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mercredi 21 mai 2025

14.10 - MON AVIS SUR LE FILM LE LEOPARD DES NEIFES DE PEMA TSEDEN (2023)


Vu le film Le Léopard des Neiges de Pema Tseden (2023) avec Jinpa Xiong Ziqi Tseten Tashi Losang Choepel Genden Phuntsok 

Le film met en scène un père et son fils qui se demandent s'ils doivent tuer le léopard des neiges descendu des montagnes dans leur village et ayant tué neuf moutons. Selon le synopsis du film : « Dans un village de montagne où vivent des léopards blancs, le film explore la symbiose entre les humains et les animaux à travers l'interaction fantastique d'un jeune moine tibétain et d'un léopard » 

Des hommes d'une chaîne de télévision en véhicule tout-terrain accueillent un moine photographe. Ils viennent filmer un léopard, fait prisonnier par des bergers qui ne peuvent l’abattre 

Le scénario de Tseden intègre la nouvelle de Jamyang Tsering, Snow Leopard Or The Last Poem[ 

Le Léopard des neiges (2023), film posthume du grand cinéaste tibétain Pema Tseden, est une œuvre majestueuse et méditative, à la croisée du documentaire animalier, de la fable philosophique et du cinéma engagé. Tourné dans les régions reculées et enneigées du plateau tibétain, le film raconte une histoire simple en apparence, mais d’une richesse symbolique et politique saisissante : celle d’un léopard des neiges, animal rare, mystérieux et vénéré, capturé après avoir tué neuf béliers dans l’enclos d’un éleveur. 

Le récit débute par une plainte : un berger furieux interpelle les autorités locales après avoir découvert ses bêtes égorgées. L’auteur de ce carnage : un léopard des neiges, espèce protégée. L’animal a été capturé vivant par le frère du berger, un moine bouddhiste, qui l’a enfermé dans une étable. Le dilemme est lancé : que faire de cette créature à la fois redoutée et sacrée ? La discussion s’ouvre entre les différents personnages – l’éleveur, le moine, un journaliste, des policiers – chacun défendant une vision du monde, un rapport à la nature, à la spiritualité, à l’autorité, à la modernité. 

Pema Tseden orchestre ces débats avec une sobriété exemplaire. Il ne tranche jamais, préférant laisser les tensions se déployer dans la durée. Le rythme est lent, presque contemplatif, et les dialogues peu nombreux. Ce qui domine, c’est le silence des cimes, le souffle du vent, le regard perçant du léopard. Le film prend le temps de montrer l’attente, l’hésitation, comme si chaque plan cherchait à sonder l’âme tibétaine. 

La mise en scène alterne entre intérieurs modestes (une pièce chauffée au poêle, une cabane de berger, une étable sombre) et grands extérieurs, aux panoramas grandioses, où la blancheur de la neige semble engloutir les figures humaines. La caméra fixe souvent le félin avec insistance, mais sans emphase. Le léopard n’est jamais humanisé, il reste une présence fuyante, indéchiffrable. Il est la figure d’un mystère — celui de la nature sauvage, du sacré, ou peut-être du peuple tibétain lui-même, traqué et enfermé. 

Car la portée politique du film est subtile, mais indéniable. Comme souvent dans l’œuvre de Tseden, la situation du Tibet, territoire occupé et sous surveillance, affleure dans les gestes du quotidien, les silences entre deux phrases, les regards. Le conflit entre la tradition bouddhiste et les injonctions de l’État chinois est suggéré avec délicatesse, notamment dans la manière dont les personnages se réfèrent à l’autorité ou à la notion de “propriété”. La figure du léopard, objet de convoitise, d’incompréhension, de crainte et de fascination, devient un miroir de la condition tibétaine : pris entre vénération ancestrale et gestion administrative, entre liberté naturelle et contrôle bureaucratique. 

L’animal devient un emblème ambivalent : il est à la fois la menace et le trésor, le prédateur et le protégé, le symbole d’un Tibet encore indompté et d’une nature qu’on ne sait plus regarder. Le moine, dans sa foi paisible, incarne une sagesse ancienne, une forme d’écoute du monde que le cinéma de Tseden a toujours su faire résonner. Le berger, en revanche, représente un pragmatisme rugueux, terre-à-terre, mais légitime : il a perdu ses bêtes, il veut réparation. Quant au journaliste et au garde forestier, ils incarnent la modernité chinoise, technocratique, se voulant rationnelle mais souvent aveugle aux subtilités culturelles. 

En ce sens, Le Léopard des neiges est un adieu émouvant et lucide. Pema Tseden, disparu en 2023 à l’âge de 53 ans, laisse derrière lui une œuvre profondément singulière, traversée par les tensions entre spiritualité et matérialisme, entre liberté intérieure et oppression politique. Ce dernier film, épuré jusqu’à l’os, témoigne d’un regard humble et compatissant, capable de faire d’un simple fait divers pastoral une méditation métaphysique et géopolitique. 

Il n’est pas besoin de voix off pour raconter ce qu’on voit : les images suffisent. Elles parlent d’un monde qui s’efface doucement, mais où subsiste, dans le regard perçant d’un léopard enfermé, la promesse d’un mystère irréductible. 

NOTE : 14.10

DISTRIBUTION

  • Jinpa
  • Xiong Ziqi
  • Tseten Tashi
  • Losang Choepel
  • Genden Phuntsok



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