Vu sur le film Eileen de William Oldroyd (2O23) avec Anne Hathaway Thomasin McKenzie Samuel John Nivola Sea Whigam Marin Ireland Jefferson White*
La jeune Eileen est prise entre deux mondes. Dans l'un, elle doit s'occuper de son père alcoolique et dans l'autre, elle travaille dans une prison pour garçons avec les horreurs quotidiennes habituelles. Lors de ses journées ennuyeuses, elle se livre à des fantasmes pervers et rêve de s'enfuir dans la grande ville.
Adapté du roman éponyme d’Ottessa Moshfegh, Eileen semblait prometteur sur le papier. Un casting raffiné (Thomasin McKenzie en Eileen, Anne Hathaway en Rebecca), une atmosphère annoncée comme troublante et un réalisateur, William Oldroyd, qui avait signé un Lady Macbeth plutôt remarqué. Pourtant, au visionnage, c’est la déception qui domine, et une étrange sensation d’inabouti qui s’installe dès les premières minutes, pour ne jamais vraiment se dissiper.
L’histoire prend place dans le Massachusetts des années 1960, dans un décor gris et froid à souhait. Eileen est une jeune femme introvertie, solitaire, quasi mutique, qui vit avec un père alcoolique et tyrannique. Elle travaille comme secrétaire dans un centre de détention pour jeunes délinquants. Sa vie morne et routinière bascule (du moins, c’est ce qu’on nous promet) lorsqu’une nouvelle psychologue charismatique, Rebecca, rejoint l’établissement. Brillante, libérée, séduisante, Rebecca exerce vite un pouvoir magnétique sur Eileen. De cette relation naît une tension diffuse, ponctuée d’échanges ambigus, jusqu’à un basculement narratif censé relancer le film… mais qui ne mène finalement nulle part.
Et c’est bien là que le bât blesse : Eileen semble reposer sur une promesse sans cesse différée. La narration avance à pas lents, espérant susciter le malaise, mais elle ne génère que de l’ennui. L’ambiance est certes travaillée – décors désaturés, intérieurs étouffants, lumière blafarde –, mais elle ne suffit pas à masquer le vide scénaristique. On attend une montée en tension, un trouble grandissant, un déraillement psychologique, mais tout reste en surface. Il n’y a ni réelle intrigue, ni vrai suspense, ni développement dramatique à la hauteur de ce qui est esquissé.
Pire encore : le traitement des personnages frôle le cliché. Une fois de plus, la relation entre deux femmes, sous-entendue comme lesbienne, est associée à la perversion, au crime, à une forme de folie latente. Rebecca est une mante religieuse insaisissable, Eileen une écorchée vive en quête d’échappatoire. Leur attirance réciproque vire au malaise, comme si toute tentative de désir féminin ne pouvait qu’être destructrice ou névrotique. C’est non seulement daté, mais profondément lassant. Pourquoi encore et toujours coller aux femmes lesbiennes cette image d’instabilité mentale, comme si l’amour entre femmes devait nécessairement être transgressif ou pathologique ?
On sent bien que le film voudrait lorgner vers le thriller psychologique à la Patricia Highsmith ou vers une sorte de Carol sombre et toxique, mais la greffe ne prend pas. Rien ne décolle. La mise en scène reste sage, quasi académique, et la fameuse scène de "révélation" – censée provoquer un électrochoc – tombe à plat, faute de construction et d’implication émotionnelle.
Et pourtant, les comédiens ne déméritent pas. Thomasin McKenzie campe une Eileen toute en retenue, maladroite et glaçante à la fois. Anne Hathaway s’amuse à brouiller les pistes, sans toutefois parvenir à transcender un rôle qui reste prisonnier du stéréotype de la femme fatale. Shea Whigham, dans le rôle du père, est solide. Mais leurs performances sont asphyxiées par un scénario qui ne sait pas où il va, ni ce qu’il veut raconter. On sort du film sans émotion, sans réponse, sans envie d’y repenser.
Le film donne l’impression d’avoir été conçu pour susciter le trouble, le malaise, voire une forme d’érotisme latent. Mais tout y est trop calculé, trop vide pour véritablement déranger ou interroger. À la fin, il ne reste qu’un vernis pseudo-subversif posé sur un fond creux. Le mystère n’existe que parce qu’on a omis d’écrire une vraie histoire.
Eileen ressemble à un exercice de style raté, un film qui croit déranger mais ne fait qu’ennuyer. Il ne propose ni propos fort, ni évolution narrative, ni finalité. À force de jouer sur la suggestion sans jamais oser plonger, il perd tout intérêt. On peut être frustré, agacé, ou simplement indifférent. Mais dans tous les cas, on passe son chemin.
Un film esthétiquement appliqué mais narrativement atone, qui recycle des clichés désolants sur la sexualité féminine et n’a, malgré son casting, rien à dire. À oublier.
NOTE : 5.10
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : William Oldroyd
- Scénario : Luke Goebel et Ottessa Moshfegh d'après son roman
- Musique : Richard Reed Parry
- Photographie : Ari Wegner
- Montage : Nick Emerson
- Production : Stefanie Azpiazu, Anthony Bregman, Peter Cron, Luke Goebel, Ottessa Moshfegh et William Oldroyd
- Société de production : Fifth Season, Film4, Likely Story, Lost Winds Entertainment et Omniscient Productions
- Thomasin McKenzie : Eileen Dunlop
- Shea Whigham : Jim Dunlop
- Sam Nivola : Lee Polk
- Siobhan Fallon Hogan : Mme. Murray
- Tonye Patano : Mme. Stevens
- Owen Teague : Randy
- Peter McRobbie : Warden
- Peter Von Berg : Dr. Frye
- Jefferson White : Buck Warren
- Anne Hathaway : Rebecca
- Patrick Ryan Wood : Joseph
- Gavin K. Barfield : Mary
- Spencer Barnes : DeMarko
- Mason Pettograsso : DeLuca
- Marin Ireland : Mme. Polk
- Brendan Burke : Sandy
- Julian Gavilanes : Pat
- Joel Marsh Garland : Jacky
- Louis Vanaria : Jerry

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