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mardi 20 mai 2025

14.80 - MON AVIS SUR LE FILM LE BLE EN HERBE DE CLAUDE AUTANT-LARA (1954)


 Vu le film Le Blé en Herbe de Claude Autant-Lara (1954) avec Pierre Michel Beck Edwige Feuillère Renée Devillers Charles Deschamps Helène Tossy Louis de Funès Simone Duhart Claude Berri Charles Camus Sylvie Dorléac 

Phil a seize ans et Vinca quinze. Ils passent, comme chaque année, leurs vacances sur une plage bretonne, dans une maison que partagent leurs familles respectives. Ils sont comme frère et sœur mais cet été leur relation devient autre chose, sans qu'ils en aient encore vraiment conscience. Cependant, Phil fait la connaissance de l'élégante Mme Dalleray, trente ans de plus que lui et passant les vacances seule sur la côte où elle possède une maison. Elle invite le tout jeune homme à y entrer un moment, elle l'incite ensuite à y revenir. On la voit attendrie, émue par la fraîcheur charmante de ce jeune homme en fleur. Phil, flatté par l'attention de cette femme belle et raffinée mais qui a l'âge de sa mère, se laisse séduire et lui rend bientôt en cachette des visites nocturnes que Vinca ne tarde pas à découvrir et à lui reprocher. 

Cette aventure favorisera en fait l'expression des sentiments amoureux que les deux adolescents éprouvaient déjà l'un pour l'autre sans vraiment se les avouer, tandis que les vacances d'été touchent peu à peu à leur fin. 

Le Blé en Herbe, c’est avant tout un texte de Colette, et Claude Autant-Lara, s’il en adoucit la crudité poétique, n’en trahit pas la ligne sensible. Le film est doux comme un été d’adolescence, moite comme un front au soleil, inquiet comme un premier baiser raté. En adaptant ce roman « de sensations », le cinéaste choisit une pudeur visuelle, un classicisme de la mise en scène qui fait vibrer les silences et les hésitations plus fort que les mots. 

Il fallait du doigté pour éviter le scabreux, le malaise — et Autant-Lara réussit cet équilibre ténu, dans une époque pourtant corsetée par la morale. On se souvient que le film fut violemment attaqué par les ligues catholiques à sa sortie, comme une œuvre « perverse » montrant une relation entre une femme mûre et un adolescent. Aujourd’hui, c’est moins cette relation que son traitement poétique qui frappe. Il n’y a ici aucun voyeurisme, aucune complaisance. On regarde un éveil, une mue, un basculement d’un monde à l’autre. 

Pierre-Michel Beck est de ces acteurs météores dont on se demande encore pourquoi ils n’ont pas eu de carrière. Il possède une gravité d’enfant triste, une intensité à fleur de peau. Il porte son Philippe avec une justesse désarmante, à la fois raide, malhabile, soudain fiévreux, troublé, silencieux. Un adolescent vrai, qui ne joue pas l’amour mais qui l’effleure avec maladresse. Ce qu’il avait déjà amorcé dans Le Garçon Sauvage de Heynemann devient ici plus profond, plus intérieur. Un acteur-né, disparu trop vite des écrans. 

Nicole Berger est une Vinca idéale : espiègle, touchante, blessée de n’être pas choisie. Elle incarne cette adolescence en ébullition, piégée entre l’enfance et l’attente de la vie adulte. Chaque regard qu’elle lance à Philippe est un cri étouffé. Et puis, il y a Edwige Feuillère, impériale, presque irréelle dans son rôle de femme libre, consciente de son pouvoir mais jamais prédatrice. Elle n’incarne pas une transgression, mais une initiation. C’est une figure symbolique, presque mythologique, que Feuillère joue avec une lenteur, une voix, une gestuelle qu’on n’ose plus filmer aujourd’hui. 

La mise en scène, discrète, privilégie les clairs-obscurs, les plages désertes, les intérieurs clos, tout ce qui reflète le trouble intérieur de Philippe. Il y a dans la photographie un parfum à la David Hamilton… sans l’artifice : tout est d’époque, sincère, ancré dans une sensibilité des années 50. Et c’est précisément cette sincérité qui désarmait les critiques conservateurs de l’époque, et qui nous touche encore aujourd’hui. 

Car Le Blé en Herbe, c’est un film sur l’absence de maturité, sur le moment fragile où le corps commence à désirer avant que l’âme ne comprenne ce qu’il veut. Colette l’avait écrit avec tendresse et cruauté. Autant-Lara, qui n’est pas toujours le cinéaste le plus délicat, réussit ici un film limpide, pudique, vrai. Pas un film sur l’amour, mais sur ce moment précis où il devient possible — et forcément douloureux. 

Un bijou discret, à redécouvrir loin des polémiques anciennes, avec le cœur ouvert et la nostalgie des amours impossibles. 

NOTE : 14.80

FICHE TECHNIQUE


DISTRIBUTION

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