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jeudi 29 mai 2025

GRANDS SECONDS ROLES : BERNARD MUSSON 1925/2010


 Dans le grand bestiaire du cinéma français d’après-guerre, certaines figures semblent appartenir à un monde parallèle : toujours là, jamais en vedette, mais indispensables. Bernard Musson est de ceux-là. Cet acteur discret à la silhouette frêle, au regard souvent absent ou sournois, fut l’un des seconds rôles les plus prolifiques et les plus singuliers du cinéma hexagonal, traversant soixante ans d'histoire avec une fidélité rare aux marges du vedettariat.

Né à Clichy le 31 mai 1925, Bernard Musson n'était pas destiné à devenir une figure du septième art. Très tôt, il s’intéresse au théâtre, sans rêver de gloire. Élève appliqué mais discret du Conservatoire de Paris, il y croise quelques figures futures du cinéma français sans jamais chercher à se mettre en avant. Sa formation est classique, il apprend à moduler sa voix, à discipliner ses gestes, mais ce sont ses silences qui, paradoxalement, marqueront le plus sa carrière. Il entre au théâtre par la petite porte, dans des rôles de domestiques, de vieillards précoces, d'employés hagards, souvent anonymes. Mais son physique passe-partout, presque spectral, en fait un caméléon idéal.

Au cinéma, il débute au début des années 1950 dans des films oubliés aujourd’hui, mais c’est surtout dans les années 60 qu’il commence à se faire une place dans le paysage, d’abord grâce à la télévision, puis par sa fidélité à quelques réalisateurs. Il devient un familier du cinéma de Jean-Pierre Mocky, avec qui il tournera plus de quinze films, souvent dans des rôles de fonctionnaires déjantés, de marginaux hallucinés ou de vieillards subversifs. Ce compagnonnage avec Mocky, réalisateur iconoclaste et provocateur, donne à Musson un espace de liberté rare. Il s’y amuse, y cabotine parfois, mais toujours avec une rigueur d’orfèvre. Mocky disait de lui : "C’est un acteur avec une horlogerie intérieure, il ne rate jamais une seconde."

Ses personnages, bien que secondaires, marquent les esprits : le concierge paranoïaque, le notaire louche, le prêtre inquiétant ou le voisin gênant. Il apparaît dans Les Compagnons de la marguerite, Solo, L'Albatros, Le Miraculé, Y a-t-il un Français dans la salle ?. Mais aussi chez d'autres auteurs : Deville, Chabrol, Duvivier ou Costa-Gavras. Il est de ces visages qu’on croise sans toujours savoir nommer, mais qui restent gravés. Son jeu, fait de regards en coin, de chuchotements, de gestes minimes, relevait presque de l’art du mime.

À la télévision, il devient un incontournable des dramatiques de l’ORTF, apparaissant dans des adaptations de Maupassant, Zola, Jules Renard. Il est l’archétype du "visage de confiance" que les réalisateurs s’arrachent : il ne pose jamais de problème, il est ponctuel, il connaît ses textes, il comprend ce que la scène exige. Certains l'appellent "le Jean Tissier des années 70", d’autres "le Dubout incarné", tant il semble tout droit sorti d’une caricature de la petite bourgeoisie.

Mais sa carrière n’est pas qu’un enchaînement de rôles de composition. C’est aussi un choix assumé : celui de ne jamais courir après les grands rôles, de rester à sa place, dans l’ombre des projecteurs. Il ne se plaint jamais de ne pas être célèbre. Il disait volontiers : "Je ne suis pas une star, mais je travaille. Et c’est déjà une chance." Une philosophie de l'humilité qui tranche avec les egos d’un milieu souvent avide de reconnaissance.

Côté vie privée, Bernard Musson reste une énigme. Très peu médiatisé, il ne fit jamais l’objet de reportages, de confidences à la presse, de scandales ou de romances affichées. Célibataire toute sa vie, ou discret sur ses amours, il vivait dans un petit appartement parisien, où il collectionnait les livres anciens, les statuettes religieuses et les journaux du XIXe siècle. Il avait une passion pour le patrimoine et la peinture flamande. Un homme d’un autre temps, presque hors du monde. Plusieurs réalisateurs affirmaient qu’il n’avait jamais possédé de téléphone portable ni conduit une voiture. Il venait à pied ou en métro, toujours à l’heure.

Ses dernières apparitions à l’écran remontent aux années 2000, toujours chez Mocky. Il tourne notamment dans Le Furet ou Grabuge !, des films déjantés où sa présence crépusculaire fait écho à sa propre disparition progressive du monde du cinéma. Atteint d’une maladie dégénérative, il cesse toute activité au milieu des années 2000. Il meurt le 29 octobre 2010, dans une relative indifférence médiatique. Peu d’hommages, si ce n’est quelques mots de Mocky et de cinéphiles émus sur des forums spécialisés. Un grand acteur sans fanfare.

Mais depuis, son visage revient, dans les diffusions nocturnes, les cinémathèques, les DVD collectors. On redécouvre ce comédien inclassable, cette figure totémique du second rôle à la française, ni tout à fait burlesque, ni tout à fait tragique. Un acteur rare, pour qui le métier était plus important que la lumière. Dans l’histoire du cinéma, Bernard Musson ne sera jamais un nom en haut de l’affiche, mais il sera toujours dans le cadre. Et parfois, dans ce cadre, il suffit d’un regard, d’un souffle, d’un pas de côté, pour que la vérité surgisse.

FILMOGRAPHIE


Années 1960

Années 1970

Années 1980

Années 1990

Années 2000

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