Vu le film Les 400 Coups de François Truffaut (1959) avec Jean Pierre Leaud Claire Maurier Albert Rémy Patrick Auffay Guy Decomble Pierre Repp Richard Kanayan Jeanne Moreau Jean Claude Brialy Jacques Monod Serge Moati Philippe de Broca Jean Douchet Marius Laurey
Antoine Doisnel est un adolescent rebelle. Il sait ne pas être "le fils de son père" et surprend un jour sa mère avec un inconnu. Il se met à fuguer puis, récupéré par ses parents, un nouveau départ semble démarrer dans une confiance rétablie. Mais Antoine subit alors une injustice scolaire et les quatre cents coups reprennent de plus belle...
Il m’arrive souvent de revoir Les 400 Coups de François Truffaut. C’est un film que je n’ai jamais cessé d’aimer, mais aujourd’hui, avec le temps de la retraite qui me laisse plonger dans mes souvenirs de jeunesse, il prend une résonance encore plus intime. Même si j’ai une dizaine d’années d’écart avec Antoine Doinel, Paris était encore le même à mon époque : à travers Doinel, son copain et ses parents, je revois mon propre quotidien.
La promiscuité dans la petite chambre de ma mère au 8ᵉ étage, la corvée de descendre les poubelles chaque soir, ce besoin irrépressible de fuir dehors pour respirer un peu, loin d’un espace étouffant : tout cela, je l’ai vécu. Le quartier de Doinel fut aussi le mien, pendant dix ans d’adolescence. Chaque plan tourné de la place Clichy à Pigalle, jusqu’à Montmartre, m’est familier. Je les connais par cœur. Ce sont des souvenirs indélébiles, faits des mêmes bêtises que Doinel. Et hasard de la vie, j’ai fini par habiter cinq ans dans la rue même où le petit Antoine logeait avec ses parents : la rue Navarin.
La force extraordinaire du film tient d’abord à sa grâce. Pour son premier long-métrage, François Truffaut, épaulé par Philippe de Broca comme assistant, signe une œuvre d’une fluidité remarquable. Le scénario coule de source, la mise en scène respire une évidence rare. Cannes ne s’y trompa pas, en lui décernant le Prix de la mise en scène en 1959. Mais ce qui élève Les 400 Coups au rang de mythe, c’est bien la rencontre miraculeuse entre Truffaut et Jean-Pierre Léaud.
Léaud, à l’époque, n’avait derrière lui qu’une silhouette dans La Tour prend garde. Et pourtant, le voilà qui devient à l’écran le fils spirituel de Truffaut. Leur relation se révélera fusionnelle : Antoine Doinel, c’est à la fois l’alter ego de Truffaut et le reflet du tempérament indocile de Léaud. Truffaut fut pour lui ce qu’André Bazin avait été pour le jeune cinéphile qu’il était : un père de substitution.
Dès la première image, et jusqu’à ce plan bouleversant sur la plage de Villers-sur-Mer, hommage discret au cinéma japonais (Rashômon), Léaud dévore littéralement l’écran. La caméra semble tomber amoureuse de lui : son regard, sa diction, ses déplacements, tout électrise le film. En un rôle, il pulvérise les conventions et impose un modèle inédit de jeu adolescent. Par la suite, il deviendra une icône du cinéma, traversant les œuvres de Godard, Pasolini, Cocteau, Blier, Kaurismäki… et même Dombasle. Soixante ans après, l’image de ce garçon à la moue insolente demeure intacte.
Mais au-delà de cette légende, Les 400 Coups m’enveloppe comme un retour en arrière. Je me sens comme un poisson dans l’eau en retrouvant les lieux où Doinel et son copain s’égarent, font les 400 coups – rien de dramatique, mais à l’époque, cela suffisait pour finir en maison de correction. Place Clichy, le Gaumont-Palace, le square de la Trinité, la place d’Iéna, la rue Fontaine… autant de repères familiers.
Les scènes d’école éveillent elles aussi une foule de sensations. Les porte-plumes, les doigts tachés d’encre, les tableaux noirs où la craie crissait sans fin… Tout y est. Dans une récréation, j’ai même remarqué deux garçons jouant au “chifoumi” : une broutille, mais un détail qui m’a frappé, comme une capsule temporelle.
Et puis cette phrase, prononcée par le professeur de Doinel, me hante : « Elle va être belle, la France, dans dix ans ! ». Dix ans plus tard, c’était Mai 68… Truffaut, sans le savoir, avait capté une atmosphère, une étincelle prête à exploser.
Le film est autobiographique : Antoine Doinel, c’est Truffaut lui-même ; Bigey, c’est Robert Lachenay, son ami de jeunesse. Mais Jean-Pierre Léaud y a insufflé sa propre personnalité, si bien que le personnage est devenu une fusion entre le cinéaste et l’acteur.
Le reste du casting brille également. Albert Rémy et Claire Maurier composent des parents à la fois réalistes et bouleversants. Patrick Auffay, le complice de Doinel, joue avec une justesse incroyable. On l’aperçoit dans un court et un long métrage ultérieurs de Truffaut, mais il disparaît ensuite de la scène cinématographique – je me suis souvent demandé ce qu’il était devenu. Et que dire de cette apparition fugitive : Antoine tentant de s’interposer entre une femme (Jeanne Moreau) et un harceleur (Jean-Claude Brialy). Une scène infime, mais déjà une fenêtre ouverte vers les futurs compagnons de route de Truffaut.
Revoir Les 400 Coups, pour moi, c’est replonger cinquante ans en arrière. C’est retrouver mes rues, mes gestes, mes émois adolescents. Mais c’est aussi contempler un film intemporel, qui mêle souvenirs tristes et éclats joyeux. Un film parfait, au sens où il ne cesse de résonner, de se renouveler à chaque vision.
C’est une madeleine de Proust, une part de mon histoire, et peut-être de celle de tous ceux qui, un jour, ont eu envie de s’évader par-dessus les murs de leur enfance.
NOTE : 17.20
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : François Truffaut, assisté de Philippe de Broca, Alain Jeannel, Francis Cognany et Robert Bober
- Scénario : François Truffaut
- Adaptation : François Truffaut et Marcel Moussy
- Dialogues : Marcel Moussy
- Photographie : Henri Decae
- Décors : Bernard Evein
- Son : Jean-Claude Marchetti, assisté de Jean Labussière
- Montage : Marie-Josèphe Yoyotte, Cécile Decugis et Michèle de Possel
- Musique : Jean Constantin
- Production : François Truffaut
- Directeur de production : Georges Charlot
- Sociétés de production : Les Films du Carrosse, Société d'exploitation et de distribution de films (SEDIF Productions)
- Société de distribution : Cocinor
- Jean-Pierre Léaud : Antoine Doinel
- Claire Maurier : Gilberte Doinel
- Albert Rémy : Julien Doinel
- Patrick Auffay : René Bigey
- Georges Flamant : M. Bigey
- Yvonne Claudie : Mme Bigey
- Armand Coppello : « Petit peu »
- Guy Decomble : « Petite feuille », l'instituteur
- Richard Kanayan : l'élève hirsute
- Bernard Abbou : Abbou
- François Nocher : un délinquant
- Daniel Couturier : Bertrand Mauricet
- Renaud Fontanarosa : un élève
- Michel Girard : un élève
- Henry Moati (Serge Moati) : un élève
- Gérard Van Ruymbeke : un enfant
- Jean-François Bergouignan : un enfant
- Michel Lesignor : un enfant
- Robert Beauvais : le directeur de l'école
- Jacques Monod : le commissaire de police
- Claude Mansard : le juge pour enfants
- Pierre Repp : le professeur d'anglais
- Henri Virlogeux : le gardien de nuit
- Marius Laurey : l'inspecteur Cabanel
- Luc Andrieux : le professeur de gym
- Jeanne Moreau : la femme au chien dans la rue
- Jean-Claude Brialy : le dragueur qui suit la femme au chien
- Christian Brocard : le « preneur » de la machine à écrire
- Laure Paillette : une commère
- Louise Chevalier : une commère
- François Truffaut : un homme à la fête foraine
- Philippe de Broca : un homme à la fête foraine
- Jacques Demy : le policier au commissariat qui dit « Le carrosse est avancé ! »
- Charles Bitsch : un policier au commissariat
- Jean Douchet : l'amant de Gilberte
- Jean-Luc Godard (voix)
- Jean-Paul Belmondo (voix) à l'imprimerie
- Jacques Audiberti
- Jean Constantin
- Jacques Doniol-Valcroze
- Marianne Girard
- Simone Jolivet
- Jacques Laurent

Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire