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mardi 13 mai 2025

14.30 - MON AVIS SUR LE L'ASSASSIN HABITE AU 21 DE HENRI GEORGES CLOUZOT


 Vu le film L'Assassin Habite au 21 de Henri-Georges Clouzot (1942) avec Pierre Fresnay, Noël Roquevert, Suzy Delair, Jen Tissier, Pierre Larquey, Raymond Bussières et Gabriello. 

Un mystérieux assassin commet des meurtres en série et laisse sur ses cadavres sa carte de visite au nom de M. Durand. Le commissaire Wens trouve une piste qui le mène à Montmartre dans une pension de famille, les Mimosas. Il se déguise en pasteur et s'inscrit comme pensionnaire. 

Un polar noir, drôle, théâtral et singulièrement humain 

Avec ce tout premier long-métrage, Henri-Georges Clouzot, alors scénariste renommé, passe à la mise en scène en signant une adaptation très libre du roman éponyme de Stanislas-André Steeman. Et dès ce coup d’essai, le ton est donné : satire grinçante, sens aigu de la narration et regard acéré sur l’âme humaine. 

Clouzot ne se contente pas de transposer l’histoire : il la réinvente. L’enquête, initialement située à Londres, est déplacée dans une pension de Montmartre, et le coupable n’est plus le même. Ce changement de décor n'est pas anodin : c’est dans ce vieux Paris un peu figé hors du temps, tout en ruelles, réverbères et pension lugubre, que le film gagne un parfum étonnamment britannique. Paradoxalement, ce polar français devient plus "anglais" que son matériau d’origine, flirtant parfois avec l’esprit d’Agatha Christie et l’humour noir d’un Arsenic et vieilles dentelles. 

L’enquête menée par le commissaire Wens (Pierre Fresnay) s’articule autour d’un lieu unique, la pension des Mimosas, habitée par une galerie de personnages aussi colorés que suspects. Le film repose sur un délicieux jeu de masques : tous les pensionnaires sont potentiellement coupables, tous semblent cacher un passé douteux, et chacun devient le suspect idéal… sauf peut-être le vrai assassin. 

Pierre Fresnay, tout en retenue, incarne un Wens à la fois malin et modeste, seul personnage "normal" dans cette ronde de faux-semblants. Face à lui, Suzy Delair — exubérante, pétillante — joue sa fiancée chanteuse, intrépide au point de mettre l’enquête en danger pour le plaisir de monter sur scène. Le duo fonctionne à merveille : l’un sérieux, l’autre fantasque, ils incarnent un couple à la fois comique et touchant, complémentaire sans jamais être caricatural. 

Clouzot joue des contrastes avec une efficacité redoutable : les dialogues fusent, incisifs, pleins d’esprit et de sous-entendus, portés par une troupe de comédiens de théâtre à la diction millimétrée. Jean Tissier, Noël Roquevert, Pierre Larquey… tous livrent des performances savoureuses, pleines d’ironie et d’un certain goût du grotesque. Mention spéciale à Raymond Bussières, dont la chanson sur les gendarmes, lancée du haut d’un réverbère, ferait aujourd’hui scandale — un clin d’œil irrévérencieux au théâtre populaire, presque guignolesque. 

Visuellement, L'Assassin habite au 21 est une réussite. La direction artistique d’André Andrejew et la photographie d’Armand Thirard donnent au film une ambiance à la fois feutrée et inquiétante, faite de jeux d’ombres, d’escaliers grinçants et de couloirs sombres. La pension elle-même devient un personnage à part entière, théâtre clos où le crime rôde à chaque porte. 

Mais derrière l’humour et la légèreté apparente, le film reste profondément noir. Il y est question d’hypocrisie, de misère sociale, d’avidité, et Clouzot, même s’il amuse, n’est jamais dupe. Il sait que le crime se cache souvent derrière un sourire affable, et que l’homme — ou la femme — le plus banal peut devenir un tueur en série. 

Court, efficace, rythmé sans jamais être précipité, L’Assassin habite au 21 est une œuvre de jeunesse déjà très mature, où l'on perçoit les prémices du grand Clouzot de Quai des Orfèvres ou du Salaire de la peur. En à peine 85 minutes, il réussit à raconter une histoire policière limpide, pleine de rebondissements, tout en dressant un portrait sarcastique mais humain d’une société au bord de l’implosion. 

Un bijou noir, drôle, intelligent, à redécouvrir sans modération. 

NOTE : 14.30

FICHE TECHNIQUE


DISTRIBUTION

 

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