Vu le Film Sirat de (2025) de Oliver Laxe (2025) Prix du Jury à Cannes 2025) avec Sergi Lopez Jade Oukid Stefania Gadda Tonin Janvier Bruno Nunez Richard Bellamy Joshua Liam Herderson
Un père et son fils parviennent à une rave perdue au cœur des montagnes du sud du Maroc. Ils cherchent Mar, fille de la famille, disparue depuis plusieurs mois lors de l'une de ces fêtes. Plongés dans la musique électronique et une liberté brute, ils distribuent inlassablement sa photo.
Oliver Laxe n’a jamais été un cinéaste aimant la facilité, et avec Sirat, son film récompensé par le Prix du Jury à Cannes 2025, il pousse encore plus loin son goût pour l’expérience sensorielle et la radicalité. Mais cette radicalité, si elle séduit une partie de la critique, peut aussi se transformer en supplice pour le spectateur. Car Sirat, c’est la route de l’enfer : pour ses protagonistes, mais aussi pour nous, pris en otage par une mise en scène d’une froideur clinique, qui refuse tout compromis.
Le récit démarre au Maroc, dans un décor de désert sans fin, où un père (Sergi López), accompagné de son jeune fils adolescent, cherche sa fille disparue. Cette piste improbable les mène jusqu’à une rave en plein désert. Et là, Laxe installe une ouverture interminable : vingt minutes de techno assourdissante, de ravers défoncés à toutes les drogues et alcools possibles, de corps qui se meuvent en convulsions plus qu’en danse. La caméra s’attarde sur les jambes, les pieds, les visages hagards. On a l’impression d’assister à une « usine à punks à chiens », une humanité réduite à un bourdonnement désespérant. Cette première partie est volontairement infernale, mais aussi épuisante. L’ennui s’installe vite, et l’on se demande si le film ne sera qu’un long cauchemar sonore.
Puis, après cette rave, le film bifurque vers le road trip. Le père et le fils embarquent avec ce convoi de ravers drogués, en direction de la frontière maroco-mauritanienne, zone réputée dangereuse. La tension grimpe, mais pas de manière classique : Laxe filme les inconscients qui avancent comme s’ils se jetaient dans un abîme, sans conscience du danger. Lorsque le fils du père meurt dans un accident de montagne, la scène est traitée avec une froideur sidérante. Pas de cris, pas de drame : c’est presque comme s’il avait perdu ses clefs. Le père lui-même, campé par un Sergi López impassible, continue à suivre le groupe. Cette absence d’émotion crée un malaise profond : doit-on y voir une dénonciation de l’abrutissement moderne, ou juste un vide dramatique ?
La suite bascule dans l’apocalypse. Laxe fait exploser les corps, les voitures, les illusions. Le convoi se réduit au fil des scènes, les morts s’accumulent dans un chaos filmé avec une précision glaciale. On se surprend à attendre le pire, jusqu’à se demander si même le chien qui accompagne le groupe va finir par exploser. Le cinéaste pousse la logique jusqu’au bout : plus rien ne doit échapper à la destruction. Et pourtant, malgré ce carnage, l’ennui n’est jamais très loin. Car la mise en scène, bien que magistrale dans ses cadres et ses images désertiques, se refuse à tout ressort narratif classique. Le spectateur est coincé dans un désert esthétique, magnifique mais stérile.
Les acteurs, pour la plupart amateurs, semblent incapables d’incarner autre chose que des silhouettes errantes. Sergi López, seul nom connu, peine à donner du relief à ce père dépassé, impassible, presque indifférent. Les autres apparaissent comme des fantômes drogués, sans incarnation, et l’on se demande si leur jeu maladroit est voulu ou simplement subi. Ce choix radical, qui vise sans doute à accentuer le malaise, finit par éloigner au lieu d’impliquer.
Et puis arrive la « grande révélation » finale… qui n’en est pas une. Après avoir traversé l’enfer, le spectateur se retrouve face à rien. Pas de résolution, pas de sens caché : juste le désert, encore. Une conclusion frustrante, qui laisse un goût amer. Laxe semble vouloir confronter son public à sa propre endurance : combien de temps peut-on tenir face au vide, face au bruit, face à la répétition ?
Pourtant, malgré tous ces reproches, impossible de rejeter complètement Sirat. Car certaines images fascinent. Les plans larges du désert, la lumière aveuglante, la manière dont Laxe capte l’effondrement d’une humanité en roue libre, tout cela possède une puissance hypnotique. On peut détester, s’agacer, décrocher, mais il reste des fulgurances visuelles, des instants de mise en scène qui marquent. C’est un cinéma qui ne cherche pas à plaire, mais à imposer une expérience, même au prix du rejet.
À mes yeux, Sirat est une œuvre extrême, oscillant entre l’ennui profond et la fascination absolue. On se débat entre la torpeur et l’hypnose, entre le rejet et l’admiration. C’est un film fait pour les critiques, qui pourront y voir mille couches de symboles à décortiquer. Pour le spectateur, en revanche, c’est une traversée du désert au sens littéral et figuré. Il y a de superbes moments de cinéma, mais noyés dans trop de bizarrerie, trop de froideur, trop de bruit. Une expérience qu’on subit plus qu’on ne vit, mais qui, paradoxalement, reste difficile à oublier.
NOTE : 13.10
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : Óliver Laxe
- Scénario : Santiago Fillol (es), Óliver Laxe
- Musique : Kangding Ray
- Photographie : Mauro Herce (es)
- Production : Agustín Almodóvar, Pedro Almodóvar, Xavi Font, Oriol Maymó, Mani Mortazavi, Andrea Queralt
- Sociétés de production : Movistar Plus+, El Deseo, Filmes Da Ermida, Uri Films, 4A4 Productions
- Société de distribution : Pyramide (France)[
- Sergi López : Luis
- Bruno Núñez : Esteban
- Stefania Gadda : Stephy
- Joshua Liam Herderson : Josh
- Tonin Janvier : Tonin
- Jade Oukid : Jade
- Richard Bellamy : Bigui

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