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samedi 3 mai 2025

13.80 - MON AVIS SUR LE FILM TOTO LE HEROS DE JACO VAN DORMAEL (1991)


  Vu le film Toto le Héros de Jaco Van Dormael (1991) avec Michel Bouquet Thomas Goddet Jo de Backer Mireille Perrier Gisela Uhlen Esthelle Unik Michel Robin Pascal Duquesne Bouli Lanners Bernard Yerles 

À travers une mosaïque complexe de flashbacks, un vieil homme du nom de Thomas Van Hasebroeck (Toto) se souvient de la vie apparemment sans éclat qu'il a menée et imagine comment les événements auraient pu tourner différemment. 

Depuis l'âge de huit ans, Thomas est persuadé — à tort ou à raison — d'avoir été échangé par erreur à sa naissance avec un autre bébé, son voisin Alfred Kant. La jalousie ressassée à l'égard de cet homme mieux loti lui a gâché toute son existence, parfois avec des conséquences tragiques pour ses proches. Il ne songe qu'à se venger et envisage même de tuer Alfred. Pourtant Thomas trouvera sur le tard une manière plus originale de donner un sens à sa vie. 

Avec Toto le Héros, Jaco Van Dormael signait en 1991 un premier long-métrage éblouissant, qui allait immédiatement imposer son style poétique et mélancolique, tout en recevant la Caméra d’Or à Cannes. Rarement un film n’aura aussi bien capturé cette étrange sensation que chacun peut éprouver un jour : avoir raté sa propre vie ou, pire, s’être trompé de destin. Thomas, alias Toto, vieux monsieur en maison de retraite (formidable Michel Bouquet), regarde en arrière et se raconte – ou s’invente – une vie autre, un passé qui l’aurait dû être le sien. 

Le récit est donc double, triple même : il y a la vie réelle de Thomas, enfant timide, jeune adulte frustré, vieil homme solitaire, et il y a celle qu’il fantasme, où il aurait été un espion, un aventurier, un héros. Entre les deux, une conviction tenace : il a été échangé à la naissance avec Alfred, l’enfant des voisins, qui a eu sa vie, celle du confort, de la réussite, de l’amour. Cette croyance, aussi absurde soit-elle, devient le moteur d’un roman intime, doux-amer, qui navigue entre le burlesque tendre et le drame existentiel. 

La grande force du film réside dans son ton unique. Van Dormael adopte une narration éclatée, non-linéaire, tissée de souvenirs, d’illusions et d’envolées poétiques. C’est un patchwork d’émotions, de fragments d’enfance, de chansons populaires et de moments suspendus. Chaque séquence a une texture propre, un grain de rêve, une lumière d’album photo un peu fané. La photo de Walther van den Ende est magnifique, jouant sur des teintes chaudes et nostalgiques, et la musique de Pierre Van Dormael, douce et obsédante, accompagne le film comme une comptine pour adulte. 

Michel Bouquet, bouleversant de pudeur et de dignité dans le rôle du Toto âgé, est au sommet de son art. Il incarne ce mélange de tendresse et de folie douce qui irrigue tout le film. Thomas Godet, dans le rôle de Toto enfant, est d’une justesse incroyable, jamais mièvre, souvent drôle, parfois tragique. Pascal Duquesne, qui incarne le frère, apportera plus tard son humanité lumineuse dans Le Huitième jour. Quant à Mireille Perrier, en amour inaccessible, elle distille un parfum de grâce mélancolique. 

L’idée brillante du film est de ne jamais trancher entre réalité et fantasme. Toto est-il fou ? A-t-il vraiment été échangé à la naissance ? A-t-il réellement vécu une vie de regrets ou simplement choisi de réécrire son existence pour la rendre plus supportable ? Le spectateur est libre d’y croire ou non, et c’est cette liberté qui fait toute la beauté du film. Van Dormael parle de la mémoire, du deuil, de la reconstruction de soi, mais toujours avec une légèreté aérienne, jamais plombant. 

Certaines scènes sont inoubliables : Toto enfant courant dans les champs, le regard de Michel Bouquet face à son "ennemi intime", le rêve de vengeance qui s’efface dans une réconciliation muette. Le film est rempli de détails bouleversants, de symboles, de jeux d’images : les escaliers, les avions en papier, les téléviseurs comme fenêtres sur un monde inaccessible. C’est un cinéma de sensations, de correspondances, où le quotidien devient matière à merveilleux. 

Toto le Héros est un film rare, qui touche au cœur sans jamais forcer l’émotion. Il parle à l’enfant en nous, à celui qui s’invente des mondes, qui rêve d’une vie meilleure, mais aussi à l’adulte qui fait la paix avec ses manques. C’est un conte pour ceux qui n’ont pas été des héros, et qui pourtant, dans leur solitude, dans leur obstination à croire, le deviennent. 

Un chef-d’œuvre modeste, fragile, précieux. 

NOTE : 13.80

FICHE TECHNIQUE


DISTRIBUTION

 

 

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