Vu le Film Les Proies de Don Siegel (1971) avec Clint Eastwood Géraldine Page Elizabeth Hartman Jo Ann Harris Darleen Carr Mae Mercer Pamelyn Mercer Mélody Thomas Scott Peggy Dryer Patricia Mattick
Alors que la guerre de Sécession touche à sa fin, John MacBurney, un soldat nordiste blessé et sur le point de mourir, est secouru par une adolescente de douze ans d’un pensionnat sudiste pour jeunes filles. Au départ, les employées du pensionnat et leurs élèves sont effrayées, mais lorsqu’il reprend des forces, il devient l'objet du désir de la directrice, de son assistante et de quelques-unes des pensionnaires. Cette situation sert la stratégie de survie du soldat mais les jalousies, dans ce microcosme féminin à la sexualité réprimée, risquent de prendre un tour dramatique.
Les Proies de Don Siegel est un film à part dans la carrière de Clint Eastwood.
Souvent cité comme le cinquième fruit de leur collaboration — avec L’Inspecteur Harry, Un Shérif à New York, L’Évadé d’Alcatraz et Sierra Torride —, il détonne par son ton sombre, ambigu et dérangeant.
Adapté du roman de Thomas Cullinan, lui-même inspiré d’une comédie grecque d’Eschyle, le film est un drame psychologique qui a été, à tort, vendu comme un western lors de sa sortie.
Cette erreur marketing a coûté cher.
Les spectateurs habitués à voir Eastwood en héros positif, viril et triomphant ont boudé un récit où il incarne un personnage antipathique, manipulateur, et finalement voué à une mort violente.
Il ne meurt d’ailleurs que très rarement dans sa carrière, et ce film fait figure d’exception, au même titre que Honkytonk Man.
Autre paradoxe : Les Proies a été refusé au Festival de Cannes dans les années 70, jugé trop sombre et violent, alors qu’une nouvelle adaptation signée Sofia Coppola sera, des décennies plus tard, sélectionnée en compétition officielle.
Changement d’époque, changement de mœurs, preuve qu’un sujet hier jugé sulfureux devient aujourd’hui une matière cinématographique pleinement reconnue.
Siegel y filme un monde sans manichéisme, au cœur de la Guerre de Sécession.
Son récit ne prend pas parti : il montre un Nordiste blessé recueilli dans un pensionnat de jeunes femmes sudistes, mais la violence et la manipulation viendront de tous côtés.
Aucun camp n’en sort grandi.
La soif de liberté des Nordistes n’excluait pas les pillages, les viols et les incendies.
Les mêmes méthodes que celles reprochées aux Sudistes.
Dans ce huis clos moite, l’homme apparaît comme un prédateur, mû par le désir, aveuglé par l’opportunisme, et prêt à tout pour assouvir ses pulsions.
Mais les femmes, ici, ne sont pas de simples victimes.
Siegel les filme sur un pied d’égalité avec les hommes dans leur capacité à être jalouses, manipulatrices, cruelles et violentes.
Elles deviennent les véritables « proies » autant que les prédatrices, transformant le drame intime en un jeu de pouvoir mortel.
Cet aspect rappelle d’autres visions désenchantées du western et du drame historique, notamment chez Samuel Fuller ou Sam Peckinpah.
La frontière entre le bien et le mal y est floue, boueuse, et le film sape les illusions d’un cinéma américain encore marqué, à l’époque, par une vision héroïque et patriotique de son Histoire.
Bien avant que les super-héros ne saturent les écrans, Siegel montrait déjà que l’humanité n’est pas faite de clartés, mais de nuances, parfois nauséabondes.
Le film se rapproche par certains aspects de Brimstone de Martin Koolhoven, notamment dans cette manière d’inverser l’image idéalisée de la femme douce et protectrice pour en révéler une part plus sombre, plus ambiguë, à rebours des publicités et séries des années 50 et 60.
Les Proies est donc un film cynique, cruel, d’une audace rare.
Il brise les attentes, heurte la morale, refuse le confort.
Mais il témoigne sans doute d’une vérité historique et humaine moins plaisante à entendre, moins reluisante que les légendes héroïques.
Un film essentiel dans la carrière de Clint Eastwood, qui a contribué à forger sa réputation idéologique et politique, avant le tournant plus apaisé, réflexif et nuancé des années 2000.
Plus qu’un western manqué, c’est une photographie d’une époque pas si révolue que cela.
Un miroir tendu à l’Amérique, et par ricochet à nous tous, sur la violence, le désir, la manipulation et le prix à payer pour en être les acteurs ou les victimes.
NOTE : 13.20
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : Don Siegel
- Scénario : Thomas Cullinan (auteur du roman), Albert Maltz et Irene Kamp
- Production : Don Siegel et Claude Traverse
- Société de production : Universal Pictures
- Musique : Lalo Schifrin
- Photographie : Bruce Surtees
- Costumes : Helen Colvig
- Direction artistique : Alexander Golitzen
- Montage : Carl Pingitore
- Clint Eastwood (VF : Pierre Hatet) : le caporal McBurney / Le Narrateur chantonnant
- Geraldine Page (VF : Nelly Benedetti) : Martha Farnsworth, la directrice
- Elizabeth Hartman (VF : Jocelyne Darche) : Edwina Dabney, l'assistante
- Jo Ann Harris (VF : Marcelle Lajeunesse) : Carol, la délurée
- Darleen Carr : Doris
- Mae Mercer : Hallie, la servante noire
- Pamelyn Ferdin : Amelia (« Amy »), la jeune fille (12 ans) qui sauve le caporal
- Melody Thomas Scott : Bigail
- Peggy Drier : Lizzie
- Patricia Mattick (VF : Marie-Martine) : Janie

Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire