Vu le film Knock de Guy Lefranc (1951) avec Louis Jouvet Jean Brochard Pierre Renoir Marguetite Pierry Pierre Bertin Jean Carmet Yves Deniaud Mireille Perrey Jane Marken Paul Faivre Madeleine Barbulée Louis de Funès
C'est la seconde adaptation de la pièce de Jules Romains avec Louis Jouvet dans le rôle du docteur Knock. La première, Knock ou le triomphe de la médecine (1933), a été réalisée par Roger Goupillières et Louis Jouvet.
Voulant assurer le triomphe de la médecine qu'il fait passer avant l'intérêt des malades, et prétendant exercer une influence certaine sur les habitants du village et de ses environs, le docteur Knock arrive à Saint-Maurice, petite bourgade de province, pour succéder au docteur Parpalaid — brave honnête homme, mais dont la clientèle est peu abondante, l'état de santé du pays étant excellent.
Dans la grande tradition du théâtre filmé à la française, Knock ou le Triomphe de la médecine, adapté de la célèbre pièce de Jules Romains, se hisse au sommet du genre grâce à l’incarnation magistrale de Louis Jouvet. Plus qu’un film, c’est une leçon d’élocution, une démonstration de manipulation douce-amère, un régal d’intelligence mise en mots. Cette version de 1951, réalisée par Guy Lefranc, dépasse de loin son statut de simple transposition scénique : elle devient une œuvre à part entière, nourrie de cinéma, de satire sociale et de jubilatoire cruauté.
L’histoire est simple et connue. Le docteur Knock, remplaçant d’un bon vieux médecin de campagne, débarque dans le paisible village de Saint-Maurice avec une vision radicalement différente de la médecine. Là où son prédécesseur voyait des gens en bonne santé, Knock voit des pathologies, des symptômes invisibles, des maux qui couvent. Sa doctrine ? « Tout bien-portant est un malade qui s’ignore. » En quelques jours, avec verbe, persuasion et une habileté rhétorique diabolique, il transforme le village en hôpital à ciel ouvert, rendant dépendants les plus récalcitrants, retournant les plus sceptiques. À travers cette farce, c’est un portrait grinçant de la société, de la crédulité humaine, de l’autorité médicale et du pouvoir des mots qui se dessine.
Louis Jouvet, c’est l’épine dorsale du film, l’aimant, le vortex. Sa voix, tout en ironie maîtrisée et en diction chirurgicale, s’infiltre dans chaque recoin de la salle de consultation comme un venin doux. Jouvet est ici à son apogée : regard acéré, port altier, ton tantôt rassurant tantôt glacial. Il joue avec les mots comme un chirurgien avec un scalpel. Son Knock n’est ni un fou ni un illuminé : c’est un stratège, un homme lucide, cynique, qui comprend les mécanismes de la peur et les failles de l’être humain. Il sait que le langage soigne, mais surtout, qu’il assujettit.
Le film de Guy Lefranc ne trahit jamais la pièce d’origine, mais en tire habilement un usage cinématographique. Le village, les visages des paysans, la petite école, l’auberge : tout devient terrain de jeu pour cette comédie du pouvoir. La caméra, discrète mais attentive, capte les regards incrédules des patients, l'évolution insidieuse de la soumission. Chaque scène est une petite tragédie burlesque, où l’homme, bien qu’ayant l’air libre, se laisse enfermer dans l’idée d’un corps défaillant.
C’est un film très drôle, mais d’un rire noir, parfois glaçant. La scène de la consultation gratuite, le fameux « Ça vous gratouille ou ça vous chatouille ? », est une leçon de manipulation — une absurdité presque kafkaïenne, tant l’absence de symptôme devient ici le plus grand des dangers. On y voit un monde basculer : la médecine, d’abord conçue pour guérir, devient ici un instrument d’emprise. Knock ne vend pas des médicaments, il vend du soupçon, du vertige, de l’angoisse. Et le village achète.
Dans un contexte contemporain où la médecine reste une question de société brûlante, Knock résonne comme un avertissement en costume ancien. Il questionne la foi aveugle dans les autorités, le besoin de diagnostic, le culte du symptôme, le consentement des foules à leur propre pathologisation. Derrière son apparente légèreté, le film est violent, subversif, et infiniment moderne.
On ne soulignera jamais assez l’importance de l’articulation chez Jouvet, qui fait ici du texte de Jules Romains une partition musicale. Chaque mot compte, chaque inflexion transforme une simple réplique en révélation. Le plaisir est presque physique : écouter Jouvet, c’est comme entendre un Stradivarius parler. Il n’y a plus de distance entre théâtre et cinéma : il y a le Verbe, tout simplement, souverain.
A noter dans les patients , le jeune Louis de Funès qui consulte parce qu’il a perdu 100 grammes , également un autre grand Jean Carmet
Knock de Guy Lefranc est un sommet du cinéma de la parole, de l’ironie sociale et de la performance d’acteur. Il surclasse sans peine toutes les autres adaptations, notamment la récente version avec Omar Sy, qui, bien qu’animée de bonnes intentions, ne rend ni la férocité ni la précision du texte d’origine. Le film de 1951 est un bijou précieux : drôle, cruel, élégant, inquiétant. Et Louis Jouvet, en grand prêtre de la médecine imaginaire, y livre l’un de ses plus beaux rôles.
NOTE : 14.80
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : Guy Lefranc, assisté de Maurice Delbez
- Directeur artistique : Louis Jouvet
- Scénario : Georges Neveux, d'après la pièce de Jules Romains
- Dialogue : Jules Romains
- Décors : Robert Clavel
- Costumes : Rosine Delamare
- Photographie : Claude Renoir
- Opérateur : Gilbert Chain
- Photographe de plateau : Roger Corbeau
- Son : Jean Rieul
- Maquillage : Serge Gleboff, Jacqueline Coulant
- Montage : Louisette Hautecoeur, assistée de Denise Natot
- Musique : Paul Misraki
- Script-girl : Nicole Benard
- Régisseur : Jean Mottet
- Tournage du au dans les studios de Billancourt et à Neauphle-le-Château pour les extérieurs
- Production : Jacques Roitfeld (France)
- Directeur de production : Léon Canel
- Distribution : Sirius
- Louis Jouvet : docteur Knock
- Jean Brochard : docteur Parpalaid
- Pierre Renoir : le pharmacien Mousquet
- Pierre Bertin : l'instituteur Bernard
- Marguerite Pierry : Mme Pons, la dame en violet
- Jean Carmet : le premier gars
- Yves Deniaud : le tambour de ville
- Mireille Perrey : Mme Rémy, la patronne de l'hôtel
- Jane Marken : Mme Parpalaid
- Geneviève Morel : la dame en noir
- Bernadette Lange : Mariette
- André Dalibert : le deuxième gars
- Pierre Duncan : le livreur
- Paul Faivre : le maire Michalon
- Jean Sylvain : un chauffeur sous le nom de Sylvain
- Madeleine Barbulée : une infirmière
- Louis de Funès : le malade qui a perdu 100 grammes (non crédité)
- Jacques Monod : le premier trombone, monsieur Albos
- Claire Olivier : Mme Mousquet
- Marius David
- Antoine Marin : l'homme à tout faire

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