Vu le film Les Chiens de Paille de Sam Peckinpah (1972) avec Dustin Hoffman Susan George Del Henney Donald Webster Ken Hutchison Peter Vaughan Sally Thomselt Len Jones
David Sumner, jeune mathématicien américain, vient habiter avec sa femme britannique Amy dans l'arrière-pays anglais, dans le petit village de Wakely dans les Cornouailles. David souhaite y travailler au calme, pour se concentrer sur ses recherches sur la structure stellaire et les mathématiques appliquées. Son arrivée n'est pas du goût de Charlie Venner, ex-petit ami d'Amy. Lui et ses amis Norman Scutt, Chris Cawsey et Phil Riddaway voient d'un mauvais œil qu'un étranger ait épousé l'une des leurs. David engage de jeunes ouvriers du village pour réparer la ferme, qui appartenait au père d'Amy. Les ouvriers, Scutt et Cawsey, finissent par tourmenter le couple non violent. Ces agressions s'intensifient lorsqu'ils attaquent la ferme après que David a pris la défense d'Henry Niles, l'idiot du village, accusé de meurtre. David met toute son intelligence au service de sa survie ; retranché dans la ferme, il élabore des pièges qui font de lui l’égal de ses assaillants.
Dans Les Chiens de Paille, Sam Peckinpah s’attaque à la brutalité enfouie sous le vernis de la civilisation, en la transplantant dans les campagnes anglaises des Cornouailles. Il signe l’un de ses films les plus dérangeants et puissants, où la violence n’est pas spectaculaire au sens hollywoodien, mais larvée, sale, poisseuse – et profondément humaine.
L’histoire suit David Sumner (Dustin Hoffman), un mathématicien américain calme et cérébral, venu chercher refuge avec sa femme Amy (Susan George) dans le village natal de cette dernière. Le couple fuit la turbulence des États-Unis (on devine en creux les tensions politiques de l’époque, guerre du Vietnam, insécurité urbaine) pour une retraite bucolique. Mais c’est un rêve de tranquillité qui vire lentement au cauchemar.
Dans ce coin reculé, la communauté semble régie par des règles implicites, masculines, rudes, et David, avec ses lunettes et son air intellectuel, y fait tache. On ne l’accepte pas vraiment, et la tension monte peu à peu entre lui et les ouvriers qu’il a engagés pour restaurer sa maison, dont l’ancien amant de sa femme. Les regards se font plus appuyés, les gestes plus agressifs, et très vite le film glisse dans une spirale d’hostilité.
Peckinpah excelle dans cet art de l’escalade. La violence ici n’arrive pas soudainement, elle s’insinue lentement, comme un poison dans les veines. Ce n’est pas un film d’action, mais un film de tension – jusqu’à l’explosion finale, presque insoutenable. C’est dans cette montée que réside l’angoisse véritable. On sait que cela va mal finir, mais on ne sait ni quand, ni comment. L’ambiguïté morale est partout : les personnages sont ambivalents, les motivations troubles, et les réactions humaines – trop humaines.
Dustin Hoffman livre ici une performance magistrale à contre-emploi. Ni viril ni charismatique au sens classique, il incarne un homme effacé, replié sur lui-même, qui va être forcé d’aller puiser dans des ressources qu’il ignorait posséder. Non pas un héros, mais un homme acculé, humilié, réduit à l’instinct de survie. Ce n’est pas un justicier qui prend les armes, mais un homme qui se défend – et la nuance est essentielle. Ce basculement dans la violence, Peckinpah le filme sans euphorie, sans glorification. Ce n’est pas un acte héroïque, mais une nécessité brutale, presque animale.
La séquence finale, véritable huis clos sous tension, où David défend sa maison contre une horde enragée, est l’une des plus viscérales du cinéma des années 70. Peckinpah y condense toute sa vision du monde : la violence est inévitable, enracinée dans l’homme, et la civilisation n’est qu’un vernis fragile qui se fissure à la moindre pression. La violence chez Peckinpah n’est pas cathartique, elle est tragique. Elle ne libère pas, elle condamne.
La mise en scène, sèche et nerveuse, fait preuve d’une rigueur exemplaire. Les montages saccadés, les ralentis iconiques, la gestion du temps et de l’espace dans l’action – tout est maîtrisé. Peckinpah capte l’ennui rural, la moiteur des non-dits, le poids des regards, les silences lourds. Il filme la campagne non pas comme un havre de paix, mais comme un terrain de guerre latent. Les champs, les pierres, la brume deviennent les décors d’une tragédie universelle.
La controverse a longtemps entouré le film, notamment en raison d’une scène de viol filmée de manière ambiguë, voire trouble, par certains. Mais cette scène est aussi la clé du film : elle questionne notre rapport à la domination, à la sexualité, à la violence faite aux femmes. Peckinpah ne juge pas, il montre – et c’est cette frontalité, dérangeante, qui fait la force et le malaise de son cinéma.
Les Chiens de Paille est ainsi une œuvre impitoyable, inconfortable, mais nécessaire. Il brise les illusions sur la paix sociale, sur le contrôle de soi, sur les rôles de genre. Il affirme que dans certaines circonstances, même un homme de science, rationnel et pacifique, peut devenir un tueur. Pas par choix, mais par nécessité.
Ce film n’a rien perdu de sa force aujourd’hui. Dans un monde où la violence ordinaire explose à nouveau, où les tensions communautaires et sociales grondent, Straw Dogs demeure d’une actualité brûlante. Un film rude, dérangeant, mais profondément lucide. Un coup de poing dans l’âme.
NOTE : 14.10
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : Sam Peckinpah
- Scénario : Sam Peckinpah et David Zelag Goodman (en), d'après roman de Gordon Williams (en), The Siege of Trencher's Farm
- Musique : Jerry Fielding
- Photographie : John Coquillon
- Montage : Paul Davies, Tony Lawson (de), Roger Spottiswoode et Bob Wolfe
- Pays d'origine : Royaume-Uni ; États-Unis
- Production : Daniel Melnick (en) et Daniel Melnick (en) et James Swann
- Sociétés de production : ABC Pictures, Talent Associates et Amerbroco Films
- Dustin Hoffman (VF : Philippe Ogouz) : David Sumner
- Susan George (VF : Ginette Pigeon) : Amy Sumner
- Peter Vaughan (VF : Jean Violette) : Tom Hedden
- T.P. McKenna (VF : Philippe Dumat) : le major John Scott
- Del Henney (en) (VF : Marc de Georgi) : Charlie Venner
- Jim Norton (VF : Pierre Trabaud) : Chris Cawsey
- Donald Webster : Riddaway
- Ken Hutchison (VF : Daniel Gall) : Norman Scutt
- Len Jones (en) (VF : Pierre Guillermo) : Bobby Hedden
- Sally Thomsett (en) (VF : Janine Forney) : Janice Hedden
- Robert Keegan (VF : Claude Joseph) : Harry Ware
- David Warner (VF : Bernard Tiphaine) : Henry Niles (non crédité)
- Peter Arne (VF : Gérard Hernandez) : John Niles
- Cherina Schaer : Louise Hood
- Colin Welland (VF : Jean-Louis Maury) : le révérend Barney Hood

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