Vu le film Rabia de Mareike Engelhardt (2024) avec Megan Northam Lubna Azabal Natacha Krief Lena Urzendowsky Christine Gautier Andranic Manet Lena Lauzemis
Poussée par les promesses d'une nouvelle vie, Jessica, une Française de 19 ans, part pour la Syrie rejoindre Daech. Arrivée à Raqqa, elle intègre une maison de futures épouses de combattants et se retrouve vite prisonnière de Madame, la charismatique directrice qui tient les lieux d'une main de fer.
Avec Rabia, Mareike Engelhardt signe un film de fiction qui s’enracine dans un matériau de réalité glaçant. La réalisatrice a travaillé des années sur son sujet, et cela se sent : si le film n’est pas un documentaire, il en porte la rigueur et la proximité avec la vérité. Dès les premières images, on comprend que nous ne sommes pas dans une œuvre qui cherche l’effet ou le spectaculaire, mais dans une plongée sobre, presque suffocante, dans un système d’emprise et de destruction.
L’histoire s’ancre dans un lieu clos, une école religieuse au cœur d’un territoire ravagé par la guerre. De jeunes femmes venues de France ou d’ailleurs y sont accueillies, encadrées, surveillées. Ce quasi-huis clos devient le décor d’une lente asphyxie. Les murs, les rituels, les regards contrôlent davantage que les armes. Le film raconte comment l’intégrisme religieux se nourrit de fragilités, comment il impose ses règles par la répétition, la peur et la promesse d’un sens supérieur.
Le personnage central est interprété par Megan Northam, remarquable dans son incarnation d’une jeune femme prise au piège. Elle n’est pas caricaturée en fanatique ni en victime passive : elle est entre deux états, perdue dans une contradiction permanente. Sa trajectoire montre combien la radicalisation ne s’impose pas par la force brute, mais par une séduction insidieuse, une reconstruction mentale qui isole peu à peu du monde extérieur.
Face à elle, Lubna Azabal est, une fois encore, d’une intensité saisissante. Elle campe une figure de contrôle, une femme dure, presque glaciale, qui incarne l’appareil du pouvoir intégriste. C’est un rôle à contre-courant de ceux qu’elle a souvent portés, faits de nuances et d’humanité. Ici, elle devient l’image d’une intransigeance implacable. Chaque regard, chaque mot prononcé dans sa voix rauque résonne comme une sentence. Azabal impressionne, mais elle glace aussi, à tel point qu’on en vient à ressentir physiquement le poids de son autorité.
Le film ne s’attarde pas sur la question initiale que beaucoup de spectateurs peuvent se poser : pourquoi ces jeunes femmes partent-elles ? Qu’est-ce qui les pousse à quitter leur famille, leur confort, leur pays pour rejoindre l’autre bout du monde au nom d’un combat religieux ? Rabia survole ce moment par quelques scènes brèves en France, presque anecdotiques. Certains pourront y voir une faiblesse, mais c’est aussi un choix : Engelhardt préfère montrer ce qui se passe après le départ, quand le piège s’est déjà refermé. La vraie matière du film est l’enfermement et non la décision initiale.
La mise en scène choisit la retenue : pas d’explosions, pas de scènes de guerre tapageuses. L’horreur est ailleurs, dans le quotidien réglé, dans l’endoctrinement qui avance par petites touches, dans l’impossibilité d’échapper à une emprise qui s’exerce aussi bien par la langue, les gestes, que par la peur du châtiment. Cette lenteur, parfois pesante, épouse parfaitement le sentiment de claustration. Le spectateur se retrouve enfermé avec les personnages, observant les mécanismes se déployer sans porte de sortie.
Le film se nourrit du contraste entre l’innocence initiale de ces jeunes femmes et leur transformation progressive. Megan Northam exprime avec finesse ce basculement intérieur : ses regards se durcissent, ses gestes se verrouillent, sa parole s’alourdit de mots appris. On sent la destruction de l’individu, remplacé par une identité construite par le groupe. Le processus est glaçant, car il est montré sans surenchère dramatique.
Si le film laisse le spectateur frustré sur l’absence de réponses quant aux motivations profondes, il compense par une observation précise des mécanismes d’emprise : l’isolement, la répétition des prières, la hiérarchie rigide, la surveillance constante. Tout cela fonctionne comme une mécanique inexorable. Une fois qu’on est dedans, il devient presque impossible d’en sortir, comme le montre Engelhardt avec une lucidité terrible.
La puissance de Rabia réside justement dans ce refus du spectaculaire. En filmant les ravages de l’intégrisme à travers un huis clos étouffant, la réalisatrice révèle l’aspect le plus insidieux du fanatisme : non pas les grandes batailles, mais l’annihilation silencieuse de la liberté individuelle.
Rabia est un film âpre, dérangeant, parfois frustrant, mais profondément nécessaire. Sa force tient à la justesse de son approche, à l’intensité de ses interprètes – Lubna Azabal et Megan Northam en premier lieu – et à sa capacité à nous plonger dans l’inconfort. C’est une œuvre qui interroge plus qu’elle ne répond, qui montre la violence intérieure et psychologique plus que la violence armée. Et c’est peut-être là que réside son véritable impact : nous forcer à ressentir, plus qu’à comprendre, l’écrasement d’un être sous la machine implacable de l’intégrisme.
Un film terrible, à la limite du soutenable par moments, mais qui laisse une empreinte durable.
Cette histoire aurait pu concernée d’autres doctrine religieuse
NOTE : 12.00
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : Mareike Engelhardt
- Scénario : Mareike Engelhardt et Samuel Doux
- Musique :
- Décors : Dan Bevan
- Costumes : Catherine Cosme
- Photographie : Agnès Godard
- Son : Guilhem Clarinval, Alexis Jung, Claire Cahu et Xavier Thieulin
- Montage : Mathilde Van de Moortel
- Production : Lionel Massol et Pauline Seigland
- Sociétés de production : Arte France Cinéma, Films Grand Huit, Starhaus Filmproduktion et Kwassa Films
- Sociétés de distribution : Kinology et Memento Distribution
- Pays de production :
France,
Belgique et
Allemagne
- Megan Northam : Rabia
- Lubna Azabal : Madame
- Natacha Krief : Laïla
- Lena Lauzemis : Oum Maryam
- Klara Wöedermann : Oum Mikaïl (une jumelle)
- Maria Wöedermann : Oum Mansour (l'autre jumelle)
- Andranic Manet : le combattant
- Christine Gautier : Marie

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