particulier qu’il avait pour transformer la mythologie en opéra sanglant. On sent le désir de coller à la mode, mais sans y insuffler de réelle identité.
L’histoire suit Blue, un jeune homme qui revient au village après des années d’absence, porteur de secrets familiaux et d’une colère sourde. Sa relation avec son père, autoritaire, brutal, hanté par son propre passé, est au cœur du récit. Autour de ce duo tendu gravitent des figures secondaires : des villageois méfiants, une famille éclatée, des compagnons d’infortune qui tous servent d’écho à la question centrale du film — l’héritage, non pas seulement de la terre ou du nom, mais des fautes et des haines. La paternité est ici interrogée de manière un peu schématique, mais la remise en cause de Blue, son propre cheminement moral, donne à l’ensemble une épaisseur inattendue.
Le casting surprend par son allure internationale : Terence Stamp prête ses traits à Blue, figure mi-ange (dans le physique, d’une beauté presque trop pure pour cet univers poussiéreux) mi-démon (dans la morale, instable, vengeresse, hésitante), mais un peu trop renfrogné, trop muet pour que l’on saisisse toute la complexité qui voudrait émerger derrière ses silences. Face à lui, Karl Malden campe un patriarche dur, intransigeant, dont le charisme tient plus à la densité d’acteur qu’à l’écriture parfois paresseuse du personnage. En second plan, si l’on regarde attentivement, on reconnaît Robert Lipton, futur journaliste de l’Actors Studio, dans un petit rôle qui témoigne aussi du côté « casting patchwork » typique des coproductions de l’époque.
La mise en scène de Narizzano n’a rien de la flamboyance des maîtres du genre. Elle est fonctionnelle, correcte, mais rarement inventive. Quelques plans citent ouvertement Leone sans jamais en retrouver la nervosité ni la dimension mythique. On perçoit un cinéaste qui observe les codes (le duel, la tension dans les regards, les silences avant les déflagrations) mais sans jamais parvenir à en faire une écriture personnelle. Yakima Canutt, en revanche, assure des scènes d’action solides, et cela se ressent : la dernière bataille est impressionnante d’efficacité, parfaitement découpée, même si le contexte dramatique (un village qui se range sans cohérence derrière un homme qu’il méprise) laisse songeur.
Pour autant, El Gringo n’est pas déplaisant. Il s’en dégage un parfum d’époque : celui d’un cinéma qui se cherche, qui tâtonne entre les ruines du western américain classique et l’émergence d’un nouveau langage plus âpre, plus ambigu. Plusieurs séquences retiennent l’attention — la fête, qui condense en un moment suspendu toute la tension entre le plaisir collectif et la tragédie imminente ; la confrontation père-fils, intense et sèche, qui parvient enfin à injecter de la chair à cette relation au départ trop schématique. Et cette fin, moins attendue qu’il n’y paraît, où le récit bifurque sans éclat mais avec un certain sens du tragique.
El Gringo ne réinvente rien, mais il témoigne d’une époque où des acteurs anglo-saxons venaient, le temps d’un tournage, prêter leur talent à une industrie italienne en pleine effervescence. Le film, à défaut d’être marquant, se regarde avec un plaisir certain, porté par l’intensité de quelques moments et le charisme de ses interprètes. Un western de transition, ni raté ni inoubliable, mais qui, plus de cinquante ans après, conserve son intérêt pour qui aime voir comment la machine à mythes du western a su voyager et se transformer, parfois maladroitement, mais toujours avec cette énergie brute propre à son temps.
NOTE : 8.10
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : Silvio Narizzano et Yakima Canutt
- Assistant réalisateur : Joseph Lenzi
- Scénario : Ronald M. Cohen et Meade Roberts
- Musique : Mános Hadjidákis
- Société de distribution : Paramount Pictures
- Terence Stamp (VF : Jean Lagache) : Azul (Blue en VO)
- Joanna Pettet (VF : Julia Dancourt) : Joanne Morton
- Karl Malden (VF : Jean-Henri Chambois) : Docteur Morton
- Ricardo Montalban (VF : William Sabatier) : Ortega
- Anthony Costello (VF : Daniel Gall) : Jess Parker
- Joe De Santis (VF : Louis Arbessier) : Carlos
- James Westerfield (VF : Serge Nadaud) : Abe Parker
- Stathis Giallelis (VF : Sady Rebbot) : Manuel
- Carlos East (VF : Jacques Deschamps) : Xavier
- Sara Vardi : Inez
- Robert Lipton (VF : Gérard Hernandez) : Antonio
- Kevin Corcoran : Rory Calvin
- Ivalou Redd : Helen Buchanan
- Dorothy Konrad : Alma Wishoff
- Helen Kleeb : Elizabeth Parker
- Michael Bell : Jim Benton
- Wes Bishop : Le colon
- Marian Mason : Mrs. Kramer
- Alma Beltrand : La propriétaire de la cantine
- Sally Kirkland : Sara Lambert
- Peggy Lipton : Laurie Kramer
- Jerry Gatlin : Wes Lambert
- William Shannon : Le chef de la police
- Michael Nader : L'assassin mexicain

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