Vu le film (sur Cinetek) Je suis une Légende de Ubaldo Ragona et Sidney Salkow (1964) avec Vincent Price Franca Bettoja Emma Danieli Umberto Raho Giacomo Rossi-Stuart
Le docteur Robert Morgan (Vincent Price) est le dernier être humain à avoir échappé à une épidémie qui a transformé les autres hommes et femmes en vampires. Depuis trois ans, toutes ses journées se ressemblent : le jour, les vampires, qui craignent la lumière du soleil, se reposent, pendant que Morgan, armé de pieux de bois, parcourt la ville, repère les refuges des morts-vivants affaiblis comme des zombies, les empale pour ensuite aller brûler leurs corps à la décharge. La nuit, il se réfugie dans sa maison, où sont suspendus miroirs et ail, que les vampires ne supportent pas. De temps en temps, il essaye de communiquer avec un éventuel autre être humain non affecté à l'aide d'une radio, mais toujours sans succès.
Dans une ville dévastée, écrasée par un soleil blafard et le silence, un homme arpente les rues désertes, le fusil à l’épaule. Il ramasse des cadavres, les brûle dans des fosses, s’enferme dès le crépuscule venu. La nuit, des êtres rôdent, gémissent, tambourinent contre les portes, l’appellent. Des créatures mi-zombies, mi-vampires, vestiges dégénérés d’une humanité anéantie. Cet homme, c’est Robert Morgan, dernier survivant d’un monde qui a sombré dans une étrange épidémie. Chaque jour, il combat l’ennui, la solitude et surtout la peur. Chaque nuit, il lutte pour ne pas devenir lui-même une légende, au sens funeste du mot.
Sorti en 1964, The Last Man on Earth est la première et sans doute la plus fidèle adaptation du roman I Am Legend de Richard Matheson (1954), chef-d’œuvre de science-fiction paranoïaque et métaphysique. Coréalisé par Ubaldo Ragona (italien) et Sidney Salkow (américain), ce film tourné en Italie, avec des moyens modestes mais une ambiance magistrale, fut longtemps éclipsé par ses successeurs plus spectaculaires. Et pourtant, il s’en dégage une puissance sourde, une terreur intime, que les versions plus modernes (Le Survivant avec Charlton Heston en 1971, ou I Am Legend avec Will Smith en 2007) n’ont jamais vraiment su retrouver.
Le film joue la carte de la sobriété. Pas de hordes de zombies numériques, pas de scènes d’action tonitruantes, mais un noir et blanc saisissant, presque documentaire, qui crée une atmosphère poisseuse, anxiogène. On pense aux épisodes les plus sombres de La Quatrième Dimension, à ces univers figés, où l’horreur vient moins des monstres que du sentiment d’absurde et d’abandon. Le héros, incarné par l’immense Vincent Price, est ici plus scientifique que guerrier. Sa voix, ses gestes las, son regard désespéré suffisent à créer l’empathie. Price, pourtant habitué aux excès gothiques, trouve ici un ton retenu, profondément humain, tragique même. Son Morgan n’est pas un sauveur, mais un homme en sursis.
L’intrigue suit de près celle du roman : après avoir perdu femme et enfant, Morgan découvre qu’il est immunisé contre le virus. Il consacre ses journées à éliminer les contaminés et à chercher un remède. Mais il finira par apprendre qu’il n’est peut-être pas aussi seul qu’il le pense — et que l’humanité a peut-être muté, au point de ne plus vouloir de lui… La révélation finale, loin d’un happy end hollywoodien, redonne au titre tout son sens : Je suis une légende, non pas comme un héros, mais comme un mythe effrayant aux yeux de ceux qui ont survécu autrement.
Le film, sans effets spectaculaires, interroge profondément : qui est le monstre ? Celui qui tue les autres ou celui qui refuse d’évoluer avec eux ? On y devine aussi, avec une prescience troublante, les cauchemars d’aujourd’hui : pandémies, isolement, effondrement social. Visionnaire ? Certainement. Le lien avec des crises récentes, comme celle du Covid, saute aux yeux : rues vides, peur de l’autre, espoir d’un vaccin, perte des repères humains.
Ce Last Man on Earth mérite d’être redécouvert. Derrière ses décors italiens un peu désuets, il y a une œuvre profondément mélancolique, proche du théâtre de l’absurde. On ne sort pas indemne de cette plongée dans l’âme d’un homme qui ne survit que pour se rappeler qu’il fut, un jour, humain. C’est un film de fin du monde sans fin du cinéma : sec, lent, mais d’une puissance atmosphérique rare. Un sommet méconnu du fantastique d’après-guerre, qui trouve en Vincent Price un interprète inoubliable — hanté, hantant.
NOTE : 14.10
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : Ubaldo Ragona et Sidney Salkow
- Scénario : William F. Leicester, Furio M. Monetti, Ubaldo Ragona et Richard Matheson d'après son roman
- Musique : Paul Sawtell et Bert Shefter
- Photographie : Franco Delli Colli
- Montage : Gene Ruggiero et Franca Silvi
- Production : Robert L. Lippert
- Société de production : Associated Producers et Produzioni La Regina
- Société de distribution : American International Pictures (États-Unis)
- Vincent Price (VF : Michel Blin) : Dr. Robert Morgan
- Franca Bettoja (VF : Françoise Cadol) : Ruth Collins
- Emma Danieli (VF : Anne Plumet): Virginia Morgan
- Giacomo Rossi-Stuart (VF : Jacques Albaret) : Ben Cortman
- Umberto Raho (VF : Tony Jourdrier) : Dr. Mercer

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