Pages

dimanche 18 mai 2025

16.20 - MON AVIS SUR LE FILM SA MAJESTE DES MOUCHES DE PETER BROOK (1963)

 


Vu le film Sa Majesté des Mouches de Peter Brook (1963) avec James Aubrey Tom Chapin Hugh Edwards Roger Elwin Tom Gaman Roger Allan David Brunjes peter Davy 

L'histoire s'articule en trois grands actes. 

Après la chute de leur avion dans l'océan Pacifique, un groupe de jeunes garçons britanniques âgés de six à douze ans se retrouvent seuls sur une île montagneuse. 

Loin du monde des adultes, les enfants s'organisent en fonction d'un modèle démocratique : ils élisent Ralph comme chef, secondé par son camarade Porcinet, dit « le gros », souffre-douleur et objet des moqueries de ses camarades. Ils explorent leur île. Jack, le plus vieux de tous, le plus fort physiquement, humilié de ne pas avoir été choisi comme chef, et jaloux, construit son propre clan : il pratique l'apologie de la force et du plaisir. Le pouvoir de Ralph diminue au fur et à mesure que Jack renforce le sien. Dans cette micro-société, au début du troisième acte, on est passé à la barbarie et à la tyrannie. 

Sa Majesté des Mouches, réalisé en 1963 par Peter Brook, est une œuvre saisissante, radicale, qui transcende le simple récit de survie pour devenir une méditation bouleversante sur la nature humaine. Adaptant le célèbre roman de William Golding, Brook en fait un film d’une austérité superbe, presque documentaire, où le vernis de la civilisation se désagrège à vue d’œil. 

L’histoire est désormais bien connue : suite à un crash aérien, un groupe de garçons anglais se retrouve isolé sur une île déserte, sans adulte pour les encadrer. Très vite, ils tentent de recréer une société : un chef est élu (Ralph), des règles sont fixées, un système de communication par coquillage est mis en place. Mais cette structure ne tient pas. Une fracture s’opère entre Ralph, partisan de l’ordre, et Jack, figure autoritaire et manipulatrice qui fédère autour de lui les instincts les plus brutaux. Le groupe se scinde. La peur d’un "monstre" invisible s’installe, le langage cède la place aux cris, les danses tribales remplacent les conseils démocratiques. Les plus faibles sont broyés. La civilisation s’effondre. 

Filmés en noir et blanc dans une lumière très crue, les visages enfantins deviennent des masques inquiétants, leurs jeux des rites barbares. Brook refuse tout effet de mise en scène spectaculaire. Il filme la nature dans sa beauté indifférente, les enfants avec une retenue glaçante. Aucun pathos, aucune musique illustrative, juste le bruit du vent, les chants, les silences, les rires qui se déforment. Ce dépouillement extrême donne au film une puissance presque documentaire, comme si la sauvagerie captée était réelle. 

Mais c’est dans sa portée symbolique que Sa Majesté des Mouches frappe le plus fort. Cette histoire de gosses livrés à eux-mêmes devient une parabole effrayante sur les mécanismes du totalitarisme. Jack, avec sa peinture de guerre, ses mots d’ordre, sa meute fanatisée, incarne le tyran charismatique. La peur du monstre (qu’on ne verra jamais) fonctionne comme un instrument d’embrigadement. Simon, l’enfant visionnaire, figure du prophète incompris, est sacrifié. Piggy, l’intellectuel moqué, est éliminé froidement. Et lorsque le salut arrive — sous la forme d’un militaire adulte — il n’y a ni joie, ni soulagement. Juste une gêne immense. La "civilisation" revenue n’est pas forcément moins violente. La guerre fait rage hors de l’île, et les enfants n’ont fait que reproduire, en miniature, la folie des adultes. 

Impossible de ne pas penser aux régimes fascistes du XXe siècle. Le film agit comme un miroir. Brook suggère, sans jamais souligner. La mise en scène en hors-champ de la violence — coups, morts, hurlements — renforce l’horreur. Ce qui est tu devient insoutenable. On pense aux camps, aux exterminations à l’abri des regards. La métaphore est d’autant plus glaçante qu’elle repose sur l’innocence supposée de l’enfance. Elle nous dit que la barbarie ne vient pas de l’extérieur, mais sommeille en chacun. 

Les jeunes acteurs non professionnels, souvent livrés à l’improvisation, ajoutent une vérité brute. Aucun ne "joue" vraiment, ils sont — là, face à la caméra, en train de devenir autre chose que des enfants. L’énergie qu’ils dégagent est à la fois magnifique et effrayante. Rarement l’écran aura rendu avec autant de force ce basculement dans l’animalité. 

Sa Majesté des Mouches est un film sublime et terrifiant, une œuvre d’une modernité intacte, qui continue à faire froid dans le dos. Peter Brook y ausculte la chute de l’innocence, la naissance du mal, la fin du jeu. Il ne juge pas, il observe. Il tend un miroir au spectateur, et ce qu’on y voit n’est pas rassurant. 

Un classique absolu, toujours aussi dérangeant, et d’une pertinence cruelle. 

NOTE : 16.20

FICHE TECHNIQUE


DISTRIBUTION

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire